Alors que les salariés de Chevron, en Australie Occidentale, menacent de durcir leur grève, les marchés mondiaux du gaz naturel liquéfié (GNL) s’inquiètent. Depuis vendredi dernier, une grève a commencé sur les deux sites de production de Wheatstone et Gorgon, deux installations gazières situées en Australie occidentale, un territoire grand comme quatre fois la France mais aussi peuplé que le département du Nord. Depuis les installations de Wheastone, entourées par le désert, la ville la plus proche, Karratha, située à 300km, n’est peuplée que de 20 000 habitants.

C’est donc au milieu de rien qu’est en train de se jouer une grève qui pourrait impacter l’approvisionnement mondial en GNL. Dans cette zone, quatre installations gazières extraient et liquéfient le gaz naturel, dont deux sont opérées par Chevron, quatrième major pétrolière mondiale, juste devant Total Energie. L’Australie, quant à elle, est le premier exportateur mondial de GNL, devant le Qatar et les Etats-Unis, exportant 20,2% de la production mondiale, selon Reuters. Les deux installations Gorgon et Wheastone produisant 29% du gaz australien, soit 5,65% du gaz mondial.

Sur ces installations, qui rapportent des milliards de dollars aux entreprises pétrolières, les syndicats dénoncent les conditions de travail et les salaires trop bas. L’Offshore Alliance, le syndicat qui dit syndiquer près de 98% des salariés des plateformes, se bat notamment pour obtenir l’équivalent d’une nouvelle convention collective (un EBA, Entreprise Bargaining Agreement), sur les conditions de travail et de salaire. Depuis vendredi dernier, les 500 salariés des deux plateformes ont donc commencé une grève, qui est pour l’instant effective 11h par jour, mais celle-ci pourrait s’intensifier demain sur une grève reconductible 24h/24.

Les revendications des salariés sont nombreuses, et cherchent notamment à équilibrer les conditions de travail et de salaires avec une plateforme voisine, l’usine de Northwest Shelf, la plus importante du pays, où une grève a été évitée de justesse fin août par l’entreprise Woodside qui a fait de nombreuses concessions face à la menace d’arrêt de la production. Les travailleurs y ont gagné des augmentations de salaires mensuelles entre 1600 dollars australiens (1000€) et 4100 dollars (2500€), explique le journal régional WAToday ainsi que de meilleures conditions de travail. Il y a un an, une grève de 76 jours secouait le Prelude FLNG, une plateforme d’extraction flottante gigantesque. La major pétrolière Shell y avait perdu 1,5 milliards de dollars australiens (900 millions d’euros).

Si ces augmentations de salaires peuvent paraître énorme, il faut rappeler que l’inflation australienne se situe autour des 8%, mais surtout que les conditions de travail de ces raffineurs sont particulières. En effet, tous les salariés de ces installations perdues au milieu de nulle part habitent à Perth, la capitale régionale, située à 1400km des installations. Généralement, les travailleurs font trois semaines de travail à la suite pour une semaine de repos, avec des allers-retours en avion. C’est pourquoi, au-delà des augmentations de salaires, les grévistes demandent le paiement des retards sur les vols, ainsi qu’être payés à temps pleins quand les cyclones les empêchent de rentrer dans leurs familles.

Finalement, c’est aussi contre le management agressif que les salariés se mobilisent : sur sa page facebook, le syndicat Offshore Alliance dénonce « une culture toxique du travail ». 27% des salariés jugent le comportement dénigrant et humiliant de la direction comme un problème majeur, et 57% des salariés disent avoir été témoins ou avoir été victime de harcèlement et d’intimidations sur le lieu de travail. Le syndicat conclue : « la culture de travail chez Chevron est aussi toxique que le mercure et les benzènes auxquels elle expose ses travailleurs sur les installations ».

Face à la grève, pour l’instant, Chevron ne veut rien entendre, et a déjà lancé des procédures juridiques contre les grévistes. Dans le même temps, la cinquantaine de travailleurs sous-traitants sur la plateforme de Gorgon a été évacuée par avion il y a quelques jours pour éviter que la grève ne s’étende. Finalement, le gouvernement d’Australie Occidentale a déjà menacé les salariés d’interdire la grève, réquisitionnant de facto les grévistes, au motif que l’arrêt des installations pourrait menacer l’approvisionnement en gaz de l’Etat et donc la production électrique. Il faut ajouter que l’arrêt de ces deux usines, produisant 5,65% du gaz mondial, ont déjà des conséquences sur les marchés mondiaux : les prix du gaz européens sont passés de 32,75€ le mégawattheure à 35,85€, soit une augmentation de 9%. Pour Chevron, ces grèves pourraient coûter près de 49 millions de dollars américains par jour, selon EnergyQuest.