Semaine décisive dans le combat contre Macron

Encore une fois : réforme ou révolution ?

Juan Chingo

Encore une fois : réforme ou révolution ?

Juan Chingo

Le néolibéralisme de droite macroniste a réussi, d’abord, à réveiller l’exaspération de la France des marges pour, ensuite, susciter la colère de certains des bataillons centraux du mouvement ouvrier traditionnel. Deux mouvements, celui des Gilets jaunes et celui contre la réforme des retraites, toujours en cours, absolument spectaculaires et en bonne partie inédits.

Crédits photo : O’Phil des contrastes

Dans les deux cas, il y a le rejet viscéral de la macronie qui a conduit ces deux processus de lutte de classes à une riposte beaucoup plus dure et durable que ce à quoi on pouvait s’attendre. De par leur durée et leur popularité – si l’on tient compte du fait qu’après un mois de grève, le mouvement actuel continue à être soutenu par 61% de l’opinion – ces deux mobilisations témoignent de la brèche qui s’est ouverte entre représentants et représentés, expression de la crise organique que la France traverse depuis des années et dont l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République est l’expression, contribuant de concert à l’aggraver. Il suffit de songer aux propos de Maxime Tantonnet, ancien haut fonctionnaire, longtemps tenu pour l’un des inspirateur du programme de Nicolas Sarkozy, dont il a été un proche conseiller : « Ce n’est plus un fossé, mais un abîme, un gouffre, écrit Tantonnet. Avec la crise sociale, d’une gravité sans précédent depuis décembre 1995, succédant à plusieurs mois du mouvement des Gilets Jaunes, la guerre civile froide entre la nation et la classe dirigeante atteint son paroxysme. Le contenu de la réforme des retraites, dans ses aspects économiques, sociaux et juridiques, n’est plus l’essentiel. La crise est devenue politique, passionnelle. De sondages en sondages, il se confirme que plus des deux tiers de la population soutiennent les grévistes. Cette dernière ne combat pas pour l’essentiel, la modification d’un régime social. Elle est entrée en rébellion contre une décision emblématique de la fracture démocratique, qu’elle ressent majoritairement comme un affront, une humiliation, imposée par une équipe dirigeante hors sol et une remise en cause du pacte social ».

Dans ce cadre, le fait marquant du conflit social actuel est sans doute la détermination et la combativité des grévistes. La mobilisation se nourrit du sentiment d’injustice que génère la contre-réforme des retraites et dans lequel se reconnaissent de larges secteurs du monde du travail. C’est là, par ailleurs, qu’il faut chercher la raison du dépassement du corporatisme que l’on voit à l’œuvre et qui tendait à caractériser les secteurs dits « protégés » du mouvement ouvrier. C’est ce que l’on peut voir, par exemple, chez ceux en direction de qui le gouvernement a fait des concessions comme les cheminots mais encore chez les salariés de l’Opéra de Paris qui ont rejeté la « clause du grand-père » : précisément parce qu’ils ne sont pas indifférents au sort qui sera celui des entrants sur le marché du travail. Par ailleurs, comme nous l’avons déjà souligné, c’est également une question de société qui est posée. Les salariés voient dans la retraite le seul moment au cours duquel il est possible de jouir d’une certaine liberté. Pour le dire en termes marxistes, la retraite est vue comme une contrepartie à la fatigue, aux souffrances et à l’insalubrité de l’exploitation capitaliste dont la durée et l’intensité sont allées en augmentant au cours des dernières décennies. Ainsi, si les Gilets jaunes s’opposent à la paupérisation ou à une mobilité sociale descendante, c’est tout un pan de la société qui refuse le déclassement social institutionnalisé auquel conduit la réforme actuelle, sur fond de carrières rabotées, de changements fréquents d’emploi ou de salaires rognés. C’est d’ailleurs ce qu’a souligné sans ambages Edouard Philippe dans son discours sur la réforme des retraites prononcé le 11 décembre dernier : « Le monde d’aujourd’hui, la France en tout cas, se caractérise par un niveau de chômage encore important, et ce depuis longtemps. Il se caractérise par le fait que les études sont de plus en plus longues, que les carrières sont parfois heurtées, que le temps partiel s’est développé. On peut à juste titre vouloir changer tout cela : revenir au plein emploi, limiter la précarité… Mais c’est le monde dans lequel nous vivons et il est sage de voir le monde tel qu’il est. Nous devons construire la protection sociale du XXIème siècle en prenant mieux en compte les nouveaux visages de la précarité ».

