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Carnet de guerre

Retour de Palestine (2). De l’autre côté de la frontière, « ceux de 48 »

Après « Hébron, l’occupation au quotidien », le trajet en Palestine occupée. Dans ce second reportage, Lamia Mhia, militante de Génération Palestine et de BDS, nous emmène de « l’autre côté de la frontière ». Une frontière plus paradoxale et insidieuse encore : chez les « arabes israéliens ». {} Lamia Mhia

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Sous l’appellation de « Palestiniens », il existe une multitude de statuts différents. Pour ce qui est, spécifiquement, des « Palestiniens de 48 », il s’agit de celles et ceux qui vivaient en Palestine avant 1948. Ils sont devenus palestiniens « citoyens » d’Israël après la création de l’État en 1948, constituant ainsi une composante minoritaire et marginalisée de ce nouvel État. En effet, à la création de l’État d’Israël, pas moins de 771 000 palestiniens sont chassé vers la Cisjordanie, 1,1 million dans huit camps de réfugiés à Gaza, 700 000 dans des pays voisins (Liban, Syrie, Jordanie et Egypte) et enfin, 160 000 palestiniens restent sur le territoire (82% de musulmans et environs 9,5% de chrétiens).

Les difficultés d’accès à l’emploi, à l’enseignement supérieur, aux services de santé, l’interdiction d’acheter des terres et les multiples inégalités sociales sont autant de réalités que les Palestiniens de 48 ainsi que leurs descendants doivent affronter quotidiennement. Ces injustices sont ni plus ni moins que la conséquence d’une mise à l’écart progressive de la « population indigène » par les gouvernements sionistes. De manière générale, les conditions de vie des Palestiniens d’Israël sont beaucoup plus difficiles que pour tout le reste de la société, y compris aujourd’hui. Dans le domaine de la santé, l’État israélien ne développe aucune infrastructure décente dans les villages arabes et l’accès aux soins très compliqués. La discrimination face à l’emploi est également un phénomène qu’ils doivent affronter. Y compris avec les mêmes diplômes qu’un juif israélien, un arabe israélien a beaucoup moins de chance de trouver du travail. La majorité des Palestiniens 48 occupent des fonctions subalternes, donc. Par ailleurs, le gouvernement israélien tente de contrôler cette minorité car la peur de la « hausse démographique » est une crainte permanente. Les Palestiniens 48 sont maintenus sous contrôle dans des zones précises et le gouvernement tente d’éviter tout contact trop important entre les deux communautés. De 1948 à 2009 la population juive d’Israël passe de 650 000 à 5,7 millions. Elle est multipliée par 9, la moitié étant due à l’immigration. Durant la même période, la population palestinienne passe de 192 000 à 1,6 million. Elle est donc multipliée par 8, et cela uniquement par des naissances. Dans son désir sans cesse plus grand de s’ethniciser, le gouvernement israélien voit dans cette hausse démographique un danger imminent. En 2003, le premier ministre Benjamin Netanyahou parlait déjà du « problème démographique ». En septembre 2010, le ministre des Affaires étrangères Avigor Liberman propose de procéder au transfert des Palestiniens 48 vers la Cisjordanie. Ces Palestiniens d’Israël sont donc des citoyens de seconde zone dans un État qui, volontairement, ne les intègre pas au reste de la société et ils ne jouissent pas des mêmes droits. Cette discrimination claire, qui marginalise une partie de la société, n’empêche pas l’État sioniste de se proclamer « la seule démocratie du Moyen-Orient ».

