Marcelo Tupinámba, correspondant (São Paulo)

Dimanche soir, après les manifestations orchestrées par la droite contre la présidente Dilma Rousseff, contre le gouvernement du Parti des travailleurs, au pouvoir depuis 2003, et contre l’ancien président Lula, accusé de corruption, on a assisté à un concours de mensonges entre les grands médias, les organisateurs des mobilisations, la droite et la Police Militaire, en charge d’évaluer le nombre de manifestants. Il paraît que les mobilisations de dimanche auraient été plus importantes que les manifestations de la jeunesse de juin 2013, voire même que celles contre la dictature militaire de 1984. On n’arrête pas le progrès…

Une analyse sérieuse, menée, entre autres, par Esquerda Diário, montre que les manifestations de dimanche ont été légèrement supérieures, en termes de participation, à celles du 15 mars 2015, déjà orchestrées, à l’époque, par l’opposition de droite. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elles aient davantage mobilisé au sein des classes populaires, bien au contraire.

Pour ce qui est du débat au sujet du nombre de participants, il est intéressant de voir les écarts entre les calculs réalisés par la Police Militaire, liée au gouverneur pauliste, Gerardo Alckmin, qui évoque 1,5 millions de manifestants dans la capitale économique du pays, et ceux communiqués par le principal quotidien brésilien, Folha de São Paulo, qui parle de 450 000 personnes. Pour que le chiffre avancé par Alckmin soit juste, il aurait fallu qu’il y ait 12 manifestants par mètre carré sur l’avenue Paulista, un défi aux lois de la physique et aux images qui ont pu être filmées. A Rio, où les organisateurs ont évoqué le chiffre de 700 000 personnes, il ne devait y avoir que 70 000 personnes à Copacabana.

L’an passé, la colère face aux attaques austéritaires annoncées par Dilma Rousseff juste après les élections et le côté apparemment « spontané » du mouvement avait conduit des secteurs minoritaires du monde du travail, des afro-brésiliens et de la jeunesse à descendre dans la rue. Cette fois-ci, cependant, l’appui ouvert donné au mouvement par la droite brésilienne liée au monde politique et au monde de l’entreprise a donné au mouvement un caractère de classe et générationnel bien plus clair : les manifestants étaient, dans leur majorité, des quadragénaires, issus de la classe moyenne blanche.
La jeunesse qui était descendue dans la rue en juin 2013 et qui s’est à nouveau exprimé lors du dernier grand mouvement lycéen à São Paulo, Goiás et maintenant à Rio de Janeiro n’a strictement rien à voir avec ceux qui, dimanche, ont constitué le gros des manifestants. Le contenu de classe de ces mobilisations était également patent à travers l’absence de toute revendication à caractère social autour des questions de santé, d’éducation et des transports, qui sont au centre, pourtant, des préoccupations des Brésiliens qui s’étaient mobilisés en juin 2013.

Les médias ont également voulu présenter ces manifestations comme étant l’expression d’un mouvement contre la corruption en général. Il était clair, cependant, qu’il s’agissait avant tout d’un mouvement contre Dilma Rousseff, le Parti des travailleurs au pouvoir et Lula. Rien ou très peu était dit contre les formations de la droite brésilienne, largement épargnées par les manifestants.

Plus inquiétant, néanmoins, c’est que les manifestations ont été une nouvelle occasion de mobilisation pour l’extrême droite brésilienne, des secteurs skinheads, le courant Revoltados On Line, tous peu ou prou partisans d’une intervention militaire, du retour de la dictature ou admirateurs de la candidature de Trump aux Etats-Unis. Une bonne partie des slogans étaient à la gloire du juge Sérgio Moro, en charge de l’enquête sur les scandales de corruption chez Petrobras qui concernent notamment le PT, et qui sont liés à la procédure de destitution qui vise Dilma Rousseff et à la demande de placement sous contrôle judiciaire de Lula.

Lorsque certaines personnalités du PSDB (droite) tels que Aécio Neves, Alckmin ou José Serra (l’ancien candidat aux présidentielles) ont voulu prendre la parole lors de la manifestation de São Paulo, ils se sont heurtés à l’hostilité des manifestants. Il en est allé de même dans le cas de l’ancienne maire PT de São Paulo, Marta Suplicy, passée aujourd’hui au PMDB (parti allié du PT). Tout ceci est l’expression de la difficulté, pour la droite, de trouver des personnalités suffisamment légitimes pour mener à bien l’impeachment et se porter candidat à la présidence du pays si Dilma Rousseff venait à être renversée.

Parallèlement, tout ceci démontre comment il est absolument impossible, comme le souhaiteraient certains, au sein de la gauche radicale, de « repeindre ces manifestations en rouge » et leur donner un contenu progressiste semblable au « qu’ils s’en aillent tous » argentin de 2001. Luciana Genro, dirigeante de premier plan du PSOL, n’a pas hésité à évoquer en ce sens cette possibilité pour justifier sa politique d’exiger une « enquête sur la corruption du monde politique jusqu’au bout ». Penser qu’il soit possible de défendre comme perspective un grand nettoyage par l’intermédiaire du Juge Moro, de la justice brésilienne et de la Police Fédérale est une vaste supercherie.

Comme nous l’avons souligné, les jeunes, les travailleurs et les afro-brésiliens étaient pratiquement absents des manifestations de dimanche. La grande majorité n’est pas tombée dans le piège de la droite, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Le Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs continue à soutenir qu’il est nécessaire de contrer la procédure de destitution lancée par la droite réactionnaire qui est descendue, dimanche, dans la rue ; de dénoncer le fait que le juge Sérgio Moro, la justice qu’il sert et la Police Fédérale, ne sont en rien une solution pour mettre fin à la corruption des politiciens et que le renforcement de ces institutions ne pourrait que se retourner, en dernière instance, contre le monde du travail. Le PT, quant à lui, a fait le lit de la droite et ne représente pas une alternative. Le gouvernement de Rousseff continue à annoncer de nouvelles attaques. La jeunesse et les travailleurs, de ce point de vue, auraient besoin d’un grand mouvement national contre les mesures austéritaires et l’impunité dont jouissent les puissants, pour obliger les syndicats à rompre avec le gouvernement et pour donner corps à un mouvement qui devrait imposer une Assemblée Constituante Libre et Souveraine à travers la mobilisation. Ce serait la seule façon pour combattre efficacement l’impunité, la rigueur et pour que la crise ne soit pas payée par le monde du travail mais par ceux qui en sont effectivement à l’origine. Cette bataille, de notre point de vue, s’inscrit dans la continuité de celle pour mettre en place un gouvernement des travailleurs.

Trad. CT

On pourra également se référer à l’interview de Diana Assunção, dirigeante du Syndicat des Travailleurs de l’Université de Sao Paulo (Conlutas) et membre de la direction nationale du MRT.