Il est bien compliqué, dans ce cadre général que nous proposent aujourd’hui les classes dominantes – et ce alors qu’étrangement le discours de Philippe n’a provoqué quasiment aucune réaction du côté des élites politiques et médiatiques –, de voir une force de persuasion, à savoir un potentiel hégémonique à même de convaincre les exploités de la justesse du discours, notamment les plus jeunes. La bourgeoisie du XXIème siècle se situe à des années-lumière de ce que pouvaient encore défendre ses ancêtres il y a moins de cent ans en la personne, par exemple, du célèbre économiste John Maynard Keynes. Ce dernier affirmait, en 1929, que « l’idée qu’il existerait une loi naturelle empêchant les hommes d’avoir un emploi, qu’il serait "imprudent" d’employer des hommes et qu’il serait financièrement "sain" de maintenir un dixième de la population dans l’oisiveté pour une durée indéterminée, est d’une incroyable absurdité. Personne ne peut y croire s’il n’a pas eu la tête farcie d’inepties des années [1]] ». Au regard des déclarations du locataire de Matignon, il ne fait aucun doute : on voit bien l’absolue décadence de la classe capitaliste dans son ensemble. Par ailleurs, cela illustre parfaitement notre propos lorsque nous affirmons que la bourgeoisie, aujourd’hui, n’a que la régression sociale à proposer. Et il ne s’agit en rien d’une formule toute-faite.

La marge étroite du réformisme et l’actualité de la perspective révolutionnaire

Dans ce contexte international et national bien particulier, les frictions entre le gouvernement Philippe et la CFDT sont révélatrices de l’étroite marge de manœuvre dont disposent, aujourd’hui, ceux qui professent y compris simplement un réformisme timoré. C’est le cas de Laurent Berger, secrétaire général cédétiste, partisan de la retraite à point et qui assume pleinement sa position en faveur de la collaboration de classe. Cette réalité correspond, en réalité, à une tendance mondiale. Dans le cadre de la guerre concurrentielle ouverte au niveau international, la bourgeoisie ne saurait rien négocier de substantiel avec les appareils syndicaux. Aucun compromis n’est possible, pas même le plus modeste. L’objectif des « réformes structurelles » est en effet de comprimer la force de travail et de généraliser les typologies de contrats moins « protégés » que par le passé. Il est donc impossible d’obtenir la moindre réforme si l’on ne remet pas en question le chômage et la précarité qui sont les deux pierres angulaires sur lesquelles repose le capitalisme à la suite de la chute du taux de profit qui l’affecte depuis les années 1970.

Ce changement dans le rapport entre l’Etat et les syndicats, le politiste Jean-Marie Pernot le définit en ces termes : « Jusqu’aux années 1970, la décision publique tenait compte d’un point de vue syndical plus ou moins respecté. Depuis lors et lorsque l’on touche aux sujets lourds, l’Etat prend la main sans partage : dans ces cas-là, la place des syndicats se résume à un choix assez simple : acquiescer ou prendre la rue. Ne rien concéder, tel est le maître-mot, comme si les gouvernants ne construisaient pas leur légitimité sur leur capacité à répondre à la demande sociale mais sur leur capacité à y résister ». On retrouve cette tendance dans le cas français. Néanmoins, les traces laissées au sein de la classe dominante par le souvenir de la grève générale de 1968 ont impliqué que la résistances des masses à l’offensive néolibérale lancée à la fin des années 1970 n’a pas réussi à la tenir en échec mais l’a considérablement entravée. Il en a résulté une sorte d’équilibre ayant pour objectif principal la préservation de la paix sociale. C’est là qu’il faut voir les raisons des reculs partiels des deux gouvernements Chirac face aux mouvements de 1995 et de 2006 et sur lesquels nous sommes revenus dans « Le chiraquisme ou la dernière tentative pour échapper à la crise organique du capitalisme français ».

