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Elections à Taïwan

Victoire du PDP à Taïwan : quelles conséquences sur la région ?

Les élections de samedi à Taïwan étaient particulièrement suivies en raison de leur impact potentiel sur la stabilité régionale. Le Parti démocrate progressiste (PDP) au pouvoir depuis 2016 sort vainqueur, un parti indépendantiste qui défend des relations étroites avec les États-Unis et une ligne ferme à l’égard de Beijing.

Wolfgang Mandelbaum

15 janvier

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Victoire du PDP à Taïwan : quelles conséquences sur la région ?

Crédit photo : Shufu Liu / Cabinet présidentiel. CC BY 2.0 Deed

Le candidat du PDP (Parti démocrate progressiste), l’actuel vice-président « William » Lai Ching-te, est arrivé en tête lors des élections taïwanaises, remportant 40,1 % des suffrages ; il devance assez largement le candidat du KMT (Kuomintang), Hou Yu-ih, et celui du TPP (Parti populaire taïwanais), Ko Wen-je, qui remportent respectivement 33,5 et 26,5 % des voix.

Pour la première fois depuis la fin de la dictature au tournant des années 1990 et des premières élections présidentielles au suffrage direct en 1996, un parti parvient donc à rester au pouvoir pour un troisième mandat consécutif. Le parti historique, le Kuomintang (KMT), a donc échoué à reprendre le pouvoir sur l’île, dans un contexte d’accentuation des tensions avec Beijing.

En parallèle avaient lieu les élections pour renouveler le Yuan, le parlement, où le KMT obtient le plus de siège sans atteindre pour autant de majorité, alors que le Yuan était jusqu’ici tenu par le PDP. La perte du Yuan ne signifie pas pour autant que Lai n’aura aucune marge de manœuvre pour gouverner, même en cas d’alliance du KMT et du TPP, puisque l’exécutif est fort à Taïwan et est largement séparé du pouvoir législatif.

Indépendantistes du PDP contre KMT pro-chinois ? Les enjeux du scrutin

La question des relations de Taiwan avec la Chine continentale a polarisé ces élections de manière encore plus évidente que lors des précédentes. Le KMT a présenté le vote comme un choix entre la guerre en cas de réélection du PDP, et la stabilité et le maintien du statu quo que représenterait la victoire du KMT, qui est partisan d’une normalisation des relations avec Beijing. Le Kuomintang hérite des élites bourgeoises fédérées par Tchang Kaï-chek qui ont été contraintes de fuir la Chine continentale devant l’avancée du PCC en 1949. Contrairement au PDP qui favorise en pratique une politique d’indépendance de la République de Chine (Taïwan), le KMT adhère à la politique d’une seule Chine et donc de jure de réunification. Si le KMT ne devrait pas à proprement parler être taxé d’être un parti « pro-chinois », il partage explicitement avec Beijing la volonté de réunifier la RPC (République Populaire de Chine) et la RDC, bien sûr sous des modalités différentes puisque sous son égide et non celle du parti communiste.

Mais à court terme, le KMT défend une détente des relations avec Beijing, notamment pour développer les échanges commerciaux. Les relations commerciales sont loin d’être inexistantes entre Taipei et Beijing ; le géant Taïwanais Foxconn, qui fabrique du matériel électronique et est un des principaux sous-traitants d’Apple, est largement présent en Chine continentale. Son ancien PDG, un proche de Xi Jinping, était candidat lors de ces élections, sur la base d’un rapprochement net avec la RPC ; il aurait été contraint de se désister sous la pression de Beijing pour ne pas diviser davantage le vote « pro-chinois ».

Le PDP adopte de son côté une ligne atlantiste qui préfère développer les relations de Taïwan avec les États-Unis, le Japon et l’Europe et, considère Taïwan comme indépendante. Lai Ching-te est décrit comme plus farouchement indépendantiste que la présidente sortante, Tsai Ing-wen, dont la présidence a été marquée par une exacerbation des tensions avec Beijing. Sur le plan intérieur, elle a été marquée par une dégradation des conditions de travail, une réduction des jours fériés, la baisse des salaires, mais aussi des mesures avec un vernis progressiste comme le mariage gay, dans un effort pour s’aligner sur des « valeurs occidentales », en opposition au confucianisme davantage représenté par le KMT et la Chine ; elle s’est à cette occasion aliénée une frange conservatrice, ce qui a contribué à la défaite du PDP lors des élections de Taipei de 2022, remportées par le KMT.

