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International

« Pacte immigration » : l’Europe forteresse renforce sa chasse aux migrants

Dans la nuit de mercredi à jeudi, un nouveau naufrage a entraîné la mort de centaines de migrants au large de la Grèce. Les conséquences meurtrières d’une politique xénophobe européenne, que les dirigeants européens prévoient de durcir avec un nouvel accord sur l'immigration.

Léo Stella


et Raji Samuthiram

19 juin 2023

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« Pacte immigration » : l'Europe forteresse renforce sa chasse aux migrants

Crédits photo : Frédéric Bisson / Flickr

Dans la nuit de mercredi à jeudi, le naufrage d’un bateau transportant plus de 750 migrants a entraîné la mort de centaines d’entre eux au large de la Grèce. Si les dirigeants européens se sont confondus en indignations cyniques et en larmes de crocodiles, ils durcissaient la veille les politiques xénophobes et criminelles responsables de ce naufrage. Le 8 juin, le Conseil de l’UE s’est accordé sur l’orientation majeure d’une réforme sur l’immigration qui devra encore être négociée avec le Parlement, puis adoptée avant les élections européennes en 2024. Les deux volets adoptés ouvriraient la voie à toujours plus de répression envers les migrants.

Les accords trouvés au Luxembourg ce jeudi 8 juin finalisent un long processus de discussion entamé depuis 2020 entre les 27. Les accords acceptés par la majorité des 27 (seuls la Pologne et la Hongrie s’y sont opposés) prévoient en deux volets un renforcement sécuritaire de grande ampleur aux frontières, couplé à leur externalisation toujours plus accrue. Pour se faire, l’UE compte s’appuyer sur les pays semi-coloniaux pour jouer le rôle de garde-côte ou encore comme pays de « relocalisation » des migrants expulsés.

Une « solidarité » continentale pour financer le flicage aux frontières

Le premier volet de l’accord trouvé par les 27 finalisera un saut dans le renforcement des frontières européennes, principalement en Grèce et en Italie. Ce renforcement passe par une amélioration des instruments de répression notamment à travers Frontex, la police privée de l’UE. En février, l’UE avait décidé de renforcer cette agence, qui dispose déjà de moyens militaires importants (radars thermiques, satellites, caméras à vision nocturne, etc...) va être renforcée par de nouveaux équipements, notamment des drones de dernière génération fournis en partie par des grandes entreprises européennes comme Thalès.

Le renforcement des frontières va aussi passer par un appui politique aujourd’hui assumé de la part de l’UE envers les gouvernements ouvertement xénophobes de Meloni en Italie et Mitsotakis en Grèce. Ces derniers appliquent des politiques migratoires qui provoquent toujours plus de morts en Méditerranée comme le montre le naufrage de Crotone ou encore le nouveau naufrage meurtrier au large de la Grèce. La mise en place de l’état d’urgence migratoire par Meloni ou le projet de prolongement et de militarisation du mur à la frontière avec la Turquie par Mitsotakis en sont d’autres exemples. De la même manière, la normalisation de la technique de « push-back » aux frontières que ce soit par les gardes-côtes grecs ou de Frontex sont une démonstration de plus de la surenchère xénophobe meurtrière de l’UE.

Ce renforcement aux frontières passe également par la mise en place de camps aux frontières pour refouler plus rapidement les demandeurs d’asiles qui auraient « statistiquement moins de chance » de se voir accorder le statut de réfugiés car ils proviendraient de pays soi-disant plus « stables » tels que le Maroc, l’Inde, la Turquie ou encore l’Albanie. Lors du traitement du dossier, allant jusqu’à 6 mois, ces demandeurs d’asile ne pourront pas entrer sur le territoire : ils seront retenus dans ces centres à la frontière. Ces mesures visent à créer des prisons à ciel ouvert calquées sur le modèle déjà existant de la Grèce ou encore au Royaume-Uni, où les migrants vont être enfermés sur des bateaux-prisons.

Les rares migrants acceptés seront, avec le nouveau pacte de « solidarité » entre États membres, « répartis » selon des quotas entre les États. A défaut, dans un accord présenté comme un « mécanisme de solidarité », chaque État devrait verser 20 000 euros pour chaque demandeur d’asile non relocalisé.