Cependant, cet équilibre fragile se fissure avec la crise mondiale de 2008. Depuis lors, aucune lutte réformiste n’a obtenu satisfaction. Le macronisme exacerbe les tendances qui se sont manifestées sous les gouvernements Sarkozy et Hollande : il radicalise le programme néolibéral pour dépasser les compromis même minimes qui avaient pu être établis entre travail et capital en contrepartie de l’avancement de ce même projet. Si l’on reprend le titre de l’article de Pernot que nous citions précédemment, cela ne laisse guère de marge de manœuvre ni d’autre choix que la « résignation ou la révolution ». Le politiste ancre cette hypothèse dans l’histoire nationale de l’Hexagone : « Le sociologue Alain Caillé émettait, en 1996, une hypothèse selon laquelle l’imaginaire national se plaisait ainsi à rejouer en permanence 1789, précédé par un grand nombre de révoltes populaires annonciatrices. Le parallèle est tentant : à ne rien concéder qui remette en cause les privilèges aristocratiques, la monarchie n’offrait d’autre choix que la résignation ou la Révolution. Cette alternative a traversé le temps, de l’Ancien Régime à la République, dont un des actes fondateurs fut l’abrogation de toute représentation collective entre l’Etat et le citoyen. On sait le temps qu’il a fallu pour légaliser la représentation des travailleurs à travers le syndicalisme, avec la loi de 1884. Une partie des initiateurs de la loi tentait de promouvoir un principe d’association des syndicats à la gestion des questions sociales, évolution refusée aussi bien par la majorité politique d’alors que par le syndicalisme naissant devenu révolutionnaire à force d’être récusé. Il faudra du temps encore avant que le principe de la négociation collective trouve une place dans la loi, et plus encore dans les pratiques. Celle de 1919 qui créait les conventions collectives n’a rencontré qu’indifférence du patronat, une fois passé le moment de peur de la révolution bolchevique. En 1918, la CGT demanda, vainement, la création de délégués du personnel dans les entreprises, à l’instar de ce qui se passait en Allemagne. Le Front populaire remit l’affaire sur le métier avec une deuxième loi sur les conventions collectives et l’instauration des délégués du personnel. La revanche patronale de 1938 et l’arrivée de la guerre remettront à plus tard l’effectivité de la négociation de branche qui ne surviendra qu’après la loi du 11 février 1950. Encore faudra-t-il attendre une décennie et surtout l’après-68 pour qu’elle devienne un mode reconnu de production normative. La part de l’histoire est donc importante et la mémoire des épisodes révolutionnaires (1789 mais aussi 1830, 1848 et la Commune de Paris) paraît réactiver une certaine propension à mettre les colères en place publique. Mais ce serait réduire le social à un dispositif muséal que de voir les mouvements sociaux comme le énième ressurgissement de l’esprit gaulois. Le refus du compromis reste le moteur des mobilisations. Il est revendiqué par ce gouvernement comme par ses prédécesseurs. La différence est que l’héritage de l’absolutisme monarchique est parfaitement assumé par l’actuel président ».

Ainsi, que cela soit dû aux éléments structurels marquant le déclin du système capitaliste qui se sont aiguisés au cours des dernières décennies ou que cela soit imputable aux caractéristiques mêmes de l’Etat en France, l’option réformiste est de plus en plus utopique. Ce faisant, cette situation transforme la perspective révolutionnaire en la seule option réaliste si tant est que nous ne voulons pas nous résigner à la régression sociale.

