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« En deux ans, les habitudes ont commencé à changer sur Rosan »

Aide Sociale à l’Enfance, répression et mutation forcée

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Qu’est-ce qui se passe en ce moment autour de ton cas à l’ASE ?

Pour expliquer, moi je suis éducatrice de jeunes enfants, fonctionnaire, j’ai passé le concours en 2011. J’ai commencé par un an de crèche à la ville de Paris. Mais après j’ai demandé à aller travailler à la protection de l’enfance, à l’ASE. J’ai donc demandé un détachement que j’ai obtenu. Jusqu’en octobre 2013 j’ai réalisé ma première année comme détachée, et comme ça m’allait bien j’ai demandé à prolonger d’un an. A ce moment-là j’étais pas encore syndiquée, ils ont accepté sans problème. C’est au même moment que s’est installée la nouvelle direction, qui est encore en poste et qui m’attaque aujourd’hui. Moi en 2013-2014 j’ai commencé à me syndiquer gentiment et à faire des trucs avec les collègues. On a construit la confiance ensemble, qui sont généralement des dames qui ont 30 ans de métier, beaucoup d’expérience. C’est ensuite, en octobre 2014, que j’ai eu le premier problème. J’avais fait une demande d’intégration au département, et le directeur m’a répondu à l’oral que je ne l’aurai pas car il ne voulait pas « faire prendre des risques » au service. Ensuite quand je le questionnais il n’arrivait pas à se justifier, à expliquer en quoi j’étais une menace, et il a reculé en me disant qu’il pouvait prolonger mon détachement mais qu’il ne ferait pas plus. C’est pour cela que la question est en train de se reposer, parce qu’on arrive au bout de cette nouvelle année de détachement et que j’ai redemandé mon intégration. La seule réponse qu’on m’a faite c’est que l’on mettait fin à mon détachement et que je devais partir...

Comment est tombée la nouvelle ?

J’ai reçu un recommandé de trois lignes à la maison, début aout. Ils ont fait ça en pleines vacances, quand c’est impossible de mobiliser. Et juste après sa lettre le directeur s’est barré en congés. Depuis juillet ils me fuient comme la peste, ils ne veulent pas me parler. Et quand je suis rentrée fin septembre j’ai découvert un autre recommandé, où ils me disaient que j’avais déjà cumulé tous mes congés annuels donc que je ne devais plus retourner travailler. Ils m’ont mis en vacances forcées, pour que je n’ai plus de liens avec les collègues.

Et pourquoi un tel acharnement ?

En fait sur Rosan, quand la nouvelle direction est arrivée elle a voulu nous sucrer pas mal d’acquis. Des choses qu’on avait gagné avec les collègues, sous l’ancienne direction. Tu sais, l’aide sociale à l’enfance c’est un milieu où il n’y a pas du tout de culture de l’action collective. Moi quand je suis arrivée j’ai commencé à militer pour construire des liens entre nous, entre salariés qui ont les mêmes galères. Quand la direction disait à une collègue que ses heures nocturnes ne seraient pas comptées je faisais en sorte qu’on en discute et qu’on réagisse collectivement. Quand le nouveau directeur est arrivé, il s’en est pris à des choses qu’on avait pu imposer. Dans un premier temps on a du lâcher car c’était des acquis un peu informel, mais quand ils ont commencé à s’en prendre à des choses qui sont garanties par décret, les collègues ont eu plus confiance pour riposter. C’est à ce moment là, en gros début 2014, que l’on a commencé à lancer des trucs qui n’existent pas dans mon milieu. Par exemple, on a inventé...les tracts (rires).

Comment tu t’y prenais pour initier cette résistance ?

Tout l’objectif c’était de construire du collectif entre nous. Moi j’allais me renseigner auprès de mon syndicat pour avoir les infos juridiques dont on avait besoin, et je relayais à mes collègues, puis on écrivait ensemnble le tract. On a bataillé dur par exemple sur la question des repos. Comme on bosse en internat, on est ouverts H24 toute l’année. On a droit à 107 repos et 11 jours fériés, mais la nouvelle direction voulait commencer à supprimer les repos normaux quand ils tombaient sur un férié. On a bagarré aussi sur les interventions nocturnes. Dans notre métier quand tu passes la nuit sur le centre tu dors à peine quelques heures et tu te rélèves tout le temps. Il faut s’occuper des enfants, ils ont entre trois et six ans et il peut arriver plein de trucs la nuit, on doit changer les draps, les consoler, etc. Selon la loi, toute intervention nocture doit être compter pour au moins 30 minutes et c’est du temps de travail majoré à 100%. Et pour une plage horaire de onze heures, on est payé un forfait de quatre heure sans compter ces interventions. Alors eux, ils ont commencé à dire que si l’on se relevait la nuit pour un total de moins de quatre heures, ils ne nous pairaient plus ces interventions majorées. On a donc sorti un tract expliquant les textes de lois et on les a fait reculer.

C’est donc pour tout ça que tu es ciblée ?

