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Etat policier

Meurtre de Nahel. Comment Macron et ses lois ont encouragé les meurtres policiers

Face aux révoltes contre le meurtre de Nahel par la police, le gouvernement a d’abord cherché à se dédouaner, rejetant l’ensemble de la faute sur le policier qui a tué le jeune homme. En réalité, 6 ans de macronisme et de lois sécuritaires ont contribué à augmenter le nombre de crimes policiers.

Antoine Weil

4 juillet 2023

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Meurtre de Nahel. Comment Macron et ses lois ont encouragé les meurtres policiers

En temps normal, les autorités ont pour habitude de contester la véracité des faits de violences et de meurtres policiers. Cette fois, une vidéo accablante et le risque de révolte qu’elle pouvait entraîner ne pouvaient être ignorées. Aussi, le gouvernement a-t-il d’abord reconnu le caractère « inexcusable » et « inexplicable » du meurtre d’un adolescent de 17 ans par un policier. Avant de préciser le lendemain par l’entremise de son porte-parole : « Ce n’est pas la République qui est en garde à vue, ce n’est pas la République qui a tué ce jeune homme ».

En d’autres termes, l’Etat a d’abord cherché à charger seul le policier coupable du meurtre de Nahel, et à l’utiliser comme prétexte pour délégitimer la contestation et criminaliser la révolte, comme l’attestent les plus de 3400 interpellations après 6 jours d’émeutes ainsi que le traitement judiciaire d’exception réservé aux habitants de quartiers populaires et à leurs révoltes. Il y aurait à comprendre, nous dit le gouvernement, que le meurtre de Nahel est simplement dû à l’action isolée d’une brebis galeuse qui aurait commis une bavure.

Force est de constater pourtant que les 6 années au pouvoir d’Emmanuel Macron, la multiplication des lois sécuritaires, le renforcement de la présence et de l’armement policier et la carte blanche donnée aux syndicats de police ont largement contribué à augmenter le nombre de meurtres policiers. De quoi remettre sous le feu des projecteurs, et cela d’autant plus dans les quartiers populaires, la réalité systémique de la répression policière et de sa violence.

Sous Macron, une explosion des meurtres policiers et une impunité assurée

En février 2017, Bernard Cazeneuve fait voter la loi favorisant l’utilisation d’armes à feu pour des « refus d’obtempérer », qui a eu comme conséquence directe la multiplication des meurtres policiers lors de contrôles routiers. Cette loi, qui stipule que « les agents de la police nationale (...) peuvent faire usage de leurs armes (...) lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules (...) dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui »est votée sous Hollande, mais le pouvoir macroniste s’est chargé de l’appliquer, et de garantir l’impunité pour les meurtres policiers.

Ainsi, comme le souligne Bastamag dès aout 2017 l’IGPN et le procureur de la République s’appuient sur cette loi pour justifier le meurtre de Luis Bico à Châlette-sur-Loing (Loiret), tué par la police. Les années suivantes du gouvernement Macron vont donc permettre la prolifération des meurtres policiers : à partir de 2020, le nombre de de personnes tuées par un tir des forces de l’ordre va doubler, avec 44 personnes tuées en 2021 et 2022, comme l’explique Bastamag dans un article récent. En 2022, 13 personnes non-armées sont mortes des mains de la police lors d’un contrôle routier, deux fois plus que l’année précédente.

Après les meurtres, l’Etat s’organise pour assurer l’impunité de la police. Lorsqu’ils échouent, il mène une répression judiciaire féroce contre les victimes. Nordine, criblé de 7 balles à la suite d’un contrôle par la BAC en 2021, nous expliquait en effet : « Alors que je sortais à peine de l’hôpital à cause des balles, j’ai été placé en garde à vue et je suis passé en comparution immédiate. J’étais sous contrôle judiciaire, alors que j’étais encore en convalescence je devais aller pointer toutes les semaines au commissariat de Persan et j’étais interdit d’aller dans le 93, département où avait eu lieu le contrôle ». Au final, il sera condamné à 2 ans de prison aménageable et 1 000 euros de dédommagement pour chacun des 3 policiers de la BAC l’ayant attaqué, et à la prise en charge de leurs frais d’avocats.

