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Solidarité internationale

Argentine. Face au vote imminent de la loi Omnibus, les mobilisations se poursuivent devant le Congrès

Journées cruciales en Argentine où la loi Omnibus, qui promet un tournant fiscal ultra-austéritaire, la ruine des retraités et la concentration des pouvoirs dans les mains du président d’extrême droite Javier Milei, est en passe d’être votée. Le débat pourrait s’éterniser jusqu’à vendredi, mais une première réponse a déjà eu lieu mercredi dans la rue.

Julien Anchaing

1er février

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Argentine. Face au vote imminent de la loi Omnibus, les mobilisations se poursuivent devant le Congrès

Une image vaut mille mots pour illustrer la profonde crise du régime argentine. Celle des milliers de policiers et des grilles de métal qui assuraient la protection du Congrès face au rejet massif du projet de loi Omnibus qui y est discuté. Cette loi est une des pierres angulaires de la politique d’ajustement structurel et néolibéral du pays menée par Javier Milei depuis le 10 décembre dernier, date de son arrivée au pouvoir. Elle vise par exemple à déléguer les pouvoirs du Parlement sur un ensemble de sujets au Président (au moins en matière fiscale, des finances publiques, économique, de retraites, de sécurité, de défense, énergétique, administrative et sociale) qui pourrait ainsi appliquer, par décret et à son bon vouloir, un tournant fiscal ultra-austéritaire, dont les principales victimes seront les travailleurs, les retraités et les plus pauvres du pays.

En moins de 2 mois, Javier Milei dans la tourmente au Congrès et dans la rue

Malgré le soutien d’une partie conséquente du capital international et du FMI dans ses réformes, Javier Milei a aussi très vite fait face aux contradictions structurelles du gouvernement considéré le plus faible depuis le retour de la démocratie en 1983. En à peine plus de deux mois, il a déjà provoqué une grève nationale appelée par des bureaucraties syndicales qui faisaient tout pour l’éviter et qui ne s’étaient pas mobilisé depuis 4 ans.

Les faiblesses institutionnelles, au Parlement et au Sénat, de Milei l’ont obligé à forger des alliances avec des partis de la droite traditionnelle et la droite du péronisme dont il est dépendant pour faire passer sa loi. Ceux-ci l’ont en revanche obligé à reculer sur des chapitres entiers du projet. Après plusieurs semaines de négociations secrètes dans l’intérêt des secteurs patronaux qui voulaient éviter de payer les conséquences des mesures austéritaires, le gouvernement a multiplié dans le plus grand secret les accords avec la fameuse « caste » contre laquelle il a construit tout son discours démagogique.

Ce mercredi, pendant le débat au Congrès, la gauche révolutionnaire, les secteurs syndicaux combatifs, ainsi que des travailleurs de la culture et des assemblées de quartier se sont mobilisés contre le projet de loi dans tout le pays. A Cordoba, Trelew, Mendoza, Neuquen ou Salta des milliers de manifestants ont exprimé leur rejet de la loi et interpellé les directions des principales confédérations syndicales du pays (CGT et CTA) sur l’urgence d’un plan de bataille après la grève du 24 janvier.

Des mobilisations boycottées par le kirchnérisme et les directions syndicales, que le régime a tenté d’empêcher à Buenos Aires. Devant le Congrès, les manifestants se sont trouvés face à des centaines de policiers et des canons à eau, qui ont tenté d’empêcher la mobilisation de se tenir, gazant et matraquant plusieurs manifestants. Au moins quatre personnes ont même été interpellées Les manifestants ont cependant tenu bon jusqu’au soir, faisant même reculer les cordons policiers à plusieurs reprises.

La loi Omnibus retoquée à la marge par le Parlement et les secteurs pro-patronaux

Si la loi omnibus partait d’un projet très ambitieux de 664 articles ayant pour objectif une délégation de la quasi-totalité des pouvoirs du Congrès à l’exécutif pour au moins 4 ans, les négociations secrètes et au sein de la chambre des députés avec des secteurs de la droite (Propuesta Republicana (PRO), Unión Cívica Radical (UCR), droite traditionnelle et Hacemos Coalición Federal et Innovación Federal, droite péroniste) ont réduit la loi à seulement 60% du nombre d’articles du projet original. Parmi les articles retoqués, le gouvernement a dû revenir sur des projets qui allaient avant tout toucher des secteurs du patronat ou du régime argentin, notamment les gouverneurs fédéraux.

La majorité des éléments de la loi qui ont été retirés ne sont en aucun cas ceux qui affectent les plus pauvres et ceux qui subissent les conséquences de la crise économique. Ces secteurs du régime argentin ont négocié des heures durant, avant tout pour protéger les intérêts de secteurs précis du patronat ainsi que le pouvoir budgétaire des gouverneurs péronistes. C’est notamment le cas des grands groupes de l’agrobusiness (secteur central de l’économie argentine) qui est parvenu à faire reculer l’un des chapitres fiscaux les plus importants de la loi, à savoir l’augmentation des impôts sur l’exportation agricole, tout en s’assurant d’une intensification des attaques sur les pensions de retraites.

