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Industries pharmaceutiques

Pénurie des pilules abortives à Lille : les intérêts du patronat menacent le droit à l’IVG

Alors que des acteurs de terrain dénoncent depuis plusieurs semaines une pénurie de Misoprostol, la molécule utilisée pour les avortements médicamenteux, les pilules sont désormais en rupture dans toutes les pharmacies de la ville de Lille.

Matthias Lecourbe

14 avril 2023

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Ce vendredi 14 avril, l’Observatoire de la Transparence dans les politiques du Médicament (OTMed) a annoncé sur Twitter que le Misoprostol, la molécule utilisée dans les IVG médicamenteuses, était actuellement introuvable dans les pharmacies lilloises. Sans pouvoir avancer de chiffres, selon les retours des acteurs de terrain, la situation semble également très préoccupante en Île-de-France.

 
Après s’être installée progressivement ces dernières semaines, la pénurie arrive désormais à un point critique. L’OTMed avait déjà fait paraître une tribune dans Le Monde il y a une semaine, pour dénoncer la situation à la lumière des logiques de profit dans l’industrie pharmaceutique, qui pénalisent en premier lieu les femmes et les personnes LGBTI, perçues comme des populations « moins rentables » pour cette industrie.

Pauline Londeix, ancienne présidente d’Act Up Paris et co-fondatrice de l’OTMed nous explique : « Un des nombreux problèmes en matière de politique du médicament est la multiplication des pénuries de médicaments depuis plus de 10 ans ». En effet, les pénuries de médicaments ont déjà fait les gros titres dans la presse cet hiver, touchant déjà des molécules essentielles comme le Paracétamol, des antibiotiques comme l’Amoxicilline, mais aussi des anti-épileptiques ou encore des thrombolitiques utilisés en cas d’AVC.

Sandrine, une chercheuse gréviste chez Sanofi témoignait en décembre dernier dans Révolution Permanente de l’organisation des pénuries de médicaments par les patrons de l’industrie pharmaceutique : « Le nombre de pénuries de médicaments augmente de façon exponentielle depuis 10 ans. Cette pénurie n’est pas une fatalité mais résulte des choix stratégiques des géants pharmaceutiques, d’ailleurs elles ne touchent que les médicaments anciens, moins lucratifs ! Il faut sortir le médicament des logiques de marché, au lieu de donner des crédits d’impôts aux Big Pharmas il faut les obliger à rechercher et à produire ce dont on a besoin. »

Comme le développe Pauline Londeix : « On a été contactés début mars par plusieurs organisations de terrain sans se concerter entre elles pour dire qu’elles entendaient parler de ruptures de misoprostol. Je suis allée voir sur le site de l’ANSM, qui doit tenir un suivi des tensions et des pénuries de médicaments et il y avait une note du fabriquant depuis septembre, qui disait avoir constaté des impuretés dans sa production et avoir dû l’arrêter. Pourquoi n’y a-t-il qu’un seul producteur ? Parce que c’est sous brevet ! La seule firme qui produit le Misoprostol est Norgine, et cela recoupe tous les soucis structurels de l’industrie du médicament, qui est très concentrée et au moindre problème sur un site de production la production peut s’arrêter ! Et en pratique cela peut remettre en cause le droit à l’avortement pendant des mois et des mois. ». En l’occurrence, la pénurie est causée par le fait qu’un seul site en Europe produit le Misoprostol et que le producteur a constaté une impureté dans ses produits et a donc cessé la production en septembre dernier le temps de résoudre le problème.

Cette concentration de la production est liée aux logiques de rentabilité : les firmes pharmaceutiques peuvent faire le pari de concentrer leur production sur un seul site et, en cas de problème technique, la production d’une molécule peut se retrouver à l’arrêt pendant des mois, jusqu’à ce que les stocks s’épuisent et que la population doive faire face aux conséquences. Elle est aussi liée à l’existence de brevets sur les molécules dont les firmes cherchent à s’assurer l’exclusivité pour maximiser leurs profits, alors que le fait qu’il n’y ait qu’un producteur pour une molécule donnée renforce encore le risque de pénuries auquel le grand public devra faire face.

En l’occurrence, la pénurie de Misoprostol porte gravement atteinte au droit à l’avortement, ce que pointe Pauline Londeix : « On a décidé d’alerter le plus vite possible pour faire réagir, il y a eu un débat sur l’IVG dans la constitution, mais si en pratique les gens ne peuvent pas avorter c’est terrible ! Il y a des gens qui se rendent dans des centres et ne peuvent pas avorter, elles doivent aller dans une autre ville pour trouver du misoprostol, ce qui est terrible et d’autant plus que les délais pour une IVG médicamenteuse sont vraiment courts. On a des témoignages qui viennent du fin fond des Yvelines de sages-femmes qui disent qu’elles ont fait 10 pharmacies sans en trouver, et encore, on parle du Nord et de la région parisienne car ce sont les régions où on a le plus de relais d’acteurs de terrain, mais il n’y a aucune raison de penser que la situation soit circonscrite à ces régions... »

En effet, les conséquences sont dramatiques pour les personnes cherchant à avorter, puisque le délai pour une IVG médicamenteuse n’est que de sept semaines, ce qui correspond à environ deux mois de retard de règles. Pour les personnes vivant à Lille qui cherche à avorter, il faut donc qu’elles constatent la grossesse, aient deux rendez-vous médicaux espacés d’une semaine en raison du délai de réflexion imposé par la loi, organiser un voyage vers une autre ville et faire la queue dans plusieurs pharmacies pour espérer trouver une pilule abortive, tout cela dans ce délai très serré.

Une situation inacceptable, alors que le gouvernement se donnait un vernis féministe en inscrivant dans la Constitution la « liberté de la femme de mettre fin à la grossesse », pendant qu’il cajole le patronat qui accumule des profits sur le dos de la majorité de la population. La pénurie de Misoprostol montre à quel point la constitutionnalisation du droit à l’IVG ne vaut rien sans des politiques ambitieuses en matière de santé, pour rouvrir tous les centres IVG qui ont été fermés ces dernières années à cause de la casse du service public, mais aussi pour assurer une production de médicaments essentiels, que les logiques de marché ne peuvent pas assurer et pour laquelle il faudra se battre contre le patronat qui cherche à préserver ses intérêts.

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