Genavir est une entreprise spécialisée dans l’affrètement des navires de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). L’activité de Genavir, privatisée il y a trois ans, est divisée entre Toulon et Brest, où travaillent respectivement une trentaine et une cinquantaine de personnes (hors marine marchande). 

Une grève pour des augmentations de salaires à hauteur de l’inflation

Alors que, depuis plusieurs années, les NAO (négociations annuelles obligatoires) donnent lieu à des revalorisations salariales à peine au niveau voire en dessous de l’inflation, pour cette année, la direction avait promis aux salariés un rattrapage de l’inflation de l’année passée. 

Or, arrivée à la table des négociations, elle n’a proposé que 2% d’augmentation et une prime partage de la valeur (ou prime Macron) de 600e. « On est bien en dessous de l’inflation et d’année en année, les salaires ne suivent pas », constate Fred*, mécanicien hydraulique à Genavir Toulon.

Dès le 31 mars puis à partir du 4 avril en reconductible, à l’appel de la CFDT majoritaire dans la boîte, les techniciens de Toulon et de Brest se sont mis en grève pour exiger une augmentation minimale de 7% des salaires. Une revendication élaborée à partir de leurs besoins, pour rattraper les pertes de salaires réels et faire face au coût de la vie, alors que l’inflation dépasse les 5% et que les prix alimentaires ont augmenté de plus de 14% en un an d’après l’INSEE. 

Les grévistes se battent aussi pour exiger une revalorisation salariale de 150 euros pour les nouveaux embauchés. « Il y a 6 ou 7 jeunes pour qui c’est le premier ou le deuxième boulot. Ils ont été embauchés juste après qu’on ait touché une augmentation, donc il y a une grosse inégalité entre nous à 3 mois d’écart de recrutement, on travaille avec une différence de salaire de 150 euros », nous explique Fred. 

Enfin, ils revendiquent pour tous les salariés la « prime mer ». « On a toute une partie du personnel qui travaille en mer mais qui n’est pas considérée comme "marins", on revendique la prime au même pourcentage pour tous », poursuit Fred. 

Un mouvement inédit

Avec des taux de grève supérieurs à 80% à Toulon et proche de 60% à Brest, le mouvement initié le 31 mars est inédit : c’est la première fois que les deux sites entrent en grève simultanément et que la grève dure aussi longtemps, « déjà presque deux semaines », souligne Fred avec enthousiasme. C’est la première grève de cette ampleur pour la majorité des salariés, tant pour ceux qui débutent leur vie professionnelle que pour ceux qui ont fait toute leur carrière dans la boîte. À Brest, suite à la grève des techniciens de Genavir, les marins des missions Ifremer ont débrayé à deux reprises. « Il y a une volonté de montrer que, dans ce bras de fer, on peut avoir de la force et on ne pliera pas », affirme Fred. 

Jusqu’à ce jour, la direction n’a envoyé aucun signe d’ouverture au dialogue. Pour les grévistes, la reconduction du mouvement, du moins jusqu’à la fin de la semaine, fait consensus. D’autant que l’impact de la grève commence à se faire sentir : « On a des missions océano qui commencent à être bloquées, comme par exemple celle qui devait partir en Crète, celle sur une plateforme pétrolière, ou encore celle du navire des terres australes françaises qui va se retrouver bloqué faute de ravitaillement du côté de Brest. C’est un petit milieu, mais la communauté scientifique va le voir passer, parce qu’on bloque beaucoup de missions et elles sont programmées des années à l’avance. C’est maintenant qu’on doit montrer à la direction qu’on ne va pas lâcher ».

Dans cette expérience fondatrice, forte de la détermination des grévistes, ces derniers se confrontent aussi à la question de l’organisation. « Comme la boîte vient d’être privatisée, il n’y a pas du tout les mêmes réflexes qu’il peut y avoir ailleurs, et c’est compliqué de tout mettre en place et de garder un mouvement solidaire. On fait des conférences en visio avec la partie de Brest à peu près tous les deux jours, parfois tous les jours quand on doit réfléchir plus vite. Ce sont les seules vraies assemblées générales, sinon on s’organise de façon plus informelle entre nous ». 

Mais, déjà, la grève est en train de souder les salariés. Des discussions ont émergé sur le contexte d’inflation plus général dans le pays, en lien avec le mouvement contre la réforme des retraites. Si certains salariés avaient déjà fait grève ou manifesté individuellement contre la réforme, la grève en cours a permis d’entraîner plus de collègues en manifestation sur les temps forts de la mobilisation nationale. 

« Sur le début du mouvement, la question de la réforme des retraites, ça été un point tendu avec nos délégués syndicaux. Ils avaient peur que ça apporte de la confusion à notre mouvement, qu’on se trompe de cible. On en a pas mal parlé, et finalement l’idée de la réforme des retraites est en train de germer. Il y a de plus en plus de monde qui veut venir manifester aussi. Même si les discussions restent très centrées sur notre situation, ça prend de l’ampleur. Évidemment, on soutient tous le mouvement et on ressent tous qu’on a besoin de faire bouger les choses », conclut Fred. 

* Le prénom est anonymisé.