A la première heure ce lundi matin, ils ont installé un piquet de grève et bloqué l’entrée du site. Ils ont été des centaines à se regrouper toute la journée dans une ambiance chaleureuse, autour de feux de palettes, de prises de paroles et sur fond de musiques engagées dont le célèbre refrain d’HK Les Saltimbanks « On lâche rien ». Toute une organisation s’est mise en place pour tenir dans la durée : tentes, réchauds, plannings de roulement pour assurer une occupation 24h/24, certains apportent de la nourriture, et la solidarité est énorme, en témoignent les nombreux messages reçus sur les réseaux sociaux : « Bon courage ! Ne lâchez rien ! », « Haut les cœurs mes frères de lutte », « On est avec vous », « Bon courage les camarades ! », « Demain j’apporte des bûches ».

Interview de Werner Le Doare, représentant CGT au CHSCT de SIDEL

Propos recueillis par Flora Carpentier

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous mettre en grève ?

Pendant plus de trois mois, on a cherché à dialoguer avec la direction. On a nous-mêmes étudié toute une réorganisation du site, qui emploie 820 salariés et dont ils veulent en licencier 209. Avec l’intersyndicale, on a récupéré plein de données, on s’est réunis soixante fois et on leur a démontré qu’il n’y avait aucune raison de licencier. On a mené une grosse étude, en allant dans chaque service, qui nous a permis de défendre chaque poste de travail. Et comme la direction n’avait aucun argument à nous opposer, au fur-et-à-mesure, ils ont cherché le conflit, on a senti que le ton montait de leur côté. On a démontré que des salariés, des opérationnels, pouvaient faire mieux que des "top-managers", sont des carriéristes et dirigent depuis la Suisse un groupe de 5000 personnes. Et ça, ça ne leur a pas plu.


Pourtant on travaille pour des grandes comptes comme Coca-Cola, Evian… Dans le monde, environ une bouteille d’eau en plastique sur deux est fabriquée par SIDEL. A Octeville, on fabrique les machines qui soufflent les bouteilles en plastique. A Parme en Italie, ils réalisent le remplissage des bouteilles, et dans l’est de la France, c’est la fin de ligne avec le conditionnement des bouteilles sur les palettes, etc. Nous, on produit 150 à 200 machines par an, on fabrique les moules aussi. Il y a ici un haut niveau technologique, des emplois qualifiés. Le site est largement bénéficiaire, donc on ressent une profonde injustice. La négociation a permis de sauver une vingtaine de postes, mais ce n’est rien, nous n’acceptons aucun licenciement. Le plan touche 30% des effectifs pour le moment, mais on sait très bien qu’à terme, leur but c’est de fermer le site pour délocaliser en Italie. C’est quelque chose qu’on a compris très vite en analysant leurs plans. Si l’on compte toutes les entreprises sous-traitantes qui travaillent pour SIDEL, on estime qu’il y a environ 2600 familles qui seraient impactées par la fermeture. C’est énorme quand l’on sait que le bassin havrais compte 260.000 habitants ! Mais ils se fichent complètement des familles, ça leur passe au-dessus de la tête ! Donc on a réuni les salariés et de manière démocratique, on a voté à l’unanimité la grève journalière reconductible.

Comment vous organisez votre lutte au quotidien ?

Il y a eu une alliance sur les syndicats du site, en sachant que la CGT est majoritaire à 59%, avec la CFDT, la CGE-CGC et l’UNSA. Tous les jours, on vote pour savoir si on reconduit la grève. Aujourd’hui tout le monde était en grève, et pour les prochains jours, on a mis en place un système de roulement jour et nuit, 24h/24, qui permet aux salariés ayant plus de difficulté financière de continuer à travailler. Toute la chaîne de production est au ralenti.


Et tous les jours, il y a des délégations de travailleurs d’autres sites qui viennent nous soutenir, comme les portuaires du Havre, des salariés de l’industrie pétrochimique,… les informations circulent beaucoup au sein de la CGT et des réseaux sociaux. On est arrivés à avoir une très grande audience sur notre page Facebook, on est montés jusqu’à 16000 visites ! On touche beaucoup de monde. Et puis on a mené des initiatives de solidarité financière : on a organisé un concert le 8 octobre, on a vendu des tee-shirts, etc.

Ce qui aide, c’est qu’on est nombreux à se connaître en dehors de l’usine, donc on est vraiment soudés, l’ambiance est bonne. Les gens sont déterminés, on va aller jusqu’au bout.