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Mouvement des agriculteurs

Moins d’écologie, plus d’exploitation : l’exécutif donne de nouveaux gages à la FNSEA

Un mois après le début de la mobilisation des agriculteurs, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé de nouvelles mesures afin de prévenir toute reprise d'un mouvement. Nouveau projet de loi Egalim, baisse du contrôle des pesticides, … des annonces qui visent avant tout à contenter la FNSEA plus qu’à résoudre les problèmes de fond des agriculteurs.

Antoine Chantin

21 février

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Moins d'écologie, plus d'exploitation : l'exécutif donne de nouveaux gages à la FNSEA

À trois jours de l’ouverture du Salon de l’Agriculture et un mois après le début d’un mouvement de contestation largement suivi par le secteur agricole, le Premier Ministre, Gabriel Attal, annonçait en conférence de presse à Matignon, ce mercredi 21 février, une série de mesures afin de mettre définitivement fin à cette séquence. Entre autres, une énième et abstraite refonte de la loi Egalim, la facilitation d’attribution des visas pour les saisonniers étrangers, et surtout, de nouveaux reculs dans le domaine environnemental. Ce faisant, le premier ministre accorde de nouveaux gages à la FNSEA, et les intérêts de l’agro-industrie et des gros exploitants qu’elle représente, toujours au détriment des agriculteurs pauvres. Des concessions qui illustrent la volonté du Premier ministre de mettre fin, quoi qu’il en coûte, à une colère paysanne qui continue d’exister, malgré la contention qu’exercent les principaux syndicats du secteur.

Cherchant à apparaître comme le chef d’une « majorité [dont aucune autre] n’aura fait autant en si peu de temps pour l’agriculture », Attal a ouvert son intervention en affirmant être à l’écoute des « agriculteurs [qui] ont fait entendre un cri de colère, un cri qui vient de loin ». Pourtant, loin d’être à l’écoute d’un monde agricole sévèrement touché par l’inflation, la crise climatique et l’aggravation des conflits armés sur le continent, les annonces d’Attal démontrent une fois de plus toute l’attention que l’exécutif accorde aux principaux porte-voix de l’agrobusiness, la FNSEA et les Jeunes agriculteurs, avec lesquels il avance main dans la main depuis les premières mobilisations.

Nouvelle loi Egalim, une annonce en trompe-l’oeil face aux géants de l’agro-industrie

Point central de la conférence de presse, la loi Egalim a une nouvelle fois été mise sur la table. Ce dispositif, initialement adopté en 2018, modifié une première fois en 2021 puis à nouveau en 2023, devait permettre de créer un certain rapport de force au profit des agriculteurs, dans les négociations sur les prix avec les grands groupes de la distribution. Annonçant une nouvelle loi Egalim, Attal a notamment affirmé que « Les fraudeurs doivent être sanctionnés, les contrôles se multiplient et les sanctions seront au rendez-vous », annonçant « d’ici à l’été (…) un nouveau texte de loi pour renforcer le poids des agriculteurs dans les négociations commerciales ». Des annonces bien vides, comme l’a lui-même souligné le premier partenaire de l’exécutif sur la question, la FNSEA, qui note, par la voix de son porte-parole, que le Premier ministre « a clairement fixé un cap, mais il faut que cela se traduise (…). Le projet de loi d’orientation ne cesse d’être modifié, on ne sait pas trop où on en est ».

Le mouvement de contestation du mois de janvier, en grande partie initié sur la problématique des revenus et leur contraste criant avec les fortes marges de la grande distribution, a démontré toute la vacuité et l’inefficacité d’Egalim. Pour Attal, cependant, « la loi en elle-même constitue un progrès par rapport au régime qui préexistait, c’est-à-dire la loi de 2009 qui donnait les pleins pouvoirs à la grande distribution ». Difficile pourtant de percevoir ce progrès, quand en 2017, le revenu mensuel moyen d’un éleveur ovin s’établissait à 620€, 1100€ pour un éleveur bovin et lorsque 30% des cultivateurs de céréales déclaraient un revenu nul ou déficitaire. Car loi Egalim ou pas, l’organisation du secteur agricole n’a jamais cessé d’être dirigée vers le profit des plus grandes coopératives, des spéculateurs et de la grande distribution. Cette dernière s’est tout simplement adaptée aux diverses révisions législatives et aux projets de loi successifs, afin de maintenir ses intérêts économiques intacts. Ainsi, les grands groupes de la distribution se sont réunis en véritables cartels, à l’échelle du continent européen, afin de faire pression sur les producteurs et ainsi obtenir les meilleurs prix d’achat. Dès 2016 Leclerc s’associait ainsi avec des groupes allemand et néerlandais pour fonder Eurelec Trading, sa centrale d’achat basée à Bruxelles. Carrefour et Système U lui ont très vite emboîté le pas, créant, en 2022, leurs propres centrales d’achat, Eureca et Everest, basées respectivement en Espagne et aux Pays-Bas.

Si le gouvernement a conscience des stratégies de contournement mises en œuvre par la grande distribution, l’annonce de cette énième révison de la loi Egalim ne donne aucune perspective concrète permettant de lutter contre ces Goliaths de l’agro-industrie.

