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En Turquie, la campagne ultra réactionnaire de Recep Tayyip Erdoğan

À une semaine des élections générales du 14 mai prochain, le président turc mène une campagne outrancière pour galvaniser sa base.

Atilla Ekim

8 mai 2023

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En Turquie, la campagne ultra réactionnaire de Recep Tayyip Erdoğan

Crédits photo : CC BY 4.0

Dimanche 14 mai, 64 millions d’électeurs (sur une population d’environ 85 millions d’habitants) sont appelés aux urnes pour choisir le 13e président de la République turque et renouveler les 600 sièges de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Les députés sont élus à la proportionnelle tandis que la présidentielle est un scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Au pouvoir depuis 2003 (d’abord comme Premier ministre puis comme président depuis 2014), le président Erdoğan se présente à sa réélection.

Face à lui, trois candidats sont en lice pour accéder à la présidence de la République, dont Kemal Kılıçdaroğlu, son concurrent le plus sérieux. À 74 ans, cet ancien haut fonctionnaire est à la tête du Parti républicain du peuple (CHP) depuis 2010. Le CHP est l’héritier du mouvement nationaliste créé par Mustafa Kemal Atatürk, le “père” fondateur de la République turque et dictateur de 1923 à sa mort en 1938. Un courant bourgeois et nationaliste, souvent présenté à tort comme “social-démocrate” dans la presse française.

Plus de deux décennies d’opposition à Recep Tayyip Erdoğan ont amorcé un timide virage « progressiste » au sein d’un CHP qui voue toujours un culte à Atatürk. Le parti kémaliste critique par exemple les positions patriarcales réactionnaires du président turc quand il parle des femmes. Contre l’autoritarisme du président Erdoğan, le CHP assure être un défenseur de la liberté de la presse. Mais Kemal Kılıçdaroğlu est également capable de promettre d’expulser “tous les réfugiés Syriens” (soit environ 5 millions de personnes) en deux ans. Le CHP alimente sans vergogne une vague de xénophobie qui agite les classes populaires turques en pleine crise économique en Turquie.

Pour les élections générales, le CHP est en outre allié à cinq partis d’opposition. On trouve dans cette coalition les petites formations de l’islamiste Ahmet Davutoğlu, ancien Premier ministre de Recep Tayyip Erdoğan, et du néolibéral Ali Babacan, ancien ministre de l’Économie de Recep Tayyip Erdoğan. Les islamistes du Parti de la félicité sont également représentés ainsi que le vieux Parti démocrate (centre droit). Le principal partenaire du CHP dans cette alliance restant le “Bon parti” (Iyi parti) de Meral Akşener, issu d’une scission avec l’extrême droite turque. Une “Alliance de la nation” qui penche très à droite et dont le dénominateur commun, au-delà de l’opposition à Recep Tayyip Erdoğan, reste le nationalisme turc et la défense des intérêts du capital.

LGBTphobie

En difficulté dans les sondages face à Kemal Kılıçdaroğlu, Recep Tayyip Erdoğan ne rate pas une occasion d’étaler son homophobie pour chauffer à blanc sa base. "Nous sommes contre les LGBT ! Pour nous la famille est sacrée !", lance Recep Tayyip Erdoğan à une foule de ses partisans assemblés à Giresun (mer Noire). Ces derniers jours, le président turc ne tient pas un meeting sans s’attaquer aux LGBT+. Sur scène dans son fief de Rize (nord-est de la Turquie) Recep Tayyip Erdoğan accuse toute l’opposition d’être “LGBTiste”. Quelques jours plus tôt à Izmir (ouest du pays), il affirmait : "Aucun LGBT ne peut être le produit de cette nation !"

Une campagne de haine reprise par les principaux lieutenants du président sortant. "Si vous laissez partir Recep Tayyip Erdogan, qui viendra à sa place ? Quand ils [l’opposition] parlent des LGBT, ça inclut le mariage des animaux et des humains", assure Süleyman Soylu, son ministre de l’Intérieur issu de l’extrême droite. Il a par ailleurs récemment annoncé vouloir censurer une campagne publicitaire pour un soin de beauté accusée de faire l’apologie des relations lesbiennes.

De tels propos, s’ils traduisent une certaine fébrilité du pouvoir à l’approche du scrutin, ne sont pas nouveaux. Islamoconservateur, Recep Tayyip Erdoğan est connu pour sa LGBTphobie. Il qualifie depuis des années les personnes LGBT+ de “déviants”. L’homosexualité n’est pas officiellement criminalisée en Turquie. “Tolérant” lors de ses premières années au pouvoir, encore capable de s’afficher pendant le ramadan 2022 avec une célèbre chanteuse trans, Recep Tayyip Erdoğan a renforcé la répression des mouvements LGBT+. Depuis 2015, la Marche des fiertés est interdite à Istanbul, justifiant de nombreuses arrestations dans le défilé (plusieurs centaines en 2022).

