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Asie du Sud

« Nous voulons un salaire décent » : au Bangladesh, des milliers d’ouvriers en grève

Depuis plusieurs jours, des milliers d’ouvriers du textile bangladais sont en grève et manifestent pour revendiquer une multiplication par trois de leurs salaires et de meilleures conditions de travail, alors que le salaire moyen est de 70 euros par mois.

Léna Nilène

3 novembre 2023

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« Nous voulons un salaire décent » : au Bangladesh, des milliers d'ouvriers en grève

Crédits photo : capture écran AFP

Ce jeudi 2 novembre, des centaines d’usines de confection, fournissant des marques comme Gap, H&M et Levi Strauss, ont été contraintes d’arrêter leur activité après d’importantes manifestations de travailleurs. Pour revendiquer la hausse de leur salaires, des milliers d’ouvriers du textiles sont sortis dans les rues de Dacca, la capitale du Bangladesh, et ont monté des barricades pour faire face à la répression policière. Mais la mobilisation a également commencé dans la ville de Gazipur, où se sont réunis 1500 manifestants également. Malgré la répression policière forte, la mobilisation a tenu.

Selon Salma Lamqddam, chargée de campagne pour l’ONG ActionAid et spécialiste de la condition ouvrière dans l’industrie textile bangladaise, la problématique des salaires occupe une place cruciale dans la mobilisation actuelle. « Après la catastrophe du Rana Plaza en 2013, un « conseil du salaire minimum » a été créé et il s’est engagé à augmenter les revenus tous les cinq ans. Il y a eu une hausse en 2013, en 2018 et toujours rien pour 2023 », affirme-t-elle au Nouvel Obs.

« Comment pouvons-nous passer un mois avec à peine 8 300 takas (70 euros) quand nous devons déjà débourser de 5 000 à 6 000 takas juste pour le loyer d’une maison d’une pièce ? » s’insurge par exemple Sabina B., coutière de 22 ans qui a rejoint le mouvement pour pouvoir continuer de faire vivre sa famille, interrogé par le journal Le Monde.

Autrement dit, les salariés des usines de textiles les plus importantes à l’échelle mondiale n’ont pas connu d’augmentation depuis cinq ans. Étant donné que les salaires ne dépassent pas les 85 euros par mois, il est évident, qu’il est impossible pour ces travailleurs de répondre à leurs besoins ainsi que ceux de leur famille.

« C’est d’autant plus intenable que les Bangladais ont dû faire face à la pandémie et à une augmentation du coût de la vie dans un contexte inflationniste mondial. Les travailleurs n’ont jamais été aussi pauvres et avec un pouvoir d’achat aussi bas » déclare Salma Lamqddam. La mobilisation actuelle révèle l’extrême pauvreté de ces 4 millions de travailleurs du secteur, dont la majorité sont des femmes, qui se voient imposer des conditions de travail déplorables. Pourtant, le Bangladesh est le deuxième exportateur mondial de vêtements et les 3 500 usines qui s’y trouvent (ainsi à l’origine de plus de 80% des exportations du pays) fournissent les grandes entreprises de textile tel que Adidas, Hugo Boss, Puma, GAP, Levi Strauss ou encore H&M, groupe qui a notamment multiplié par neuf son bénéfice net en 2021, s’élevant ainsi à 11 milliards d’euros

« Cette situation est d’autant plus intenable que les Bangladais ont dû faire face à la pandémie et à une augmentation du coût de la vie dans un contexte inflationniste mondial. Les travailleurs n’ont jamais été aussi pauvres et avec un pouvoir d’achat aussi bas », explique encore Lamqddam. À la suite de ces mobilisations de grandes ampleurs, l’association des fabricants et exportateurs de vêtements du Bangladesh (BGMEA), représentant les propriétaires d’usines, a proposé une augmentation de seulement 25%, ce qui est nettement insuffisant vu le contexte d’inflation en lien avec la guerre en Ukraine, provoquant ainsi un taux d’inflation égal à 9,5 % en septembre 2022 portée par la hausse des prix des matières énergétiques

Cette crise économique n’est pas propre au Bangladesh et s’est rependue dans toute l’Asie du Sud, comme on a pu le voir au début septembre 2023, lorsque le gouvernement indien restreignait les exportations de riz et d’oignons dans l’espoir d’atténuer la hausse des prix des denrées alimentaires.

Néanmoins, ce n’est pas la première fois que de telles mobilisations avaient lieu dans le pays. En effet, de larges mobilisations ont eu lieu auparavant concernant déjà l’augmentation des salaires ainsi que l’amélioration des conditions de travail. Selon Lamqddam, des soulèvements semblables à ceux qui sont actuellement en cours avaient déjà eu lieu en 2013, suite à l’effondrement du Rana Plaza. Il en était de même en 2016 et en 2018, lorsque la colère autour des salaires avait poussé 150 000 travailleurs à manifester à Dacca, la capitale du pays.

Face à ces mobilisations de grande ampleur, le gouvernement a lancé une répression policière et judiciaire féroce et les manifestants ont dû faire face à la brutalité des forces de police. D’après Salma Lamqddam, « la répression syndicale est importante et structurelle, surtout quand la question du salaire est évoquée. Le bas coût du travail, c’est l’élément central auquel les patrons et les institutions bangladaises ne veulent pas toucher puisque c’est ce qui attire les entreprises étrangères qui sous-traitent dans le pays. » Elle affirme également que le niveau de répression a augmenté depuis plusieurs années. En effet, deux ouvriers ont été tués et des dizaines d’autres manifestants auraient été blessés lors de ces manifestations, qui d’après la police locale, auraient commencé au début de la semaine dernière et tourné à la violence ce lundi. Selon un responsable de la police, à Gazipur (ville au nord de Dacca), des policiers auraient tiré des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes sur près de 1000 ouvriers.

Lors des mobilisations de 2016 : « A la réouverture des usines, des syndicalistes ont découvert qu’ils avaient été licenciés et que certains étaient sur des « listes noires » leur interdisant de travailler dans le secteur. Les gens qui manifestent actuellement s’exposent à des poursuites complètement arbitraires dans ce genre-là. En juin, un représentant syndical a même été assassiné en marge d’une négociation chez un fabricant textile », déclare S. Lamqddam.

Le réseau mondial de défense des droits des travailleurs, Clean Clothes Campaign, a vivement critiqué la répression violente des manifestants de l’industrie textile et a accusé la plupart des marques clientes de ne pas avoir publiquement soutenu leurs revendications. Solidarité avec les ouvriers du textiles qui relèvent la tête contre des géants du textiles écocides, qui leurs imposent de travailler dans des conditions insupportables pour augmenter leurs profits. Alors que leurs salaires n’ont pas été augmenté depuis 2019, ils ont raison de se battre pour ne pas payer les conséquences de la crise économique.


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