Un an plus tôt, quelques semaines après le meurtre de Cédric Chouviat, étouffé par la police, Gérald Darmanin déclarait « quand j’entends le mot violences policières, je m’étouffe ». Une illustration, parmi d’autres, du fait que l’impunité policière, en tout temps, n’est pas un malheureux dysfonctionnement d’une institution à la dérive, mais une partie consciente d’un système répressif que la macronie s’est consciemment mise en tête de renforcer, notamment par un ensemble de lois sécuritaires.

Macron au pouvoir : 6 ans de lois sécuritaires et de renforcement policier dans les quartiers populaires

Outre l’application zélée de la loi de 2017, le macronisme a multiplié les lois sécuritaires pour augmenter les prérogatives de la police et renforcer l’encadrement des quartiers populaires. Loi anti-casseurs, loi sécurité globale, loi séparatisme, le premier quinquennat de Macron a facilité l’armement de la police municipale et lui permet désormais de distribuer des amendes et de dresser des procès-verbaux pour renforcer le harcèlement raciste. Il a également favorisé l’usage de drones à la discrétion des préfets. Enfin, la loi Sécurité Globale prévoit que « la provocation à l’identification d’un agent de la police nationale [...] dans le cadre d’une opération de police » soit punie jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000€ d’amende. Cette disposition n’a pas manqué d’être utilisée contre les jeunes qui se révoltent cette semaine : un jeune homme de 20 ans a ainsi été condamné à un an de prison ce jeudi pour avoir relayé la ville de résidence du meurtrier de Nahel sur Snapchat.

Le second mandat de Macron s’est ensuite ouvert sur la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi) discutée cet automne au Parlement. Elle a notamment servi au gouvernement, avec l’appui des députés PS de la NUPES, pour durcir la répression en cas de refus d’obtempérer, à savoir le motif même du meurtre de Nahel. Comme l’explique Elsa Marcel, avocate et porte-parole de Révolution Permanente, la Macronie a en effet choisi de punir de 3 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende une infraction « construite par la police pour se couvrir quand elle commet des violences […] au même titre que l’outrage à agent. Cela permet a posteriori de justifier le harcèlement et les crimes policiers, en particulier dans les quartiers populaires ».

Enfin, dans le contexte de l’offensive autoritaire post-réforme des retraites, Darmanin a annoncé l’objectif de 30 000 policiers supplémentaires d’ici au JO 2024, dans le but assumé de « saturer l’espace public de policiers ». Aussi, comme le note Paul Rocher dans un article pour Contretemps : « Contrairement à un mythe très répandu selon lequel la police aurait subi l’austérité comme tout le service public, nous avons démontré dans Que fait la police ? qu’elle a en réalité connu une hausse sans précédent de ses moyens sur cette période [les trente dernières années] : + 35 % (bien supérieure à la hausse des moyens alloués à l’éducation au cours de la même période : 18%). Les effectifs policiers ont augmenté dans des proportions similaires. La dernière loi de programmation du ministère de l’intérieur, votée fin 2022, prévoit d’aller encore plus loin en accordant près de 15 milliards supplémentaires dans les cinq années à venir. […] Cette évolution indique que la police est matériellement en mesure d’exercer une emprise inédite sur la société. Cette dernière se traduit entre autres par des contacts plus réguliers avec la population, qui constituent autant d’occasions de déploiement des préjugés dont se caractérise l’institution. »

Face à la lutte des classes, nouvelle offensive sécuritaire

L’augmentation considérable après 6 ans de macronisme des effectifs, des moyens et des prérogatives de la police, lui laissant le champ libre pour procéder au harcèlement et aux violences racistes dans les quartiers populaires, n’est en outre pas étranger à la lutte des classes intense qui parcourt le pays. Ainsi si dans les périodes de prospérité relative, le caractère fondamentalement répressif de l’institution policière apparaît à une échelle moins large, restant cantonné aux moments d’explosions ou aux marges de la société, par exemple dans les quartiers populaires où l’oppression policière ne connaît jamais d’interruption, dans les moments de crise comme ceux que nous vivons depuis ces dernières années, les formes de répression plus brutales deviennent plus systématiques.

