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République impérialiste

L’autre 14 juillet : en 1953, la police tuait des Algériens et un militant CGT à Paris

Il y a 70 ans, la police française tuait des militants algériens et un militant CGT lors du 14 juillet 1953. Un massacre raciste et colonial qui résonne avec la politique autoritaire du gouvernement et les crimes policiers racistes qui se poursuivent aujourd’hui.

Benoit Barnett

14 juillet 2023

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L'autre 14 juillet : en 1953, la police tuait des Algériens et un militant CGT à Paris

En ce jour de parade nationale, Emmanuel Macron s’offre une sortie au plein air accompagné de rangs de policiers, gendarmes et militaires. Cette commémoration républicaine a lieu alors que la répression policière et judiciaire s’abat sur les jeunes après les morts de Alhoussein, de Nahel ou encore de Mohamed des mains de la police. A défaut d’être une fête nationale, ce 14 juillet 2023 marque les 70 ans du massacre des Algériens par la police le 14 juillet 1953 à Paris lors d’une manifestation qui a été la dernière célébration du 14 juillet par le mouvement ouvrier.

En plein mouvements d’indépendance vis à vis de l’impérialisme français comme au Vietnam, à Madagascar, en Algérie, au Cameroun, au Maroc ou encore en Tunisie, le mouvement ouvrier français manifestait le 14 juillet 1953 pour dénoncer l’incarcération de militants politiques et syndicaux, comme Henri Martin, ou encore la politique coloniale de la France au Vietnam.

Dans le dernier cortège, les militants algériens du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), avaient décidé de rejoindre la manifestation pour porter des revendications d’égalité entre algériens et français ainsi que la libération de Messali Hadj, fondateur du mouvement et figure de la lutte de libération nationale algérienne, incarcéré en France l’année d’avant.

Lors de la manifestation, une première altercation a lieu alors qu’une vingtaine de militants d’extrême-droite cherche à provoquer le MTLD qui va, au côté du service d’ordre la CGT, les encercler pour les empêcher d’agir. La police intervient une première fois pour protéger l’extrême-droite. La police ne tardera pas à refaire une apparition lors du passage de la manifestation place de la Nation. La répression policière s’abat alors sur les manifestants algériens pour les disperser et enlever les drapeaux, banderoles et portrait de Messali Hadj utilisés lors de la manifestation.

En réponse, les manifestants se munissent du mobilier urbain pour se protéger des coups de matraques des policiers. Des coups de feu se font alors entendre, causant les premiers morts de la manifestation. Comme le relate Daniel Kupferstein, réalisateur de Les balles du 14 juillet 1953 pour Orient XXI, « une véritable chasse à l’homme est organisée dans tout le quartier ». Au total, ce massacre a fait sept morts, dont six algériens et un militant CGT français. Leurs noms : Amar Tabadji, 26 ans ; Abdallah Bacha, 25 ans ; Larbi Daoui 27 ans ; AbdelKader Draris, 32 ans ; Mouhoub Illoul, 20 ans ; Tahar Madjène, 26 ans et Maurice Lurot, 41 ans et ouvrier métallurgiste. Les tirs et les assauts de la police font également des centaines de blessés.

Ce massacre sera couvert par la hiérarchie policière et judiciaire. Sous couvert de la supposée « agressivité » des Algériens et des déclarations mensongères de la police selon lesquelles ils auraient soi-disant « entendu des coups de feu qui venaient du côté des manifestants ou du côté de la place de la nation », cette dernière va légitimer son utilisation des armes et le massacre. Du côté de la justice, c’est le juge Guy Baurès qui va rendre des jugements de non-lieu, en tenant à l’écart les témoignages des algériens faisant état des violences policières. Plusieurs années plus tard, des policiers ont admis leur utilisation « à l’horizontale » des pistolets. L’État déclarait alors que seulement 17 douilles avaient été ramassé place de la nation alors qu’au total, une cinquantaine de personnes avaient été blessées par balles et 7 en sont morts.

Selon l’historienne Danielle Tartakowsky, ce 14 juillet marquera la fin des cortèges ouvriers dans les manifestations jusqu’en 1968 mais aussi le « dernier défilé populaire du 14 juillet à Paris ». Ce 14 juillet constituera aussi le point de départ de deux nouveaux corps spécialisés de la police : les compagnies d’intervention et la « Brigade des agressions et violences » (BAV). La création de cette dernière sera justifiée par la nécessité de lutter contre « les agressions nocturnes->http://barthes.enssib.fr/clio/revues/AHI/articles/preprints/blanchard.pdf] »

Kupferstein quant à lui considère que cette répression constitue, avec la crise que traversait le MTLD, les bases du développement de la guerre d’Algérie avec un nombre conséquent de militants algériens qui abandonne les méthodes légales pour passer à la lutte armée. Ces évènements précèdent et préfigurent la constitution du Front de Libération Nationale (FLN) le 1er novembre 1954.

À l’heure où le gouvernement et l’État français font du 14 juillet une grande fête du militarisme et de l’impérialisme en forme de salon de l’armement international, nous commémorons nos morts, ceux de la classe ouvrière et de la lutte anticoloniale, et continuons d’exiger justice pour les jeunes militants algériens et le syndicaliste tués par balles le 14 juillet 1953.

Si les époques sont différentes et que soixante-dix ans nous séparent du massacre du 14 juillet 1953, les fils de continuité d’un État colonial et raciste sont bel et bien présents dans les politiques du gouvernement macroniste. Et ce notamment à l’heure où le gouvernement a déployé une répression inouïe pour mater la récente révolte de la jeunesse des quartiers populaires, et que Macron et Darmanin multiplient les attaques contre les migrants et tous les racisés du pays.


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