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Surenchère raciste

« Pas de foulard, robe ou boubou » : la mairie PS-PCF de Sarcelles s’en prend aux travailleuses du nettoyage

Alors que la rentrée est marquée par l’interdiction des abayas, ciblant les élèves musulmanes, la mairie PS-PCF de Sarcelles décide d’étendre l’offensive au personnel de ménage et de cantine des écoles. Plusieurs d’entre elles témoignent pour Révolution Permanente.

Matthias Lecourbe

11 septembre 2023

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« Pas de foulard, robe ou boubou » : la mairie PS-PCF de Sarcelles s'en prend aux travailleuses du nettoyage

Alors que la chasse aux abayas s’intensifie dans les collèges et les lycées, humiliant les élèves et renforçant l’oppression des jeunes femmes racisées, la mairie PS-PCF de Sarcelles a choisi de prendre position... en ordonnant ces dernières semaines au personnel de ménage, aux travailleuses de la cantine et aux AESH des écoles de la commune de cesser de porter le moindre foulard ou fichu, ainsi que les abayas, les robes et les boubous. Une surenchère raciste et sexiste, alignée sur l’offensive du gouvernement, qui s’appuie sur une note de la ville de Sarcelles sur « l’application du principe de laïcité » publiée en juin dernier.

Concrètement, la démarche de la mairie s’appuie sur l’exigence de neutralité des agents de service public, qui leur interdit de porter tout signe religieux, et que la jurisprudence a étendu à tous les signes « religieux par destination ». Mais si la mairie revendique ces textes et la circulaire de juin, c’est bien l’annonce de l’interdiction des abayas par Gabriel Attal qui l’a encouragée à passer à l’offensive, l’encourageant à pousser ses règlements dans une logique toujours plus réactionnaires de contrôle des tenues des filles et des femmes issues de l’immigration et musulmanes ou supposées comme telles.

La plupart de ces travailleuses sont des femmes migrantes d’environ 60 ans, qui travaillent depuis de nombreuses années en portant des vêtements amples et en se couvant la tête, que ce soit pour des raisons culturelles, religieuses ou encore pour des raisons pratiques. Aïssatou* explique : « Cette semaine, la cheffe est passée dans les services pour nous dire que l’on n’a plus le droit de mettre de foulard, ni de robe, ni de boubous. On peut les porter dehors mais quand on rentre on les enlève. Ils ont dit "c’est la loi, c’est pas eux". Avant la mairie s’en foutait, mais là avec les histoires ils viennent tout nous changer alors qu’on est là depuis des années. Et puis on n’est même pas devant les enfants, on travaille tôt le matin, après 16h30, pendant les vacances... Surtout le foulard c’est dur, notre collègue même pas musulmane doit l’enlever alors qu’elle le met pour la poussière ! Elle a peur, beaucoup ont peur. » Maria, la collègue en question appuie : « Oui j’attache un foulard sur ma tête parce que c’est trop sale dans les toilettes, y’a de la pisse, de la saleté... Tous les jours on est dans la saleté... ».

Il s’agit d’une attaque raciste, mais aussi profondément misogyne. Hawa se révolte des nouvelles interdictions : « Tout le monde s’en fout, on embête personne, on fait tout bien ! Vraiment c’est juste du racisme. A la clinique ils travaillent avec leurs foulards, nous aussi ! Faut quoi, nous maquiller ? Sans chapeaux ? Ils veulent des femmes toutes nues ? Moi j’ai 60 ans déjà mes cheveux sont tout blancs , je veux pas montrer ma tête , je sors pas ma tête vide, c’est ma coutume d’attacher un foulard dans mes cheveux ! Même entre femmes je montre pas, depuis 79, je veux pas montrer pourquoi vous m’obligez ? » Une illustration supplémentaire que le dévoilement imposé par la mairie de Sarcelles est perçu comme profondément sexiste, humiliant et intrusif par des travailleuses du nettoyage qui ne souhaitent pas montrer leurs cheveux pour des raisons aussi bien religieuses, que culturelles, pratiques ou esthétiques.