Ainsi, aux Gilets Jaunes, aux grévistes de la SCNF et la RATP à l’hiver 2019-2020, puis à la masse des jeunes et travailleurs pendant la réforme des retraites, le macronisme a répondu par une répression féroce, la mobilisation de techniques répressives habituellement réservées aux quartiers populaires, un déploiement considérable de forces de police et le recours massif aux arrestations notamment contre le mouvement des retraites de 2023, ce que le collectif étudiant Le Poing Levé a documenté lors de sa campagne contre la répression.

Le meurtre de Nahel, d’ailleurs, intervient en outre dans une séquence marquée par un violent durcissement autoritaire en réponse à une profonde crise du régime. Matraquage des manifestants, réquisition des grévistes contre la réforme des retraites, interdictions des manifestations, dissolution des Soulèvements de Terre : ces derniers mois, Macron a fait un nouveau saut dans son offensive autoritaire pour tenter d’écraser la contestation sociale.

Dans ce contexte, le rôle central de la police pour maintenir « l’ordre » de la bourgeoisie est toujours plus mis à nu. Ce n’est ainsi pas un hasard si la politique des gouvernements successifs ces dernières années a été de lâcher la bride à la police, de renforcer son impunité mais aussi de céder systématiquement aux revendications de ses syndicats. Un exemple instructif parmi d’autres : en juin 2020, alors que le comité Adama organise des marches historiques contre les violences policières, les syndicats de police Alliance et Unsa s’insurgent de concessions très limitées accordées par le gouvernement concernant les méthodes d’interpellations, manifestent devant le ministère de l’Intérieur, et le font reculer en quelques jours.

Soutenir la révolte des quartiers populaires, combattre les violences policières

Alors que des révoltes ont surgi dans les quartiers populaires ces derniers jours en réaction au meurtre de Nahel, l’Etat continue de développer et renforcer les mesures d’exception. Les couvre-feux ou les interdictions pour les mineurs de se déplacer le soir, même accompagnés, dans de nombreuses villes, la fermeture des transports de bus et tramway dans tout le pays à 21h, et le déploiement de brigades anti-terroristes et de blindes de la gendarmerie témoignent de cette accélération. Ce renforcement de grande ampleur de la répression dans les quartiers populaires a donné à voir des scènes d’une extrême violence, ici un jeune au sol mis en joue par un fusil à pompe du Raid à Lille, là un autre dans un état de grave après un tir du Raid en Meurthe-et-Moselle ainsi qu’à un traitement juridique d’exception et de grande ampleur.

Le meurtre de Nahel et celui des nombreuses victimes avant lui, est le produit du rôle coercitif de l’institution policière, et de sa répression visant spécifiquement les quartiers populaires qui constituent pour le pouvoir une forme de colonie intérieure. Ce meurtre et tous les autres ont été encouragés à une échelle nouvelle par Macron et des mesures législatives renforçant les prérogatives policières, le développement de nouvelles pratiques répressives et le renforcement de l’impunité policière.Alors que le gouvernement est en train d’opérer un nouveau tournant répressif en réponse aux révoltes comme le réclament des secteurs du régime, face à l’offensive autoritaire et les violences policières, il y a urgence à construire une riposte d’ensemble.

Lire aussi : Révoltes dans les quartiers populaires : le mouvement ouvrier doit construire une riposte d’ensemble !


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