La faute à Bruxelles

Pour que les choses soient claires, et sans s’encombrer de trop de fioritures, il s’agit de désigner un ennemi. A l’origine de la crise, le capital ? Que nenni. Berlin, évidemment. Ce que Mélenchon décrit à longueur de paragraphes dans Le hareng de Bismarck, il le synthétise en quelques lignes dans cette interview : « l’Europe a été annexée par le gouvernement allemand ». Admettons que cette espèce de resucée stalinienne version 2.0 ait une quelconque pertinence, quelle serait la solution de Mélenchon ? Un grand mouvement du monde du travail à échelle européenne ? Mais non ! La France, notre cher pays, suffit. « Je mise sur la puissance de la France, dit-il, si nous la dirigeons [avec un nous de majesté d’une grande immodestie], pour changer le cours des choses ». Marine Le Pen déclarait, il y a peu, au sujet de la dette grecque et du chômage en France, que le responsable de tout cela était « l’hyper-austérité allemande ». Mélenchon, lui, veut un « protectionnisme solidaire, une harmonisation sociale et fiscale progressive (…) pour une Europe des conquêtes sociales ».

La faute aux alliances avec les socialistes

De façon spéculaire à ce que prône l’extrême droite avec la droite classique, à savoir « la rupture » ou l’autonomie, Mélenchon propose la même solution pour la gauche radicale. Sur cet élément, au moins, il y a une certaine cohérence chez lui. Syriza et Podemos, dans la courbe ascendante qui a été la leur, ont misé sur une indépendance totale vis-à-vis des partis traditionnels, notamment à l’égard de la social-démocratie espagnole et grecque. Cela n’a pas empêché, bien entendu, Podemos de passer des accords locaux avec les socialo-corrompus espagnols ou Tsipras de gouverner avec l’extrême droite d’ANEL. Mais qu’importe. Tout ceci n’est que broutille pour Mélenchon. Le problème pour lui, c’est surtout que ses partenaires naturels, à savoir le PCF et les écolos, ne décrochent pas de leur stratégie de strapontin permanent vis-à-vis du PS, malgré leurs oscillations.

La nouvelle équation

Niveau programme, Mélenchon « innove » et plaque ce qui a pu faire le succès d’un Podemos sur le panorama politique hexagonal : « une alliance entre les classes moyennes et le programme écosocialiste ». La combinaison « mouvement plébiscitaire » et « personnalisme du chef » qui caractérise, pour partie, Podemos et Pablo Iglesias, pourrait parfaitement convenir à Mélenchon, on en convient. Mais comme on n’est jamais plus clair que lorsqu’on parle à la première personne, il est intéressant de s’attarder sur le degré de « radicalité » de l’équation proposée par le chef du Parti de Gauche : classes moyennes + écosocialisme + mouvement…

Quand on le pousse dans ses retranchements, d’ailleurs, il cède sur toute la ligne. L’opposition « frontale » qu’il prône, vis-à-vis « du système », a eu un impact réel, selon lui. Elle aurait obligé « les socialistes à bouger [où ? comment ?] et à passer sur notre terrain [!] avec le discours sur la finance ». Mélenchon affectionne, sur son blog, le terme normatif et quasi-eugéniste (en tout cas, peu humaniste) « d’idiot du village ». Peut-être devrait-il l’appliquer avec davantage de discernement.

Des mots, ou des coups ?

En parallèle de son ami Tsipras, « qu[‘il] connaît » et en qui il a « confiance », il reconnaît que ceux que le Premier ministre grec a devant lui sont d’une « dureté » extrême. Face à Christine Lagarde, Jean-Claude Juncker et Mario Draghi, représentants de la Troïka, il faudrait donc, a minima, opposer une « dureté et demie », voire le double. Mélenchon se contente d’avoir confiance et, pour la France, en guise de grande dureté il se contente de son mot d’ordre « révolutionnairecomme celui de la VIème République ».

« L’échange des mots, dit Bernard-Marie Koltès dans la ‘Préface’ de Dans la solitude des champs de coton, ne sert qu’à gagner du temps avant l’échange des coups ». Mélenchon, sous ses dehors de « dur à cuire », absolument seul contre tous, privilégie les mots, les mots les plus erronés, de surcroît, et c’est tout. Non seulement il ne nous prépare pas « aux coups » mais il désarme face à ceux qui continuent à pleuvoir sur nous. Voilà une autre leçon à tirer, pour l’extrême gauche, notamment le NPA, si elle ne veut pas être « indétectable », ce que Mélenchon reproche au Front de Gauche. Elucubrations sur Bruxelles, autonomie vis-à-vis du PS et suivisme syrizo-podemosiste ne font pas une politique révolutionnaire. Mais de surcroît, ces mots d’ordre nous aplatissent sur les pires positions de Mélenchon.