Malgré la rhétorique, ces élections ne se sont donc pas limitées à un vote pro- ou anti-Beijing. Les questions de politique intérieure ont largement été présentes pendant la campagne. Le troisième parti, le TPP (Parti populaire taïwanais), a largement tablé sur ces questions, et est particulièrement populaire auprès des jeunes taïwanais, lassés du bipartisme chronique. Ils se présentent comme une troisième voie, et la couleur turquoise de leur logo est un mélange du bleu du KMT et du vert du PDP. Ils ont une ligne pragmatique de détente des relations avec la Chine tout en cherchant à renforcer le commerce avec les États-Unis. Son candidat, Ko Wen-je, a insisté sur les problèmes économiques auxquels font face les Taïwanais : bas salaires, loyers exorbitants, pouvoir d’achat en berne… Cependant, comme les autres partis, le TPP a adopté une ligne sécuritaire forte, en promettant d’augmenter le budget militaire de 2,3 à 3 % et l’allongement du service militaire, ce qui constitue une demande insistante de Washington à laquelle les trois partis se sont pliés.

L’élection de Lai et les risques de conflit avec la Chine

L’élection de Lai est vue par de nombreux analystes comme un danger pour la stabilité mondiale, rapprochant la perspective d’un conflit armé avec la Chine. Ce danger est réel et particulièrement inquiétant au vu du risque de mondialisation du conflit, mais est en grande partie alimenté par les États-Unis et leurs alliés impérialistes dans la lutte d’hégémonie qui les oppose à Beijing. A cet égard, les opérations militaires des deux camps autour de l’île n’ont cessé d’augmenter ces dernières années, de même que la visite de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, ou celle de la ministre de l’Éducation allemande Bettina Stark-Watzinger, n’ont fait que rajouter de l’huile sur le feu.

Beijing a soutenu Hou Yu-ih, le candidat du KMT, prévenant que l’élection de Lai Ching-te serait une grave erreur pour les Taïwanais. L’ingérence de la République Populaire dans ces élections a été évidente, organisant des exercices militaires dans les eaux territoriales de Taïwan et ayant lancé des ballons-espion qui ont survolé l’île à plusieurs reprises. L’objectif de ces provocations était de mettre la pression sur les électeurs pour faire le « bon choix », c’est-à-dire voter pour le KMT.

Taiwan est le principal « terrain de jeu » du conflit entre les puissances, et les Taïwanais sont les premières victimes de ce conflit réactionnaire. La possible élection de Donald Trump en novembre est vue comme un risque d’aggravation du conflit en raison de sa ligne dure à l’égard de la Chine, mais en réalité la politique qu’il entend mener diffère peu avec celle de Joe Biden. Ce dernier a en effet continué d’aggraver les tensions, dans la lignée du tournant vers l’Asie et l’Indo-Pacifique mis en œuvre par l’administration Obama. Biden a à maintes reprises annoncé que les États-Unis défendraient Taïwan en cas d’invasion chinoise, ressuscitant dans les faits le traité de défense mutuelle abrogé en 1980 avec la normalisation des relations entre Washington et Beijing et l’ouverture des relations diplomatiques avec la RPC.

En ce sens, si la réélection du PDP à la tête du pays est un facteur supplémentaire d’aggravation des relations entre Taipei et Beijing, ce n’est en définitive pas la politique taïwanaise qui va dicter les événements des prochaines années. Les velléités chinoises de contrôle de la Mer de Chine méridionale et l’arrogance impérialiste des États-Unis sont la source des tensions, et Taïwan n’est qu’un des acteurs d’un conflit plus large. Les taïwanais sont à la merci de dynamiques géopolitiques oppressives qui les dépassent. Dans les dynamiques en présence, qui annoncent de nombreuses difficultés, les perspectives d’une issue progressiste ne pourront en aucun cas venir de partis bourgeois qui jouent le jeu de l’une ou l’autre puissance.


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