En ce qui concerne la délégation des pouvoirs, les blocs d’opposition de la droite et du centre-droit pourraient restreindre son application à quatre questions précises : en matière économique, financière, fiscale et administrative. Le débat parlementaire qui s’est ouvert mercredi pourrait durer jusqu’à vendredi. Si, les membres des groupes parlementaires de la droite traditionnelle ont affirmé ne pas être informés des décisions finales du gouvernement sur un ensemble de sujets qu’il reste à discuter dans la loi, ils ont en tout cas assuré au gouvernement Milei leur soutien à ses plans austéritaires et pro-patronaux catastrophiques. La loi pourrait donc être votée avec une courte majorité, moyennant quelques modifications partielles sur un ensemble de sujets encore à venir, soulignant à la fois le fait que l’opposition offre une gouvernabilité bien réelle au gouvernement Milei mais aussi la dépendance de celui-ci au « centre ».

Quelle que soit la négociation partielle de tel ou tel enjeu de la loi, la gauche révolutionnaire a tenu à rappeler par la voix de ses députés comme Myriam Bregman que c’est bien l’essence du projet de loi qui reste profondément réactionnaire et anti-populaire. La députée du Parti des Travailleurs Socialistes (PTS-FITU) a notamment indiqué que la délégation des pouvoirs législatifs à Javier Milei revenait à donner « un couteau à un singe », tout en dénonçant avec force les négociations menées par les députés d’opposition avec le gouvernement sur le dos des 7 millions de retraités et des millions de travailleurs et de pauvres du pays qui souffriront des conséquences de cette réforme autoritaire.

La gauche révolutionnaire se mobilise au Congrès et dans la rue : il faut un plan de bataille générale pour faire reculer Milei

Seuls deux blocs se sont déclarés en opposition totale au projet de loi (vote contre et refus des négociations partielles), l’Unión por la Patria (kirchnériste) et le Front de Gauche et des Travailleurs – Unité (FIT-U), coalition électorale de la gauche révolutionnaire. Au sein du Congrès et lors des débats qui ont eu lieu dans les commissions parlementaires, les députés du Parti des Travailleurs Socialistes, organisation sœur de Révolution Permanente en Argentine, ont dénoncé systématiquement l’ensemble des projets du gouvernement et les négociations secrètes ayant lieu entre celui-ci et l’opposition « dialoguiste ». Cristian Castillo, député du PTS, a notamment insisté sur le fait que « l’unique attitude responsable face à la loi Omnibus doit être de l’affronter de toutes nos forces ». Nicolas del Caño, ex-candidat à la présidentielle en Argentine, a rappelé que l’opposition de droite avait « organisé de façon secrète un plan austéritaire contre nos 7 millions de retraités » avant de rappeler que la « CGT a la responsabilité de donner une continuité à la grève générale contre le plan d’ajustement structurel de Milei ».

Alors que la journée de grève générale du 24 janvier a montré toute la force présente dans le pays pour faire face au gouvernement de Milei, mobilisant massivement dans tout le pays des travailleurs syndiqués, précaires et des assemblées de quartier de toute la ville de Buenos Aires et des quartiers alentours, les directions syndicales n’ont annoncé aucune suite au plan de bataille. Pourtant, c’est bien cette grève nationale qui avait forcé le gouvernement à repousser le vote de la loi d’une semaine (à la suite de seulement 12 heures de grève nationale) et ouvert plusieurs journées de crise pour le gouvernement dans ses négociations avec l’opposition. La construction d’un véritable plan de bataille avec une grève active dans l’ensemble des secteurs de travail est devenue une question stratégique centrale pour stopper le gouvernement Milei.

Mercredi, les députés du PTS sont ainsi sortis dans la rue pour rejoindre les manifestants qui faisaient face au Congrès, à l’appel des organisations du cortège indépendant qui s’était constitué le 24 janvier autour de la gauche révolutionnaire, des travailleurs de la culture, des assemblées de quartier, d’organisations de la mémoire, écologistes et féministes et de secteurs importants du syndicalisme combatif. Si la présence de ces secteurs dans la rue, bravant la répression policière, était essentielle pour faire reculer le plan de guerre de classe mené par Milei et ses alliés, l’urgence de l’heure est à un véritable plan de bataille qui unifie l’ensemble des secteurs qui s’opposent aux plans austéritaires du gouvernement pour lui infliger une défaite.

Ce jeudi à partir de 18 heure, des mobilisations auront de nouveau lieu pour protester contre la loi omnibus, malgré la répression d’hier à laquelle les manifestants ont fait face et ont résisté. Le 24 janvier a montré la voie pour affronter Milei, malgré la très courte grève nationale appelée par les bureaucraties syndicales argentines et le fait que celles-ci ne se soient pas mobilisés réellement et dans tous les secteurs pour construire une grève générale active. Elle a néanmoins donné la confiance nécessaire à de nombreux secteurs combatifs et d’autres qui étaient restés plus passifs pour montrer qu’il ne fallait pas avoir peur et qu’il est possible de mener la lutte dans la rue contre Milei.

Alors que les négociations au sein du Congrès se font sur le dos des classes populaires, la classe ouvrière argentine pourrait montrer que sa lutte incarne la seule perspective pour infliger une défaite à l’extrême-droite et aux capitalistes internationaux qui la soutiennent. Mais pour cela, il faut qu’elle impose à ses directions un plan de bataille global discuté depuis la base pour faire reculer le gouvernement sur son projet de loi, sur son décret de nécessité et d’urgence et sur son plan de répression systématique.


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