Si l’affaire Orpea a révélé l’inhumanité des conditions de vie dans certains Ephads, la situation au sein des Jardins de l’Alouette à Pessac en est un nouvel exemple dramatique. Dans cette structure où en moyenne soixante-deux résident·e·s permanents sont accueillis, entre malpropreté, dénutrition, déshydratation, la maltraitance des patient·e·s n’est plus supportée par le personnel qui est entré en grève début février. Au cœur des revendications, l’achat de matériel adapté, l’arrêt provisoire des admissions et le recrutement de personnel supplémentaire.

Matériel défectueux : la vie des patients est mise en danger

Manque de matériel, sous-effectif, maltraitance, tout pousse le personnel de l’Ehpad Les Jardins à l’Alouette à entrer en grève. C’est au Relais H, loin de l’Ehpad pour rester discrètes, que nous avons rencontré Delphine, déléguée syndicale de la CGT Hôpital Sud, et Cécile*, infirmière au sein de l’établissement. Les traits tirés par la fatigue, Delphine et Cécile nous ont raconté la descente aux enfers des Jardins de l’Alouette. Au départ, l’établissement devait accueillir des patients atteints d’Alzheimer ou déments. La structure avait donc été pensée pour qu’ils puissent déambuler. Aujourd’hui, elle n’est plus adaptée. Delphine, qui a eu l’occasion d’observer les conditions de travail et de séjour au sein de l’Ehpad témoigne « Ils ont des patients qui ne devaient pas faire leur de fin de vie ici. Il était prévu que dès qu’ils développent des pathologies lourdes, ils soient réorientés en médecine, dans des services adaptés. »

Or, pour prendre en charge les pathologies lourdes que ces patient·e·s ont développées en vieillissant, il faudrait du matériel adapté, qu’elles n’ont pas. Cécile : « On manque de matériel comme des pieds à perfusion, des coussins de positionnement, des chariots, des fauteuils… Nous n’avons pas de matelas à air pour les patients qui ne se lèvent plus ou sont en fin de vie. » Cela a des conséquences dramatiques sur la santé et la sécurité des patient·e·s. Delphine nous raconte en ce sens que « les patients alités finissent avec des escarres parce qu’ils n’ont pas les matelas qu’il faut, des escarres qui deviennent ensuite purulents… » Et Cécile d’ajouter « On court après les pieds à perfusion alors que certains patients ont besoin qu’on leur pose une hydratation sur la nuit. »

Une situation de maltraitance que le personnel ne supporte plus. Pourtant, ce n’est pourtant pas faute d’avoir alerté la direction sur cette situation, les syndicats ayant déposé un sujet CHSCT en septembre 2018, relevant le manque de personnel et de matériel. Sans qu’aucun matériel supplémentaire ne soit arrivé sur les lieux, s’indigne Delphine, « elles vont jusqu’à récupérer le matériel de réforme [matériel défectueux, qui ne peut plus être utilisé] dans le bâtiment d’en face ! »

En sous-effectif constant : le personnel est à bout

Outre le manque de matériel, la structure manque également de personnel pour prendre en charge les résident·e·s en fin de vie. « Nous n’avons pas de kiné, nous explique Cécile, pour aider au maintien à la station debout des résident·e·s par exemple. » Il faut également ajouter que l’assistante sociale, qui a démissionné, n’a jamais été remplacée et qu’un poste de psychologue sur la structure est toujours vacant.

« On marche au minimum, nous explique Cécile, une infirmière et trois aides-soignantes pour l’ensemble de l’Ehpad avec 62 patients. » Le manque de personnel et de matériel engendre des conséquences dramatiques pour les résident·e·s. Delphine nous raconte : « alité, ça veut dire des repas dans les chambres, sauf qu’avec trois aides-soignantes, ce n’est pas possibles. Donc, quand il y a une prescription de substituts protéinés elles en abusent, elles n’ont pas le choix. » Dans ces conditions, les situations de maltraitance se multiplient. En sous-effectif, et sans matériel adapté, le personnel n’est pas en mesure d’accompagner dignement les fins de vie des patient·e·s. Un exemple survenu il y a peu illustre les conséquences dramatiques de cette situation : « Il y a un résident qui est mort seul, enfermé dans sa chambre, nous confie Delphine. Il s’était fait frapper par un autre résident, elles ont dû l’enfermer dans sa chambre pour le protéger. Sauf qu’il est mort, seul, des suites des blessures... »

Cette situation est très mal vécue par les soignant·e·s. Cécile déplore ainsi : « On ne nous considère pas, mais on ne les considère pas surtout. » Elle se confie : « Moi je suis rentrée chez moi hier, il était 22h30, je n’étais pas tranquille. Je sais que je ne fais pas un travail satisfaisant. Mais je ne sais pas ce que je pourrais faire de plus aujourd’hui. »

Assignation et intimidation : le personnel méprisé par sa direction

En sous-effectif constant, tout·e·s les grévistes des Jardins de l’alouette sont aujourd’hui assigné·e·s. Un taux d’assignation qui reflète une situation nationale dans les services de santé, et représente un véritable obstacle au droit de grève pour le secteur.

Une situation qui s’explique également par des pratiques d’intimidation et de répression au sein des structures de santé. Le cas de Charlène*, porte-parole de la grève des Jardins de l’Alouette est significatif : « Elle a été convoquée par la cadre supérieure, nous explique Delphine, là elle a eu peur… Il y a des intimidations qui commencent à émerger. »

Surtout, face aux revendications des grévistes et à une situation qui commence à se faire connaître, la direction opte pour le démenti. Comme c’est le cas au micro de Sud-Ouest lorsqu’on lit : « En aucun cas les compléments nutritionnels oraux n’ont servi de substituts de repas par manque de personnel » ; ou encore quand la direction assure que les toilettes sont réalisées « tous les jours ». Cécile nous confie : « On ne peut pas faire des toilettes complètes à toutes les personnes qui en ont besoin, ce n’est pas possible. On fait le minimum, visage, bras, toilette intime. »

L’ARS et le conseil départemental, qui ont été alertés, sont quant à eux restés silencieux. De la même manière le maire EELV et NUPES de Bordeaux, Pierre Hurmic, président du conseil de surveillance du CHU de Bordeaux, ne s’est pas pour l’heure exprimé sur la situation.

Les grévistes ont cependant le soutien des familles des résident·e·s, conscientes de la situation dans laquelle se trouvent personnels et usagers. Non seulement elles ont signé et diffusé la pétition lancée par les grévistes et la CGT, mais elles se déclarent également prêtes à participer aux différentes actions qui seront proposées. Dans un secteur où la grève est bafouée, la solidarité extérieure doit être d’autant plus forte.

Alors que la casse des services publiques se traduit par des situations de détresse de plus en plus grande, à la fois du côté des travailleur·se·s et des usagers, il est urgent de faire front. Au-delà de la bataille contre la réforme des retraites, c’est le projet de société global que la macronie veut nous imposer que nous devons combattre. Nous ne voulons pas d’une société où les plus précaires d’entre nous meurent avant la retraite et où ceux qui survivent finissent leurs jours dans des conditions inhumaines.

C’est pourquoi nous appelons les organisations politiques, syndicales et féministes à se joindre aux soignant·e·s des Jardins de l’Alouette sur le piquet qui se tiendra le vendredi 17 février à 11h à l’entrée devant l’Ehpad.

*Les prénoms ont été anonymisés