×

Palestine

Jordanie : retour sur une semaine de mobilisations contre le génocide à Gaza

Depuis une semaine, les manifestations se succèdent à Amman. Tous les soirs, des dizaines de milliers de manifestants prennent la rue et dénoncent la collaboration de la monarchie avec Israël à proximité de l’ambassade de l’Etat colonial dans le quartier de El Rabia.

Enzo Tresso

1er avril

Facebook Twitter
Audio
Jordanie : retour sur une semaine de mobilisations contre le génocide à Gaza

Alors qu’Israël restreint l’accès à la mosquée d’Al-Aqsa depuis le début du Ramadan, les opérations de Tsahal à Gaza et le second siège de l’hôpital Al-Shifa ont suscité une vague de mécontentement inédite depuis le 7 octobre en Jordanie. Si la monarchie du roi Abdallah a multiplié les déclarations critiques à l’égard de Benjamin Netanyahou et de la guerre coloniale qu’il conduit à Gaza, l’Etat jordanien demeure un allié historique des Etats-Unis, percevant près d’un milliard d’aide économique et militaire tous les ans, et a normalisé depuis 1994 ses relations diplomatiques avec l’Etat colonial.

En dépit des largages humanitaires auxquels a procédés l’armée jordanienne et de la suspension du traité énergétique qui relie Tel-Aviv et Amman, en novembre, les positions pro-israéliennes de la monarchie suscitent le mécontentement croissant de la population : en cause, l’établissement d’un pont terrestre reliant Israël aux Emirats-Arabes Unies, traversant la Jordanie, pour contourner le blocus houthis en Mer rouge, et la poursuite des exportations fruitières à destination d’Israël.

Alors que la Jordanie compte deux millions de Palestiniens et que près des deux tiers de la population est d’origine palestinienne et entretient des liens familiaux plus ou moins directs avec la Cisjordanie et Gaza, l’opposition cosmétique du gouvernement ne parvient plus à convaincre les Jordaniens que les récentes opérations de Tsahal à Gaza City ont mis au désespoir.

Depuis une semaine, des milliers de manifestants se rassemblent chaque soir devant l’ambassade israélienne, protégée par les forces de sécurité du régime jordanien. La répression s’est étendue tandis que l’appareil sécuritaire craint la radicalité des mots d’ordre de la protestation.

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par Middle East Eye (@middleeasteye)

Comme l’explique Al-Abssi, qui manifeste depuis dimanche dernier à Amman, les manifestants exigent « la fermeture complète de l’ambassade israélienne. Nous demandons en outre la fin du pont terrestre. Israël vise la Jordanie autant qu’il vise la Palestine. Le danger est le même et le peuple jordanien reconnait cela ». Mis en place par la ministre des Transports israélienne, Miri Regev, le pont terrestre doit permettre aux marchandises à destination d’Israël de contourner la Mer rouge, bloquée par les frappes Houthis, grâce à un réseau routier traversant la Jordanie.

De la foule, s’élevaient, mercredi soir, de nombreux chants revendicatifs. Les manifestants dénoncent également la compromission des bourgeoisies arabes : « Vous, les lâches gouvernements arabes. Au nom des sans-voix, nous crions contre le pont terrestre. Le pont terrestre est une trahison. Nous, aussi, nous nous tenons aux côtés de Gaza. Nous aussi sommes assiégés ». D’autres chants ont visé les colons en Cisjordanie et ont appelé à un soulèvement révolutionnaire d’ « Amman à Jenine ».

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par Middle East Eye (@middleeasteye)

Dans un appel à manifester publié ce samedi, les organisateurs des manifestations appelaient à « soutenir la résistance à Gaza et à exiger l’annulation du traité de paix israélo-jordanien ». Exigeant que la Jordanie coupe tout lien diplomatique avec Israël, les revendications des manifestants se sont ainsi radicalisées. Comme l’explique Raya Sharbaine à TRT, média affilié au pouvoir turc, « les manifestations n’ont pas cessé depuis octobre dernier. Si les manifestations dans d’autres pays demandent un cessez-le-feu, nous, nous voulons que la Jordanie coupe tout lien avec Israël. Nous devons revenir à la situation d’avant 1994. Je me sens autant Jordanienne que Palestinienne. Aujourd’hui, il y a dans les manifestations, autant de Jordano-Palestiniens que de Transjordaniens. Cette guerre nous réunit ».