Une stratégie pour gagner

Cependant, à rebours de cette conclusion, les directions réformistes du mouvement ouvrier, à commencer par la direction de la CGT, continuent à considérer qu’un compromis social progressiste est possible avec la classe dominante et son Etat. L’objectif absolument utopique de la direction cégétiste consiste à demander que le gouvernement entende ses revendications. Malgré le refus complet de l’exécutif d’aller dans ce sens après un mois de mobilisation, l’objectif de la semaine qui s’ouvre, pour la direction de la centrale de Montreuil, reste celui d’intensifier la mobilisation sans pour autant changer la logique, à savoir exiger que le gouvernement entende ses revendications. Mais si l’on souhaite réellement que le tandem Macron-Philippe retire ses projets anti-sociaux et anti-populaires, alors il faut s’atteler à la construction d’un rapport de force à grande échelle pour l’obliger à faire machine arrière, c’est-à-dire pour le faire plier.

Bien qu’au cours des derniers jours la direction de la CGT a pu affirmer prendre en considération l’idée de généraliser la grève, rien n’a été fait pour préparer concrètement à cette perspective. A aucun moment, ni avant, ni pendant le conflit actuel, la direction cégétiste n’a posé la perspective d’un affrontement majeur. Elle ne s’y est pas préparé, pas plus qu’elle ne l’a annoncé ni ne l’a construit. Depuis le 5 décembre dernier, alors que l’ensemble des grévistes qui se trouvent aujourd’hui à l’avant-garde de l’affrontement se préparaient au combat pour l’une des grèves les plus préparées de toute l’histoire du mouvement ouvrier hexagonal, que faisait la direction de la CGT ? Nous lui disons ce que disait Léon Trotsky à la direction du PCF en mars 1935, à savoir que la « grève générale n’est pas un jeu de cache-cache ». Et de rajouter Trotsky, pour lever toute ambiguïté : « Nous avons en vue non pas une simple manifestation, ni une grève symbolique d’une heure ou même de 24 heures, mais une opération de combat, avec le but de contraindre l’adversaire à céder. Il n’est pas difficile de comprendre quelle exacerbation terrible de la lutte des classes signifierait la grève générale dans les conditions actuelles ! ».

Cela n’est pas l’objectif de la direction de la CGT, au-delà de tel ou tel appel un peu radical sur la forme ou de l’ajout d’une nouvelle journée d’action, le samedi 11 janvier, après celle qui avait déjà été annoncée avant les fêtes de fin d’année, pour le jeudi 9. Son seul but est de maintenir la pression sur les autorités, qu’elle ne considère même pas comme un adversaire mais à qui elle continue à reconnaître une légitimité. C’est ce dont témoigne le fait qu’au cours d’une semaine aussi décisive que celle que nous traversons la centrale de Montreuil accepte de se rendre aux négociations proposées par Philippe et Muriel Pénicaud. Avec une telle « stratégie » de lutte, la direction de la CGT ne va pas au-delà de la question des retraites. Elle se refuse d’élargir les revendications à l’ensemble de celles qui pourraient être reprises par les couches les plus modestes du prolétariat à l’instar de la question des allocations chômage, de la privatisation des services publics, de la crise terminale de l’hôpital public, de l’augmentation nécessaire, immédiate et généralisée des salaires, des pensions et des minimas sociaux, de même que la thématique de la lutte contre toute forme de précarité au travail.