Ces nouvelles directives sont d’autant plus violentes que la hiérarchie semble fermée à tout compromis, refusant même de fournir des charlottes en plastique aux femmes de ménage pour des raisons d’hygiène, comme l’explique Aïssatou : « Pour nous c’est une coutume, on met des foulards, quand on se marie, on sort pas tête nue, ça fait des années, on est des grand-mères ! Moi, je suis habituée, j’ai toujours mon foulard noué sur la tête. Le grand foulard (hijab) d’accord, on sait, personne ne le met… mais un petit tissu, ça n’ennuie personne, et aussi ça protège nos cheveux ! On a même demandé de nous donner une charlotte et ils ont refusé, ils ont dit non c’est que pour la cantine ! Ils nous ont dit "on n’a qu’à acheter des perruques au marché" ! On est des grand- mères... c’est humiliant. Il y en a qui veulent commander des charlottes eux-mêmes, mais moi je ne vais pas acheter ça ! Ils veulent qu’on marche en mini-jupe ? », s’indigne-t-elle.
Une attaque qui s’insère dans une offensive plus large à l’encontre des travailleuses de ce secteur particulièrement précaire : entre le poids de l’inflation, la hausse de l’âge de départ à la retraite, la répression féroce que subissent les jeunes des quartiers populaires et leurs familles depuis les révoltes, et à présent le renforcement du contrôle du corps des jeunes filles et des femmes racisées sous prétexte de « laïcité ». Les travailleuses du nettoyage de Sarcelles perçoivent nettement la continuité de cette offensive, comme le formule Esin : « C’est pour écraser. Il faut se battre pour ça, c’est petit, mais sinon ça va être toujours plus ! ».

Une énième attaque contre l’un des secteurs les plus précaires de la société : « Et oui, il y a de plus en plus de femmes avec des foulards et des robes de notre pays ici, parce que qui travaille à frotter les sols ? J’ai 61 ans. J’ai été opérée deux fois des épaules, j’ai eu des arrêts quand je n’en pouvais plus, on peut plus bouger. Et on est les plus pauvres. C’est pas facile vraiment, là c’est trop. », nous confie Harwa. Esin, qui ne porte pas de foulard, s’insurge tout autant : « Depuis 2013 je travaille, on est toujours là, aucun problème... Ça va pas du tout, personne n’est d’accord avec ça, aucune femme. Moi-même, je ne mets pas de foulard, je suis contre ! Elles se sentent mal ! On ne voit personne, mais même si on voyait du monde ça gêne qui ? On lave, lave, lave seulement. C’est quoi cette loi ? »

« Pourquoi ils ne demandent rien aux hommes ? Toujours les femmes, eux, ils peuvent mettre des chapeaux ! », poursuit-elle. « On travaille pour du pain, pour des petits bouts de pain, on n’a ni plaisir, ni rien, on peut plus bouger nos corps. Moi, je ne suis pas partie à l’école, mais je suis quelqu’un. Je dois pleurer à la banque devant des gens qui me parlent mal pour un morceau de pain. On doit faire quoi, manger des mouches ? » poursuit Esin. «  C’est nous qui travaillons, Si on arrête de travailler, ils vont faire quoi tous seuls sans nous ? Si les profs arrêtent, si nous on arrête, ils vont faire quoi dans les mairies, au gouvernement ? Qui va faire ce travail à notre place ? Personne. Ils font des lois pour écraser les gens parce qu’ils sont riches et ils veulent rester. Parce qu’on est des étrangers. C’est raciste. », conclut-elle.

Aïssatou raconte que les agentes de nettoyage de son école ne veulent pas se laisser faire par la mairie : « Déjà, tout est cher. On ne va pas aller tout de suite à la retraite, si on veut avoir la retraite il faut continuer comme ça. Mais les femmes de ménage sont déjà handicapées à cause du travail. Et là on diminue tout : les RTT, les vacances... Plus de jour pour la journée de la femme : avant c’était cadeau, c’est fini. Il y a plusieurs femmes qui ont démissionné, alors qu’on travaille pour la mairie depuis des années. Pour l’instant, on n’enlève pas les foulards, on a dit "on n’est pas d’accord" ».

Face à cette offensive, les femmes de ménage auront besoin du soutien le plus large possible : du reste du personnel des écoles, des élèves, des habitants du quartier et de l’ensemble des organisations syndicales et politiques, pour faire savoir à la mairie qu’elle ne pourra mener cette surenchère raciste impunément. Alors que les grévistes du Lycée Utrillo de Stains ont montré qu’il est possible de relever la tête en articulant la lutte contre l’interdiction des abayas à celle contre le manque de moyens dans l’éducation, il faut apporter toute notre solidarité aux travailleuses du nettoyage pour commencer à construire la perspective d’une mobilisation d’ensemble contre Macron et son offensive. Une perspective, qui implique de lier la lutte contre l’offensive islamophobe actuelle à un combat plus large contre la future loi immigration, mais aussi contre la précarité et pour l’augmentation générale des salaires face à la crise sociale.

* Les prénoms ont été modifiés.

C’est pour discuter de cette situation politique et s’organiser contre l’offensive raciste et islamophobe d’Attal et de Macron que les travailleuses et travailleurs de l’éducation de Révolution Permanente et le Collectif d’Action Judiciaire organisent une nouvelle réunion publique ce jeudi 14 septembre à 19h à Paris. Venez nombreuses et nombreux.


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