Mépris à l’égard des alévis

Le principal opposant de Recep Tayyip Erdoğan à la présidentielle, Kemal Kılıçdaroğlu, est la cible favorite du président turc. Kemal Kılıçdaroğlu est le premier président du CHP de confession alévie, un courant hétérodoxe de l’islam représentant entre 10% et 20% de la population de Turquie.

Sa foi, dont les origines remontent au XIIIe siècle, a historiquement été marginalisée en Anatolie. De nombreuses superstitions concernant les alévis sont toujours véhiculées dans les milieux sunnites les plus conservateurs, qui vont parfois jusqu’à refuser de manger de la nourriture préparée par une personne alévie. Au XXe, plusieurs massacres d’alévis ont endeuillé la Turquie. En 1978, dans la ville de Maraş (est de l’Anatolie), une semaine de pogroms orchestrés par l’extrême droite fait plusieurs centaines de morts parmi les alévis et les militants de la gauche révolutionnaire. En 1993, à Sivas (Anatolie), une foule d’islamistes encercle et met le feu à un hôtel où logent des artistes et des intellectuels alévis. Les assaillants empêchent les pompiers d’intervenir, 37 personnes périssent dans les flammes.

La confession de Kemal Kılıçdaroğlu n’est donc pas un élément anecdotique dans la campagne présidentielle. Le candidat du CHP a d’ailleurs revendiqué son appartenance à ce courant minoritaire de l’islam dans une courte vidéo visionnée plus de 36 millions de fois. Misant sur un rejet viscéral de l’alévisme par une partie des électeurs conservateurs sunnites, Recep Tayyip Erdoğan s’en est alors pris à son adversaire lors d’un meeting, tentant d’invisibiliser les discriminations à l’égard des alévis : “Qui t’a demandé si tu étais alévi ou non ? Nous avons du respect pour les alévis”. Avant d’ajouter : “Nous avons du respect pour toutes les sortes/genres”, utilisant le terme turc “tür” s’appliquant généralement au règne animal plutôt qu’aux êtres humains. L’homme fort d’Ankara insinue par ailleurs régulièrement que son opposant n’est pas musulman : “Il n’a pas de religion [...] pas d’appel à la prière.”

Accusation de liens avec le “terrorisme” kurde

S’il revendique désormais sa foi alévie, le candidat de l’opposition n’aborde jamais ses origines kurdes, première minorité ethnique de Turquie, dont les velléités d’indépendance et d’autonomie sont réprimées depuis les années 30. Ce qui n’empêche pas le président Erdoğan d’attaquer Kemal Kılıçdaroğlu pour ses liens supposés avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Le dirigeant turc l’accuse même de “prendre ses ordres” auprès du PKK.

Le PKK mène une lutte armée contre l’État turc depuis 1984. Les militants politiques kurdes ou ayant des sympathies pour la cause kurde sont automatiquement accusés de terrorisme en Turquie, quand bien même ils condamneraient les méthodes de la lutte armée. Le 25 avril dernier, en pleine campagne électorale, plus de 100 militants, avocats, artistes et journalistes proches du mouvement kurde ont encore été arrêtés dans le cadre d’une soi-disant “opération antiterroriste”.

La candidature de Kemal Kılıçdaroğlu est soutenue par le Parti démocratique des peuples (HDP) et le Parti de la gauche verte (YSP), les deux partis prokurde de Turquie qui mènent une lutte politique “légale” et électorale et se distinguent du PKK et de sa lutte armée. Pour autant, ces organisations ne sont pas membres d’une coalition avec le CHP de Kemal Kılıçdaroğlu. C’est un soutien extérieur. Malgré tout, Recep Tayyip Erdoğan ne manque pas l’occasion de prétendre que son adversaire roule pour le PKK : “les membres du PKK et du HDP qui ont reçu des promesses de Kılıçdaroǧlu ont déjà commencé à préparer leurs armes et leurs cocktails Molotov”.

Coalisé au sein d’une “Alliance du peuple” avec des partis d’extrême droite et des formations islamistes radicales, le président Erdoğan ne recule plus devant aucun mensonge et durcit sa rhétorique réactionnaire en cette fin de campagne pour flatter les électeurs aux convictions les plus rétrogrades : conservatisme religieux, racisme, LGBTphobie.


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