Comme nous l’avons déjà dit, dans un contexte de crise profonde du capitalisme et de régression sociale sur toute la ligne, la majorité des travailleuses et des travailleurs comprend parfaitement que la lutte contre telle ou telle contre-réforme ne sera pas suffisante, à elle seule, pour résoudre les problèmes. Nombreux sont celles et ceux qui sympathisent avec le mouvement actuel, mais ne s’y engageraient résolument, au sein d’une mobilisation massive, que s’ils voyaient une perspective de changement radical. Cependant, face à la contre-révolution sociale que conduit l’exécutif, les directions syndicales dites contestataires ne défendent aucune mesure affectant réellement les bénéfices des grands capitalistes. Ainsi, alors que la direction de Total fait du chantage au lockout aux raffineurs de Grandpuits dans le silence assourdissant des directions des grands syndicats, celles-ci n’osent même pas avancer un mot d’ordre aussi élémentaire, qui pourrait rassurer les grévistes face aux menaces de l’un des principaux groupes français, que celle de la nationalisation sous contrôle ouvrier de l’ensemble de la branche pétrochimique face à la moindre tentative de mettre en place un lockout. Un programme audacieux pourrait non seulement donner davantage de chair à la perspective de la grève générale. Cela pourrait également faire avancer plus concrètement la politique défendue par les Gilets jaunes tout au long de l’année écoulée, à savoir « Macron, dégage ! », mais que les Gilets jaunes ne pouvaient rendre effective seuls. A la différence des autres mouvements sociaux qui ont secoué la France depuis 2016, cette fois-ci, à moins de ne perdre la face complètement, la direction de la CGT ne pourra pas se cacher derrière l’argument selon lequel les travailleurs manquent de combativité. C’est l’absence d’une stratégie pour gagner qui est en cause.

La recomposition du mouvement ouvrier et l’urgence d’un parti révolutionnaire

Cette semaine s’annonce décisive. En dépit de toutes les difficultés que leur ont imposées l’Intersyndicale, les grévistes ont réussi à surmonter l’énorme obstacle que constituaient les vacances, en maintenant la dynamique du mouvement social jusqu’à la rentrée. Dans ce processus, la Coordination francilienne des grévistes de la RATP-SNCF a joué un rôle central. Pourtant, si cet organe a pu prendre de l’importance après l’appel – ouvert ou non – des directions syndicales à une trêve, cela n’a malheureusement pas suffi à le transformer en une direction alternative à l’Intersyndicale. Or, cette dernière empêche pour le moment l’extension rapide de la grève à d’autres secteurs de l’économie. Cependant, la colère contre Macron et sa réforme pourrait faire que d’autres secteurs ne reviennent avec force dans la grève, à l’image des enseignants, ou n’entrent dans le conflit. Une dynamique qui, avec le spectre de la généralisation de la grève qui effraie le gouvernement, pourrait le contraindre à céder.

Du point de vue du pouvoir, les stratégies utilisées jusqu’à aujourd’hui contre la grève – de l’appel à la trêve pour Noël en passant par la stratégie du pourrissement des vacances – n’ont pas réussi à retourner l’opinion publique contre les grévistes. Politiquement, le gouvernement est dans une position insoutenable en essayant de faire passer de force une réforme très impopulaire, au point de remettre en question les perspectives de réelection de Macron. Le seul atout du Président dans la situation réside dans l’absence d’un plan à la hauteur du côté des directions syndicales, qui laisse penser à la population que le gouvernement pourrait réussir à imposer sa réforme. Ce fatalisme, lié au poids des défaites passées, est un enjeu clé. Une direction révolutionnaire devrait se donner comme tâche centrale d’y mettre fin, en commençant par donner confiance aux travailleurs les plus avancés de l’avant-garde ouvrière qui est en train de se réveiller.