Affaiblie par la crise du Covid-19, la Jordanie a également souffert de la guerre en Syrie. Après avoir accueilli plus d’un million de réfugiés syriens, qui représentent désormais 12% de la population nationale, la crise économique engendrée par l’épidémie mondiale ne s’est pas résorbée, fragilisant grandement le régime réactionnaire du roi Abdallah. Alors que le chômage touche 22,3% de la population et que près de la moitié de la jeunesse est sans emploi, les manifestations en solidarité avec la Palestine menacent de s’épaissir d’une dimension politique.

Saud al-Sharafat, ancien général de brigade des renseignements jordaniens, est inquiet et souligne la fragilité de l’appareil répressif jordanien dont beaucoup de ses soldats sont eux-mêmes Palestiniens : « La Jordanie est dans une position peu enviable. L’inquiétude est palpable chez les dirigeants du gouvernement. Le déploiement fréquent de la police anti-émeute draine les faibles ressources de l’économie fragile de la Jordanie. Et il y a le fardeau émotionnel qui pèse sur la police elle-même, dont beaucoup sont palestiniens. Après avoir jeûné de l’aube au couchant, ils passent désormais leurs nuits à affronter les manifestants. La position de la Jordanie est actuellement en crise…et les interrogations persistent quant à la manière de gérer les prochaines étapes, de gérer les manifestations. L’espace dont dispose le gouvernement pour manœuvrer est très étroit ».

Inquiètes, les autorités jordaniennes ont violemment réprimé les dernières manifestations. Après que la dizaine de manifestants qui a tenté de forcer le cordon de sécurité, mardi soir, a été arrêtée les forces de sécurité jordaniennes ont procédé à des arrestations massives ce mercredi. Alors que les manifestations continuent, la police jordanienne se montre toujours plus brutale, comme ce samedi où des manifestants ont été violemment traînés hors de la foule et battus par les forces anti-émeutes.

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par Middle East Eye (@middleeasteye)

Alors que le projet colonial israélien ne cesse de se concrétiser davantage à Gaza, que le gouvernement israélien annexe de nouvelles terres en Cisjordanie et que le spectre de la guerre plane au-dessus de la frontière israélo-libanaise, le peuple jordanien montre la voie, dénonce, dans la rue, la collaboration des bourgeoisies arabes avec l’Etat colonial et témoigne de la puissance de la solidarité avec le peuple palestinien dans le monde arabe. Confrontés à la répression brutale des autorités jordaniennes, les manifestants qui chaque soir prennent les rues d’Amman pour dénoncer la compromission de la monarchie avec Israël démontrent, une fois de plus, que la révolution en Palestine dépendra des masses populaires arabes unies pour libérer le Moyen-Orient du joug impérialiste.


Facebook Twitter
Cour pénale internationale : Netanyahou bientôt sous le coup d'un mandat d'arrêt international ?

Cour pénale internationale : Netanyahou bientôt sous le coup d’un mandat d’arrêt international ?

Le mouvement étudiant fait irruption au coeur de l'impérialisme en soutien à la Palestine

Le mouvement étudiant fait irruption au coeur de l’impérialisme en soutien à la Palestine

Etats-Unis. Le mouvement étudiant en solidarité avec la Palestine se propage dans une centaine d'universités

Etats-Unis. Le mouvement étudiant en solidarité avec la Palestine se propage dans une centaine d’universités

Des Etats européens bientôt exemptés des règles budgétaires de l'UE au nom de la militarisation ?

Des Etats européens bientôt exemptés des règles budgétaires de l’UE au nom de la militarisation ?

Interview d'une étudiante de Columbia : « les campements doivent s'étendre à l'ensemble du pays »

Interview d’une étudiante de Columbia : « les campements doivent s’étendre à l’ensemble du pays »

Hongrie : 4 antifascistes menacés de jusqu'à 24 ans de prison ferme pour leur lutte contre des néo-nazis

Hongrie : 4 antifascistes menacés de jusqu’à 24 ans de prison ferme pour leur lutte contre des néo-nazis

Etats-Unis : la mobilisation de la jeunesse étudiante attise les difficultés de Biden

Etats-Unis : la mobilisation de la jeunesse étudiante attise les difficultés de Biden

Netanyahou compare les étudiants américains pro-Palestine aux nazis dans les années 1930

Netanyahou compare les étudiants américains pro-Palestine aux nazis dans les années 1930