Moins d’écologie, plus d’exploitation : l’exécutif donne des gages au syndicat patronal de la FNSEA

Du côté de l’environnement, l’exécutif cède encore aux revendications libérales et anti-écologiques de la FNSEA, dans la droite lignée de la suspension du Plan Ecophyto déjà annoncée début février. Il prévoit « une dizaine de mesures de simplification », au premier rang desquelles la question des pesticides et des normes environnementales.

La réforme la plus drastique est l’abandon du Nodu, l’indicateur jusque-là utilisé en France pour mesurer l’usage des pesticides par les exploitants, au profit de l’indicateur européen, le HRI-1. Une mesure saluée par la FNSEA qui favorisera un outil « totalement trompeur », qui « favorise les pesticides les plus toxiques », pour l’ONG Générations Futures. En effet, ce changement d’indicateur ouvre la voie à une féroce bataille sur le classement des substances chimiques, et pourrait permettre, comme le souhaite le syndicat agricole, un plus grand usage de ces produits.

Car, là où le Nodu, créé en 2008, est obtenu par un calcul du volume de produits phytosanitaires utilisés par hectares, l’indicateur plébiscité par les exploitants et qui émane de la Commission européenne, ne prend pas en compte la surface traitée mais la quantité de produits vendus à l’échelle européenne, le tout pondéré par un facteur de 1 à 64 selon la dangerosité du produit. Or cet indicateur pourrait avoir des nombreux impacts. D’une part, il pourrait défavoriser l’agriculture biologique, dont les pesticides « sont souvent à fort grammage par hectare. Le rapport de dangerosité de 1 à 64 est insuffisant pour compenser ces forts grammages », selon Nicolas Munier-Jolain, ingénieur de recherche à l’Inrae de Dijon. D’autre part, cet indicateur permettra au gouvernement de présenter des chiffres qui appuieront sa politique d’inaction environnementale. Dorian Guinard, professeur de droit de l’environnement,, prévient : « en changeant d’indicateur, le gouvernement peut présenter un plan qui montre que l’utilisation a diminué alors que l’indicateur actuel montre l’inverse ».

Le projet de loi annoncé par Attal prévoit également « la sécurisation juridique des activités agricoles et forestières au regard du droit de l’environnement, notamment sur la question de l’échelle des peines ». Une mesure qui accorderait une présomption d’urgence aux projets prévoyant des retenues d’eau ou des agrandissements d’infrastructures liées à l’élevage. Une nouvelle fuite en avant écocide donc et au service d’une rhétorique populiste opposant agriculteurs et préservation de la planète, entre dénonciation de la décroissance ou de la "viande de la synthèse" qui ne ferait pas partie de notre culture et critique des "citadins venus s’installer à la campagne".

Enfin, Attal a promis de « faciliter grandement l’attribution de visas » pour permettre de favoriser l’embauche des travailleurs saisonniers étrangers, en désignant le secteur agricole comme secteur dit « en tension ». Les employeurs seront également exonérés de cotisations patronales sur la « quasi-totalité des emplois saisonniers agricoles ». Des mesures qui, en somme, faciliteront encore l’exploitation et la précarité des ouvriers agricoles et des étrangers, sans répondre aux préoccupations premières des petits agriculteurs.

Un exécutif fragile face à la colère qui ne retombe pas

Plus qu’un « point d’étape » sur l’avancé des mesures qu’Attal avait annoncé fin janvier, ces annonces cherchent à endiguer les nombreuses manifestations de colère qui perdurent. Une nécessité d’autant plus pressante pour l’exécutif, que le Salon de l’Agriculture doit ouvrir ses portes ce samedi. Depuis le début de la semaine, le mouvement a connu un léger ravivement. A Marseille, l’aéroport, la gare et un musée ont été bloqués ce lundi par la FRSEA en Provence-Alpes-Côté-d’Azur. L’autoroute A62 à été totalement bloquée entre Agen et Montauban, tandis que ce mardi soir, une trentaine d’agriculteurs ont mené un action coup de poing en barrant la route à un camion du géant Lactalis, transportant 30.000 litre de lait, pour « faire revenir Lactalis à la table des négociations pour qu’ils discutent du prix du lait avec les producteurs ».

Alors que les braises de la colère des agriculteurs restent vives, la FNSEA et les Jeunes Agriculteursont d’ores et déjà annoncé des premières actions et appelé à former un cortège d’agriculteurs pour se diriger vers le Salon et camper jusqu’à la venue, ce samedi, d’Emmanuel Macron. Un appel également suivi par la Coordination rurale qui appelle à une manifestation des agriculteurs, le même jour, dans la capitale.

Face à une industrie agro-alimentaire qui a doublé son profit brut entre 2022 et 2023, et la grande distribution qui a largement augmenté ses marges, les mesures d’Attal, ne résoudront en rien la crise que vivent les paysans. Face à la crise sociale et climatique en cours, l’issue ne peut ainsi venir que d’une alliance entre les travailleurs et les agriculteurs, dans une unité qui trouve un point de rencontre évident dans la lutte contre l’inflation, pour la hausse des salaires et le contrôle des prix qui désigne un ennemi commun : les grands patrons de l’industrie agro-alimentaire. Une perspective qui impose plus que jamais de dégager la FNSEA et son corrolaire d’extrême-droite, la Coordination rurale, de la direction des mobilisations des agriculteurs.


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