Les sommes seront versées dans un fonds commun de l’UE géré par la Commission qui permettra de financer des projets visant à « s’attaquer aux causes profondes de l’immigration », ont indiqué des fonctionnaires de l’UE. Ces sommes présentées comme des indemnités serviront donc à financer soit la politique meurtrière de l’UE en armant Frontex ou en finançant des projets liés au durcissement des frontières, à l’image des politiques italiennes et grecques.

Externalisation des frontières : L’Europe s’appuie sur les pays semi-coloniaux

Le deuxième volet a pour but d’accélérer les expulsions, en traitant de façon expéditive les dossiers des demandeurs d’asiles notamment ceux des pays « stables » cités plus haut. La catégorisation de certains migrants comme « menaces », selon un argumentaire tout droit hérité du registre de l’extrême droite, permettra également de multiplier les expulsions. Le système de traque des migrants, notamment grâce à la base de données Eurodac sera renforcé, quand les expulsions seront simplifiées juridiquement.

Afin de maximiser les expulsions, l’Europe forteresse continuera à s’appuyer sur les pays semi-coloniaux comme elle le fait aujourd’hui avec de nombreux accords migratoires avec des pays comme le Niger, le Maroc, l’Algérie… Le pacte permettra ainsi un renvoi des migrants vers n’importe quel soi-disant « pays sûr » que la personne aurait traversée lors de son exil. Si la liste commune des « pays sûrs » n’a pas été dressée, il est évident que cette mesure permet en réalité une continuité dans l’externalisation brutale des frontières en s’appuyant sur des pays semi-coloniaux.

L’incarnation de cette politique est l’accord financier à hauteur de 900 millions d’euros de l’UE envers la Tunisie, dont 100 millions seraient destinés au « border management ». Une tournure de phrase qui cache mal la réalité de ce partenariat : en échange de presque un milliard d’euros, l’UE attend qu’elle joue le garde-frontières de l’Italie.

Pour satisfaire sa politique xénophobe de systématisation des renvois, l’Europe forteresse n’hésitera pas à menacer économiquement et diplomatiquement les pays tiers et semi-coloniaux qui n’accepterait pas les renvois de migrants. Pour cela, l’UE serait prête à utiliser tous les « leviers », tels que « le développement, le commerce et les visas, ainsi que les possibilités de migration légale », comme l’expliquait la présidente de la Commission Ursula von der Leyen dans une lettre aux chefs d’État en janvier. Autant de bras de fer ultra réactionnaires en perspective, dont les conséquences seront payées par les migrants.

« Pacte historique », « étape importante pour l’Union européenne »… L’ensemble des hauts dirigeants de l’UE ont encensé l’accord des 27. Le quasi-consensus entre États montre que l’UE redouble d’intensité dans sa politique xénophobe. Dans le même temps, les politiques les plus ouvertement réactionnaires et xénophobes comme celle de l’Italie de Meloni ou de la Grèce sont des précurseurs d’une offensive anti-migrants d’ampleur que l’UE voudrait généraliser. C’est d’ailleurs le sens de la déclaration d’Olaf Scholtz, qui affirmait le 8 juin que « L’Italie, la Grèce et les autres pays méditerranéens affrontent un défi énorme car le nombre de personnes arrivant à leurs frontières augmente. Nous ne pouvons pas laisser seuls l’Italie et les autres pays ».

Ce sommet aura montré que l’Union Européenne a décidé de passer à la vitesse supérieure dans sa politique migratoire raciste et xénophobe. Une politique générale déclinée au niveau national comme le montrent les dernières lois xénophobes mises en place en Allemagne ou en Belgique. La France est elle aussi une aile marchande de ce projet d’ensemble de l’UE. Les contours de la prochaine loi immigration en accord avec les LR et la surenchère xénophobe qu’entretient le gouvernement s’inscrivent dans cette offensive.

Alors que la macronie essaye de refermer la séquence de la mobilisation de la réforme des retraites avec notamment la question de l’immigration, il est urgent de défendre un programme profondément internationaliste et anti-impérialiste qui lutte pour la régularisation de tous les sans-papiers et l’ouverture des frontières. Dans ce sens, l’ensemble du mouvement social qui a lutté contre la réforme des retraites doit s’opposer aux interventions militaires françaises à l’étranger et à la spoliation des peuples colonisés et semi-colonisés par la France comme l’opération Wuambushu, mais aussi aux lois xénophobes et raciste que prépare le gouvernement dans la continuité de l’offensive européenne.


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