Il faut savoir que l’ASE c’est vraiment un milieu tout petit. Il y a 14 centrres en région parisienne. Et Parent de Rosan était le seul centre d’où sortaient des tracts. Donc ça se voyait bien qu’on était au cœur de la résistance, même si en général on s’est juste borné à rappeler la loi, par ailleurs. Moi je proposais systématiquement au syndicat de mutualiser les tracts que l’on faisait à Rosan au niveau départemental. Comme tu imagines, quand les directeurs de centres se font leurs petites réunions ils devaient discuter pas mal que l’on était le centre qui posait problème, et ils savaient bien que c’était moi qui animait.

Est-ce qu’il y a eu d’autres bagarres, au delà de Rosan ?

Oui effectivement, on a eu quelques actions départementales un peu plus larges. Par exemple, en début 2015, on avait demandé un préavis de grève départemental, sur les 14 foyers, pour aller soutenir nos collègues de Michelet. A Michelet il y a quelques années il y a eu un drame, un enfant est décédé. On a retrouvé un nourisson aux pieds d’un enfant de trois ans, dans un dortoir. L’adminisutration est responsable à cent pour cent de ce décès car elle n’a pas donné les moyens nécessaires aux agents pour assuter la sécurité. Mais elle a accusé les collègues, l’un d’eux a même été révoqué, et un autre muté. Alors que depuis des mois avant le drame ils alertaient sur le fait que les lits et ce dortoir n’étaient pas adaptés. Le lendemain même de l’accident, tout a été changé en vitesse par la direction pour mettre un meilleur matériel, et ils ont fait disparaître toutes les « transmissions », c’est à dire les petits rapports que l’on écrit pour passer le relai aux collègues quand on a fait une nuit. Dans ces textes il y avait, sur un temps assez long, tous les éléments sur les problèmes et les risques pour les enfants que pointaient les agents du centre. Début 2015, il y a eu une reconstitution dans le cadre de l’enquête. C’est pout ça qu’on a demandé un préavis, pour aller soutenir les collègues qui allaient être obligés de revivre ce traumatisme, et pour montrer qu’on ne gobe pas la version de la direction. On a organisé un rassemblement devant leur centre. Ca nous a permis de rencontrer les enquêteurs et de leur donner notre vision des choses et notre tract. Un moment important car le problème de l’ASE, c’est que personne ne sait comment les choses se passent au delà de son foyer.

Il y a aussi eu Pontourny, une lutte qui était apparue sur les colonnes de Revolutionpermanente avant l’été...

Oui effectivement, c’est dans la foulée qu’on a appris la fermeture de Pontourny, l’un des sites de la DASES qui est éloigné de Paris. Cet éloignement est quelque chose de pensé, il s’agit de protéger les jeunes mineurs isolés étrangers des trafics et y compris de la prostitution qui existent dans la capitale. A Pontourny les jeunes pouvaient se poser, avoir des cours sur le site et un suivi individualisé. Certains ne parlent pas français, donc c’est essentiel de ne pas les balancer dans nimporte quelle école. C’est donc aussi ça la conséquence de les avoir balancé sur Paris, qui plus est dans des classes de 40 élèves : c’est la déscolarisation de fait qui les attend. J’avais tenu informées les collègues, notamment quand la première journée de grève là-bas a été bien suivie. Ensuite, on a fait un rassemblement ici le jour du conseil de Paris, avec un préavis départemental qui a extrêmement bien marché. Une vraie démonstration de solidarité collective, et les collègues étaient super contentes de se retrouver à plusieurs sites.

Se mettre en grève quand on bosse pour l’ASE, c’est difficile ?

Il faut tenir compte d’une chose qui est majeure, c’est la culpabilisation. Il y a tout un discours qui vise à nous faire nous sentir mal, en expliquant que si l’on conteste, si l’on s’organise et qu’on résiste, on est en train de nuire aux enfants accueillis. Les collègues sont sous cette pression, beaucoup ont l’impression que si l’on se met en grève on va faire payer les enfants pour ce qui se passe. Moi même je me suis pris la tête pour savoir ce que j’allais dire aux enfants, pour leur expliquer que si je ne vais pas venir travailler c’est pour pouvoir mieux m’occuper d’eux ensuite. Mais il faut vraiment refuser de se faire mettre cette pression hypocrithe. C’est la direction qui est responsable des mauvaises conditions d’accueil. Et pour dire l’ensemble de la vérité, même si ça me fait mal au cœur d’y penser, ma mutation forcée c’est aussi quelque chose de déchirant. Trois ans avec les enfants de Rosan c’est des liens très forts, pour des jeunes qui arrivent avec une histire déjà très lourde, qui ont du mal à créer du lien avec les adultes, et qui ont besoin de repères. Quand je leur ai dit que je ne reviendrai peut-être plus, tout le monde pleurait. Forcément, cela a réactivé l’angoisse de séparation et vu que la direction m’a fait prendre tous mes congés, mon départ soudain, pouvait être perçu comme un abandon de ma part. Une dimension que l’on travaille au quotidien avec eux ! Etre comme ça en vacances forcées c’est insuportable précisément pour mon rapport avec les enfants.

