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Casse du service public

Rentrée retardée, bâtiments sans chauffage, gel des postes : chaos à l’Université de Créteil

L'Université Paris-Est-Créteil se trouve dans un état de complet délabrement matériel, avec des cours de langues remplacées par des applications, et des bâtiments sans chauffage l’hiver. Un symbole de la casse de l’enseignement supérieur et du manque de moyen orchestré par l’Etat, dont étudiant.es et travailleurs.euses font les frais.

Mirnat Garref

10 octobre 2023

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Rentrée retardée, bâtiments sans chauffage, gel des postes : chaos à l'Université de Créteil

Crédits photos : Créative Commons

L’Université Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne (UPEC) meurt à petit feu. Dans cet établissement qui recense plus de 40.000 étudiant.es - près des deux tiers de toutes celles et ceux que compte le Val-de-Marne -, la situation est catastrophique. Un article publié par Academia fait en effet un état des lieux alarmant de l’état de cette université : l’UPEC devrait générer en 2023 un déficit de près de 10 millions d’euros, soit un million de plus que l’année précédente. La loi de 2007 ayant fait des universités des institutions partiellement autonomes, il incombe à l’UPEC de trouver des solutions à ces déficits : la perspective de nouvelles réductions des dépenses se fait donc de plus en plus précise.

Or, le fonctionnement quotidien de l’établissement est déjà profondément affecté par les politiques d’austérité. Alors que des dizaines de postes demeurent vacants et que certains cours de langues sont remplacés par des applications, comme le rapporte l’article d’Academia, ces politiques sont si brutales qu’il a fait 9 degrés dans certains bâtiments lors de l’hiver dernier. Une situation que nous confirme Thomas, un étudiant en éco-gestion : « La situation à Créteil est incroyable. Rien qu’aujourd’hui on a encore eu une coupure d’électricité. L’hiver, on nous fait rester chez nous pour pas payer le chauffage ».

Président de l’UPEC depuis 2018 et ancien conseiller ministériel, Jean-Luc Dubois-Randé peut être en partie tenu pour responsable. Celui-ci vient par exemple de décréter le gel de 80 à 100% des recrutements d’enseignant.es-chercheur.ses pour l’année à venir. Une façon de supprimer des postes, de faire seulement appel à des vacataires et autres travailleurs précaires, et de renforcer encore la situation de sous-effectifs des personnels et de dégradation des conditions d’étude pour les étudiants. A cet égard, la rentrée a déjà dû être retardée pour certains étudiants, comme ceux en première année de Staps. Dans cette filière les personnels sont épuisés par le manque d’effectifs et nombre d’entre eux ont démissionné de leurs missions administratives. Comme l’explique l’un d’entre eux pour Le Monde, l’UPEC est particulièrement sous-doté : « l’Etat débourse en moyenne 700 euros de moins par an et par étudiant que dans les autres universités ». En effet, en cinq ans, l’UPEC a accueilli 20% d’étudiants supplémentaires, contre 5 % en moyenne nationale. Mais les causes d’une telle situation se trouvent plus largement dans le sous-financement structurel de l’université française. Alors que, partout en France, la misère étudiante remplace la précarité, la rentrée s’est ouverte avec de nouvelles menaces de coupes budgétaires et un véritable plan de Macron pour casser l’université publique.

Début septembre, Macron exprimait clairement son objectif, estiment que les « universités des villes périphériques » devaient « [mettre] en place des formations plus diplômantes et plus courtes », que les facs élitistes, destinées aux grandes villes. Comme en atteste ces déclarations, le pouvoir ne s’embarasse même plus du principe formel d’égalité des services publics, et assume jusqu’au bout le développement d’une profonde inégalité de traitement entre universités. En vertu de cette politique de différenciation, l’Etat est appelé à trier entre deux types d’établissements. D’un côté, les facs "d’élites", dont le fonctionnement est de plus en plus calqué sur celui des grandes écoles ; situées dans les grandes villes, elles sont destinées à l’excellence et aux bonnes places des classements internationaux. De l’autre, des universités plus "périphériques", chargées de proposer des formations plus courtes (comme les IUT et les BTS) et "adaptées aux territoires" - comprendre : aux besoins spécifiques du patronat local. Ainsi l’UPEC a droit en avant-première à cette différenciation, et subit les sous-dotation réservées aux facs de banlieue.

Pour ces établissements de seconde zone, le maître-mot est désormais la professionnalisation. A l’UPEC, les rares ressources financières disponibles ces dernières années ont ainsi été concentrées sur le premier cycle, pour faire de l’Université une sorte d’usine à licences. Les formations de deuxième cycle, à l’image de celles qui relèvent de l’Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation (préparation au CAPES notamment), sont pour leur part complètement négligées. Aux yeux des dirigeants, il semble qu’un bac +3 soit déjà un diplôme suffisant pour la jeunesse du Val-de-Marne.

Victimes de ce nouveau saut dans l’université néolibérale, la situation des étudiant.es et personnels de l’UPEC fait écho à celle que vive ceux de.. Dans cet établissement de plus en plus élitiste, conçu comme un laboratoire de l’université macronienne, l’université vient tout juste d’annoncer une coupe budgétaire de 30 millions d’euros. L’obligation faite aux facultés de réduire de 20% leur budget hors masse salariale préside à de nouvelles mesures régressives : renforcement de la sélection, augmentation des frais d’inscription, généralisation de l’alternance en Master pour réduire les contenus pédagogiques, etc. L’autre versant de la politique macroniste d’université à deux vitesses : trier et sélectionner dans les facs élitistes pour se débarrasser pour de bon des étudiants de classes populaires, pendant que les universités de quartiers populaires comme l’UPEC sont laissés à l’abandon.

Face à de telles attaques, il n’y a d’autre alternative que celle de s’organiser. C’est ce qu’ont commencé à faire les étudiant.es des deux universités, en tenant respectivement des assemblées générales lors de la journée de mardi 3 octobre. Alors qu’a Paris-Cité, l’AG a décidé d’une jonction avec la manifestation appelée par l’intersyndicale le 13 octobre prochain, celle de l’UPEC a abouti notamment à la publication d’une pétition contre le délitement de la fac. Face à ces attaques contre le droit d’étudier, la mobilisation des étudiants et des personnels dans les premières facs touchées sera en effet décisive, pour poser les bases d’une riposte plus large de la jeunesse et des travailleurs de l’université contre un gouvernement décidé à casser pour de bon l’université publique.


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