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Inégalités

« Groupes de niveau » : après l’interdiction des abayas, Attal s’attaque au collège unique

Après une rentrée marquée par l’interdiction islamophobe de l’abaya, Gabriel Attal s’attaque au collège unique, en proposant de mettre en place des groupes de niveau. Une politique qui vise à renforcer le tri entre les élèves, avec, en première ligne, les enfants des familles précaires et des quartiers populaires.

Tristane Chalaise

6 octobre 2023

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« Groupes de niveau » : après l'interdiction des abayas, Attal s'attaque au collège unique

Crédits photo : capture d’écran @EducationFrance

Ce jeudi 5 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale des enseignants, Gabriel Attal a posé les grandes lignes de son plan pour un « choc des savoirs » à l’école. Le ministre prévoit, entre autres, la mise en place de groupes de niveau en français et en mathématiques au collège. Une mesure qui ne peut que renforcer encore le tri scolaire et social des élèves, et s’ajoute à la longue liste des offensives contre les enfants des familles précaires et des quartiers populaires.

La mise en place de groupes de niveaux pour renforcer un collège à plusieurs vitesses

Dans son discours, Gabriel Attal a annoncé vouloir modifier le fonctionnement par classes au collège, en particulier en français et en mathématiques : « Est-ce qu’il ne faut pas réfléchir, au moins pour ces matières fondamentales […] à une organisation par groupes de compétences, ou de niveau, qui permettrait de faire progresser davantage ceux qui arrivent au collège avec le moins de bagages, et de permettre à ceux qui sont arrivés au collège avec un bagage important de continuer à s’élever et à progresser ? », a déclaré le ministre de l’Education.

Si les contours de la mesure sont encore flous, Gabriel Attal se donnant 8 semaines pour définir son nouveau plan pour l’école, la proposition marque un saut dans la remise en cause du collège unique, avec la mise en place d’une séparation claire entre les élèves destinés à « s’élever » et ceux que le ministre semble condamner à rester au ras des pâquerettes. Elle s’inscrit néanmoins dans la continuité des politiques menées par les ministres de l’Education d’Emmanuel Macron.

Initié par Jean-Michel Blanquer, le « retour aux fondamentaux », c’est-à-dire le renforcement des mathématiques et du français – qui sont déjà les deux disciplines auxquelles le plus de temps est consacré au collège – est devenu l’un des poncifs du gouvernement, qui en fait l’une des solutions miracles pour l’école. De même, si, sur le papier, l’école à deux vitesses n’existe pas encore, la proposition de Gabriel Attal renvoie à des dynamiques déjà en cours.

Si l’institution éducative reproduit les inégalités sociales, la France est championne puisqu’elle est l’un des pays où le poids de l’origine sociale a le plus d’influence sur la réussite scolaire des élèves. Une situation accentuée par les offensives des gouvernements successifs, qui n’ont fait que creuser le fossé déjà très profond entre les établissements et les élèves des quartiers populaires et des milieux aisés.

Une mesure qui vise avant tout les élèves des familles précaires et des quartiers populaires

Dans la continuité des annonces d’Emmanuel Macron, qui, au sortir des révoltes, voulait « reciviliser » les enfants des quartiers populaires, notamment en faisant débuter l’année scolaire dès le 20 août pour les élèves en difficulté, Gabriel Attal prévoit lors de l’entrée en 6e, « un parcours qui [leur] fera faire [la] rentrée scolaire plus tôt que les autres et faire des stages de réussite pendant [les] vacances ». Une mesure qui sonne comme une punition, et qui, dans la continuité de la généralisation du SNU à l’interdiction du port de la abaya, vise en premier lieu les élèves des quartiers populaires, que le gouvernement veut mettre au pas.