Tu crois qu’ils peuvent le comprendre ?

Oui, peut être pas directement, mais en tous cas c’est palpable pour tout le monde que le manque de moyens peut même être dangereux. Par exemple sur Rosan on a une salle de visite, pour que les parents puissent venir voir leurs enfants, en présence d’une assistante sociale ou d’un psychologue pour que tout se passe bien. Ces visites ont lieu le dimanche, et c’est un jour qui est payé double. Avec les restrictions budgétaires ils n’ont plus mis personne pour superviser ces rencontres. On a eu une mère qui a fait un malaise dans la salle de visite et il n’y avait personne. On a aussi des parents qui sont montés et sont arrivés sur le lieu de vie des enfants, ce qui est totalement anxiogènes pour eux, qui ont été retirés de leur cellule familiale parce qu’elle était toxique. Pour faire avec le sous effectif d’éducateurs, la direction pousse à ce que les enfants returnent chez eux le week end. Alors même qu’on a des parents qui nous disent explicitement qu’ils ne vont pas réussir à s’en occuper. C’est déjà arrivé que la direction laisse un père complètement bourré partir avec ses deux enfants. Les petits étaient en pleurs, c’est chaud.

Toi tu es devenue représentante syndicale sur ton centre aussi non ?

Oui, aux dernières élections en décembre 2014 je suis devenue titulaire au comité technique d’établissement, une sorte de CHSCT départemental où l’on parle des 14 foyers de Paris. Avec la CGT, on est passé majoritaire sur mon centre, on a fait 48%, ce n’était jamais arrivé. C’est clairement une reconnaissance du boulot réalisé. Et du coup je suis aussi secrétaraire du CHSCT de mon établissement.

Et quand vous avez appris ton retrait du service, comment est-ce que vous avez réagi ?

En deux ans, les habitudes ont commencé à changer sur Rosan. Depuis deux mois, les collègues de mon centre ont commencé à se solidariser de moi et à se mobiliser, en demandant un préavis, un rendez-vous avec la DRH pour donner leur version des faits. J’étais impressionée. Tout le monde me demandait comment faire pour m’aider, pour dénoncer cette discrimination syndicale. La première action a été une délégation de masse dans le bureau du chef de service, et elles lui ont dit qu’elles savaient très bien que je me faisais virer pour des raisons syndicales. Puis en discutant on s’est rendu compte que ce serait bien de faire quelque chose à l’échelon supérieur, directement à l’administration de la DASES. C’est pour cela qu’elles ont pris rdv avec le DRH, qui est tombé le 8 septembre. Elles ont déposé un préavis et sur mon service la grève a été suivie à 100%. L’objectif était de pouvoir y aller toutes ensemble, avec toutes les lettres de soutien des collègues. De mon côté j’avais tout de suite prévenu mon syndicat, mais aussi la FSU qui s’est mise dans le mouvement et depuis signe tous les tracts. Cet aspect intersyndical vient du fait que la répression que je subis est dirigée contre tout le monde. Donc lors de ce rassemblement, on était une trentaine et l’on est montés pour voir la DRH...qui nous a fait savoir qu’elle était trop occupée pour nous recevoir, malgré toute notre mobilisation !

Est-ce qu’il y a des recours que tu peux utiliser contre ta mutation arbitraire ?

Oui, j’ai fait une demande de traitement de mon dossier par la commission administrative paritaire. Dans toute administration, quand tu es fonctionnaire et que tu as un problème, tu peux faire cette démarche. La CAP va avoir lieu le 8 octobre mais jusque là ils refusent de se pencher sur mon cas, au motif bien hypocrithe que ce ne serait « pas disciplinaire ». C’est la CGT et la FSU qui en ont été informées. Selon les textes, si un tiers des titualires de la CAP appuient ma demande, ils sont obligés de la recevoir. Dans mon cas 100% des titulaires qui siègent (FSU et CGT) ont demandé que ma sitation soit étudiée. Ils font donc tout et n’importe quoi...

Maintenant, quelle est la suite ?

Alors d’abord, on a lancé une pétition, qui j’espère va être signée largement (il faut dire à vos lecteurs de le faire !). On continue aussi à se battre pour que la CAP prenne mon cas en compte le 8 octobre. Et l’on a commencé à diffuser un tract devant la DASES, l’administration de l’ASE, pour informer tous les salariés. Par ailleurs, les collègues m’ont raconté que le directeur qui me vire a déjà commencé à remettre en cause tous les acquis qu’on avait eu. Au départ, quand j’ai appris ce qui m’arrivait, j’ai eu du mal à oser mobiliser parce que j’avais l’impression de faire l’aumône. Mais maintenant c’est visible très concrètement que si on laisse une syndicaliste se faire démonter, après ils vont s’en prendre à tout le monde. Et ça commence là, ils sont en train d’attaquer à nouveau sur les repos ! C’est donc ça le sens de la mobilisation en cours.

Propos recueillis par Guillaume Loïc


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