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Notre histoire

Argentine. Il y a 15 ans, quand la rue faisait tomber le gouvernement

Gabriela Liszt, correspondante en Argentine Il y a quinze ans en Argentine, la chute du gouvernement De la Rua a été le produit d'une mobilisation populaire sur la Place de Mai et ses alentours, et en est devenu champ de bataille contre les forces de répression. Ce fut le premier gouvernement de l'histoire du pays, élu au suffrage universel, mis en déroute par l'irruption de la révolte de rue, en conséquence des brutales politiques économiques menées par le gouvernement dans le cadre de la crise de la dette que vivait le pays.

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Le mécontentement contre les politiques économiques du gouvernement s’était exprimé par une journée de grève générale le 13 décembre, appelée par les deux centrales syndicales existantes : la CGT officielle (Daer) et dissidente (Moyano). Le 19, les saccages de supermarchés et commerces se sont étendues, notamment l’œuvre du mouvement de chômeurs et des quartiers populaires de onze provinces, y compris celle du Grand Buenos Aires. Cela a été les premières actions du soulèvement populaire, dans le cadre d’une situation marquée par quatre ans de récessions, de divisions entre les classes dominantes, et de l’usure du gouvernement et de tout le régime politique. A ces saccages, les gouvernements provinciaux comme celui de Ruckauf à Buenos Aires, de Binner à Rosario ou de Reuteman à Santa Fe, ont répondu par une brutale répression policière et para-policière, tout en livrant de la nourriture pour atténuer la situation de récession. A l’inverse, les travailleurs et les classes moyennes se sont solidarisés des saccages. L’état de siège décrété par De la Rua a dû faire face à un immense cortège, et inespéré – qui avait gagné les quartiers de la ville de Buenos Aires et se dirigeait vers l’Hôtel de Ville – qui le défiait ouvertement. Face à cela, le Ministre de l’économie Cavallo est poussé à démissionner. Le 20 décembre a eu lieu ce que l’on a appelé « la bataille de la Place de Mai » : jeunes travailleurs, étudiants et chômeurs, accompagnés de centaines de militants des partis d’extrême-gauche, s’affrontent à la police. Ce jour-là, les syndicats appellent à une nouvelle grève générale, qu’elles annuleront face à la démission du gouvernement. Ce jour-là, il y eut plus de trente morts des mains de la police (des morts dont De la Rua fut blanchit, dans les derniers jours du gouvernement de Christina Kirchner).

Pour la première fois, on entendait dans les rues le mot d’ordre emblématique du mouvement, par lequel la population exprimait son rejet de la caste politique : « qu’ils s’en aillent tous ». Le mouvement de décembre a constitué un large front social, qui incluait les chômeurs, les classes populaires urbaines, la jeunesse, les classes moyennes pauvres, et ceux dont l’épargne avait été confisquée du fait de la crise. Cette alliance a fait trembler les classes dominantes au pouvoir. La classe ouvrière y participa, mais pas avec ses propres méthodes de lutte, mis à part dans les entreprises abandonnées par les capitalistes et récupérées par les travailleurs, comme à Zanon et Bruckman.

La bourgeoisie a dû alors changer cinq fois de présidents en moins d’un mois et Duhalde, président par intérim, a été obligé d’abandonner de manière anticipée le pouvoir, et de convoquer des élections suite à l’assassinat des chômeurs manifestants Dario et Maxi le 26 juin 2002.

Indubitablement, ces journées ont inauguré un nouveau cycle politique et de lutte des classes. Les assemblées populaires ont continué à s’organiser et les mouvements de chômeurs combatifs ont acquis une grande popularité, donnant l’impulsion à l’occupation et la reprise de certaines usines. L’expérience de la démocratie directe et de l’auto-organisation était inédite dans le pays depuis les coordinations inter-entreprises des années 70, même si la différence était en 2001 le poids faible des travailleurs.

Soulèvement populaire et complot capitaliste

 
Vu d’aujourd’hui, tout cela peut paraitre comme un souvenir lointain. De ces souvenirs dont il reste bien peu. L’intervention quasi-spontanée d’un grand secteur du mouvement de masses a mis en lumière la profondeur de la crise institutionnelle de l’Etat capitaliste semi-colonial argentin. Mais le fait que les travailleurs n’y aient que peu participé, en n’intervenant pas avec leurs propres méthodes de lutte, a permis aux partis politiques de la classe dominante de reprendre la main. En effet, les assemblées ne se sont pas développées pour qu’elles deviennent de réelles organisations de représentants élus qui coordonnent les usines, les banques, les services, les précaires, les chômeurs, les migrants et tous les secteurs opprimés et exploités, pour organiser par exemple le réapprovisionnement alimentaire de la population et en proposant une alternative de classe et révolutionnaire. Le sentiment anti-parti dans les assemblées et dans le mouvement de chômeurs (qui ne différenciait pas les partis de la classe dominante de ceux de l’extrême gauche) a été aussi une faiblesse du mouvement, qui a rendu plus difficile la lutte politique dans les assemblées contre ceux qui souhaitaient enterrer la lutte.

L’enterrement du mouvement

 
Nestor Kirchner arrive au pouvoir en 2003, sur la base d’une candidature liée à la question des droits de l’homme et de centre-gauche. Avec son projet de grands plans sociaux, son courant, le péronisme, a commencé à jouer son rôle de « parti de contention ». Ses objectifs (comme ceux de toute la classe dominante) étaient de terminer de désarticuler la rébellion populaire. Certains même prétendent que les journées de décembre 2001 étaient l’œuvre d’un complot orchestré par le Parti Justicialiste pour faire tomber De la Rua et mettre au pouvoir leur candidat, Duhalde. D’autres, principalement de centre-gauche, disaient que même si la mobilisation populaire était légitime, le slogan « qu’ils s’en aillent tous » ne l’était pas, et ils critiquèrent son aspect le plus progressiste : le rejet des institutions, de la justice, des partis des classes dominantes, du Congrès, de la figure présidentielle, et des banquiers voyous.

Quinze ans plus tard, certains de ceux qui étaient inclus dans ce « qu’ils s’en aillent tous » ont continué à gouverner et à réprimer durement les luttes sociales. La nécessité aujourd’hui est d’approfondir les bilans sur les forces et les faiblesses de ces journées, ainsi que des expériences supérieures comme les coordinations des années 70, pour que les révolutionnaires et la classes ouvrière profitent de cet héritage pour intervenir dans les prochains processus de lutte.


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