D’un point de vue plus stratégique, les cheminots et les agents de la RATP sont en train de montrer à l’ensemble de la classe ouvrière comment il faut lutter. Il s’agit d’un acquis important du mouvement, qui a réhabilité la méthode de la grève reconductible et illimitée et qui aura nécessairement d’énormes répercussions pour les prochains combats de classe. Quel que soit le résultat de la lutte en cours, Gérard Noiriel, historien, a raison d’affirmer que « nous sommes actuellement dans une phase de gestation et de recomposition, un peu comme ce qui s’est passé à la fin du XIXe siècle quand l’ancien mouvement ouvrier des artisans des villes a été marginalisé par le mouvement ouvrier ancré dans la grande industrie. Aujourd’hui, il y a une phase d’interrogation, de doute et des nouveaux clivages qui me font penser à ce processus de transition et de gestation. En tout cas, quelle que soit l’issue de ce mouvement, il est certain que nous sommes entrés dans une période qui va être marquée par un fort développement des mouvements sociaux, non seulement en France, mais partout dans le monde ». Mais en dépit de cette perspective enthousiasmante, il convient aussi de remarquer, comme le note l’éditorialiste du Monde Françoise Fressoz, que « le mouvement social manque toujours d’une grande voix politique ».

Plus que jamais, nous avons besoin d’une grande voix politique capable de mettre en avant les intérêts historiques de l’ensemble du prolétariat, et notamment de ses couches les plus modestes. Les attaques réactionnaires de différents torchons d’extrême-droite à l’encontre de notre camarade Anasse Kazib démontrent à quel point la bourgeoisie craint l’émergence d’une direction du mouvement ouvrier français dont la voix, le programme et le visage soient internationalistes, à l’exact opposé de la politique social-chauvine de la direction historique du PCF après 1935 – dont le point culminant fut le pacte signé avec De Gaulle à la mi-1943 de façon à tenir en échec toute perspective de révolution ouvrière après-guerre.

L’entrée en scène de la classe ouvrière avec ses méthodes de lutte, le réveil de la conscience de classe d’une génération d’ouvriers, confirme doublement ce que nous affirmions au moment du début du soulèvement des Gilets jaunes, lorsque nous expliquions que « le pessimisme historique de l’extrême-gauche n’a plus aucun fondement ». Il faut donc revoir sérieusement toutes les « nouvelles » hypothèses qui ont été forgées à une époque de recul brutal pour les exploités comme l’a été la période qui s’est ouverte après la chute du Mur de Berlin avec la restauration capitaliste dans les pays soi-disant socialistes. Le retour de la lutte de classe qu’a inauguré à l’échelle mondiale le soulèvement des Gilets jaunes, la centralité de la grève générale comme méthode de lutte, posent avec une acuité renouvelée la question de la construction d’un parti révolutionnaire qui lutte pour l’hégémonie ouvrière. Un parti qui mette en avant et fasse émerger les idées révolutionnaires et qui affirme clairement qu’ « aucun compromis n’est possible avec le bloc bourgeois au nom de la défense contre l’extrême droite, aucune sympathie ne peut être démontrée aux nationalistes identitaires au nom de la bataille commune contre le bloc bourgeois », comme le note correctement l’économiste Stefano Palombarini dans son dernier article, « Après le bloc bourgeois ».

Les organisations qui revendiquent une telle perspective, nous-mêmes, en tant que Courant Communiste Révolutionnaire, tendance révolutionnaire du NPA, ainsi que les autres, devraient travailler de concert, en lien étroit pour aller vers la construction d’un véritable parti révolutionnaire qui défende la perspective du renversement du capitalisme, et son remplacement par le socialisme. Cette perspective est de plus en plus audible et réaliste car, comme le disait Trotsky, sous « la vieille écaille organisationnelle [qui] est encore loin d’avoir disparu », la colère et la détermination ouvrière forment une « nouvelle peau ». Alors qu’en pleine crise capitaliste mondiale la classe dominante n’a pas les moyens de mettre en œuvre des réformes sérieuses, cette classe ouvrière, vigoureuse, qui est en train d’émerger, pourrait bien être le fossoyeur du grand capital.

Paris, 05/01/20

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NOTES DE BAS DE PAGE

[1J. M. KEYNES, Can Lloyd George Do It ? [brochure écrite en 1929 avec Hubert Henderson
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