De même, la proposition de réforme du collège s’inscrit dans la continuité des précédentes réformes portées par le gouvernement. Bien que le gouvernement prétende vouloir réduire les inégalités scolaires, l’instauration de groupes de niveau ne peut que réduire encore l’accès aux filières générales pour les élèves en difficultés – qui sont en majorité les élèves les plus précaires. Des élèves qui ont alors toutes les chances de rejoindre le lycée professionnel, où 57 % des lycéens sont déjà issus d’une origine sociale défavorisée (contre 29 % pour les filières générales et technologiques). Un moyen de préparer dès l’entrée en 6e la « chair à patrons » déjà promise par la réforme du lycée professionnelle et l’instauration de la « découverte des métiers » dès la 5e.

Non, il n’existe pas de « loi implacable des inégalités » mais des inégalités sociales

Contrairement à ce qu’affirme Gabriel Attal, il n’y a pas de « loi implacable des inégalités », et ce ne sont pas « les inégalités de niveaux qui deviennent des inégalités de destins », ce sont les inégalités sociales qui sont au fondement des inégalités de niveaux.

Ces inégalités structurelles ne sont que renforcées par le système éducatif lui-même qui, loin d’avoir pour rôle de résorber celles-ci, a pour objectif central la formation de la future main d’œuvre au service du patronat. De ce point de vue, l’institution éducative ne déroge pas vraiment à son rôle, celui de reproduire les inégalités de classes présentes dans la société, voir même de les approfondir.

Une réalité que n’ignore probablement pas Gabriel Attal, dont la « culture générale » l’a surement amené à lire Pierre Bourdieu qui, dans les années 1970, avait analysé l’école comme une instance de reproduction sociale, où « les inégalités sociales, transformées en inégalités scolaires redeviennent ensuite des inégalités sociales à la sortie du système scolaire ». Des inégalités qui, selon le sociologue Bernard Lahire se manifestent dès… la maternelle.

Contre cette nouvelle offensive, les directions syndicales doivent riposter !

Après l’interdiction des abayas, le gouvernement cherche à travers cette nouvelle offensive à renforcer les divisions qui existent déjà de facto dans les établissements scolaires, entre ceux qui « réussissent » et les autres. Contre ce discours réactionnaire qui fait des élèves les plus défavorisés ceux qui « tirent vers le bas » les élèves « d’élite », qu’il s’agirait de séparer pour assurer la « réussite » de tous, nous devons opposer l’unité du monde du travail.

Pour l’heure, les directions syndicales se sont peu prononcées et restent plutôt timorées. Interrogée par le Café Pédagogique, Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, déclare : « Le collège modulaire, c’est un renoncement. Un renoncement au fait que l’École puisse faire progresser et s’ouvrir dans la diversité et dans la confrontation à la diversité ». Avant d’ajouter « Dans le projet porté par le ministre, on a une place sociale à la naissance, on ne s’en sort pas. Même l’école ne permet pas d’en sortir. C’est donc un renoncement ». Pour Élisabeth Allain-Moreno du SE-UNSA, « il est compliqué de vendre une école ultra-conservatrice tout en parlant de l’avenir, de la modernité, du challenge ».

Ces réactions restent sur des positions de principe, mais n’esquissent rien sur le terrain de la mobilisation. Or, face à une telle offensive du gouvernement contre les plus précaires et les quartiers populaires, il s’agirait d’opposer une riposte immédiate qui exige de front l’abrogation de la circulaire islamophobe qui interdit les abayas, ainsi que le retrait immédiat du projet « choc des savoirs » à l’école, qui ne sont que les deux faces d’une même pièce. Un combat contre cette offensive qui doit s’articuler avec une lutte pour plus de moyens, des réductions d’effectifs en classe et des embauches massives pour mettre un coup d’arrêt à l’offensive permanente contre nos conditions de travail qui accentuent toujours plus les conditions d’apprentissage des élèves.

Plus généralement, la fin des inégalités scolaires ne peut se concevoir sans articuler cette lutte à un combat d’ensemble non seulement contre les politiques anti-sociales du gouvernement, mais contre le système capitaliste qui structure lui-même ces inégalités sociales.


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