J’ai rencontré une famille de Palestiniens 48 d’Ein Raffa, un village arabe en Israël, à dix kilomètre de Jérusalem. Cette famille m’a accueillie dans une maison qui leur est prêtée par des membres de leur famille. Leur maison, qui se situe à quelques mètres, est menacée de destruction. La mère de famille m’a raconté qu’ils avaient mis toutes leurs économies dans la construction, avant de recevoir une lettre leur interdisant de la poursuivre sous peine de destruction immédiate…

Ils attendent donc désespérément un avancement de leur situation et sont désemparés face à ce blocage aussi injuste qu’abusif. La famille nous a fait visiter sa « maison » qui est en réalité un chantier sans aucune installation digne de ce nom : ni eau courante, ni électricité, impossible, donc, d’y habiter. Cette famille se retrouve à devoir vivre dans une petite maison prêtée temporairement alors que tout son argent a été investi dans une maison inhabitable. Lors de la visite, on pouvait lire sur le visage de la mère toute la tristesse et le désespoir qu’elle ressentait. Ils avaient tenté tous les recours possibles et imaginables… Mais les avocats ajoutant sans cesse des frais supplémentaires, me disait-elle, aucune de ces démarches n’aboutissait finalement à un résultat concret.

Latifa et Randa sont les deux filles de la famille. L’aînée a 21 ans, la cadette 17. Toutes deux tenaient à témoigner de leur vie en tant que Palestiniennes citoyennes d’Israël, à l’école, au travail. Elles m’ont décrit la manière dont on leur avait enseigné, à l’école, l’histoire mythique d’Israël et du peuple juif de retour, de droit, en Terre Sainte…

Dans un premier temps, elles n’arrivaient pas à comprendre leur place dans cette histoire et dans cette société. Puis elles ont finalement compris, en grandissant, qu’elles n’avaient pas leur place dans une société sioniste où elles ne pouvaient espérer qu’être, au mieux, des citoyennes de seconde zone.

C’est également ce dont témoigne le réalisateur Alaa Ashkar, lui Palestinien 48 et auteur de « Route 60 », sorti en 2014. Dans son film, Alaa découvre la Cisjordanie et nous fait partager son voyage. Ayant vécu les deux intifadas en Israël, son projet de visiter la Cisjordanie a été de plus en plus fort. Pour lui, réaliser ce film, c’était une manière de raconter son histoire personnelle, son voyage à la découverte de ce qui lui était jusque-là encore inconnu : la colonisation et l’occupation en Cisjordanie. Dans son film, il tente, dit-il, de se « concentrer sur l’humain », c’est-à-dire d’aller à la rencontre des gens, de discuter avec eux et de tenter de comprendre comment chacun vit l’occupation.

Alaa m’a rappelé l’importance, pour eux, de se définir comme « Palestiniens israéliens » et non comme des « arabes israéliens », ce qui est l’appellation officielle qui revient à effacer leur identité palestinienne. Il m’a raconté comment pendant plusieurs années il s’était senti étouffé par une société dans laquelle il ne trouvait pas sa place. La question de l’identité semble être un point primordial pour ces Palestiniens 48 car tout est fait pour les couper de leurs racines. Pour Alaa, « tout est fait pour que nous ne nous sentions pas chez nous, et à côté, on voit des juifs venant des quatre coins du monde, fraîchement arrivés et être tout de suite intégrés, mieux que nous, qui avons toujours vécu ici ». Selon Alaa, tous les jeunes Palestiniens d’Israël ont conscience d’être stigmatisés comme des arabes et au moindre problème avec la police ils sont systématiquement en positon d’infériorité. Et il conclut en m’affirmant que : « nos craintes sont en partie liées au manque de confiance vis-à-vis d’un État qui ne nous permet pas de vivre sereinement ».

Il existe plusieurs associations de défense des Droits de l’Homme qui travaillent en collaboration avec les Palestiniens 48 contre les discriminations et qui fournissent des rapports annuels, notamment sur les lois discriminantes. Tout est fait par le gouvernement israélien pour éviter les liens entre les Palestiniens 48 et les Palestiniens de Cisjordanie. On pourra se référer, par ailleurs, au récent ouvrage de Ben White, Être Palestinien en Israël – Ségrégation, Discrimination et démocratie, publié aux éditions La Guillotine en 2015.


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