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Antisémitisme

Traque de juifs, incendie d’un centre culturel : des attaques antisémites menées dans le Caucase du Nord

Barrages filtrants pour rechercher des Juifs, incendie d’un centre culturel, prise d’assaut d’un aéroport... Ce week-end, de violentes actions antisémites ont éclaté dans plusieurs républiques de Caucase du Nord dans un contexte ravivé par le durcissement de l’offensive à Gaza.

Sasha Yaropolskaya

30 octobre 2023

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Traque de juifs, incendie d'un centre culturel : des attaques antisémites menées dans le Caucase du Nord

Ces derniers jours, de violentes actions antisémites se multiplient dans le Caucase du Nord, en réaction à la situation à Gaza qui est venue réveiller un racisme ancré historiquement dans la région et servir de prétexte à des attaques ultra-réactionnaires.

Attaques antisémites en série dans le Caucase du Nord

Tout commence samedi dans la ville daghestanaise de Khasavyurt. Plusieurs centaines de résidents locaux se sont rassemblés devant l’hôtel Flamingo après que des rumeurs aient été diffusées sur l’internet selon lesquelles l’hôtel abriterait des réfugiés israéliens. La rumeur aurait pour point de départ une vidéo dans laquelle un homme ressemblant à un juif orthodoxe a été filmé près de l’hôtel.

Quelques heures plus tard, des centaines de personnes encerclent l’hôtel et somment les clients de s’approcher des fenêtres. Des jets de pierres ont lieu en direction du bâtiment, avant que les personnes n’envahissent l’hôtel pour vérifier, porte-à-porte, les documents d’identité de chaque habitant de l’hôtel, à la recherche des Juifs.

Le même jour, un rassemblement se tenait à Cherkessk, la capitale de la république de Karachay-Cherkessia. Selon les organisateurs, jusqu’à 500 personnes (80 selon le ministère de l’intérieur de la région) se seraient rassemblées pour protester contre l’arrivée supposée de réfugiés d’Israël dans la République, annoncée par une rumeur sur les réseaux sociaux. Des médias rapportent que les manifestants à Cherkessk auraient réclamé l’expulsion des Juifs habitant dans la région. A Naltchik, la capitale de Kabardino-Balkarie, un centre culturel juif en construction a également été incendié, avec un tag « mort aux yahuds » (« Juifs » en arabe).

Finalement, le week-end a culminé par une prise d’assaut d’aéroport de Makhachkala par des centaines d’hommes (1500 selon certaines estimations) après des rumeurs affirmant qu’un avion amenait des réfugiés israéliens depuis Tel Aviv. Des scènes d’affrontement ont eu lieu avec des policiers qui ont été caillassés par les manifestants, tandis que le tarmac où stationnent les avions a été envahi par la foule. Une vidéo montre ainsi des voyageurs qui s’apprêtaient à descendre devoir remonter à bord et à se barricader dans l’avion à la vue des centaines d’attaquants courant dans leur direction. Une autre vidéo montre une centaine d’individus entourer un homme qui assure être ouzbek et avoir grandi en Russie, à qui on enlève son passeport pour vérifier sa nationalité.

Après avoir entendu que les voyageurs du vol depuis Tel Aviv avaient été déjà évacués de l’aéroport, les hommes ont mis en place des barrages filtrants sur les routes pour vérifier les documents de tous les passagers de chaque véhicule qui passe, arrêtant un bus avec des voyageurs soupçonnés de venir depuis Tel Aviv. Une vidéo montre les attaquants tenter d’obliger les passagers à sortir du bus, ces derniers insistent qu’ils ont des enfants avec eux.

Attaques antisémites et complotistes : des réactions ultra-réactionnaires à la situation à Gaza

Les autorités n’ont commencé à réagir à ces actions que dimanche. Le chef du Daghestan, Sergei Melikov, a publié un message sur sa chaîne Telegram dans la matinée, dans lequel il accuse « les ressources extrémistes administrées par les ennemis de la Russie » pour ce qui s’est passé à Khasavyurt. Il a également appelé les habitants de la région à « arrêter toute tentative de division de la société ». Vers 16 heures, RIA Novosti a rapporté que 34 manifestants de Cherkessk avaient été inculpés en vertu de l’article 20.2 du code des infractions administratives (amende pouvant aller jusqu’à 30 000 roubles). A l’issue de l’assaut de l’aéroport de Makhatchkala qui a eu lieu en soirée, 60 arrestations auraient eu lieu et 20 personnes auraient été blessées après des affrontements avec la police.

Derrière ces attaques réactionnaires dans plusieurs républiques du Caucase du Nord, on trouve des chaînes Telegram locales qui incitent leurs abonnés à l’action. Le contenu de ces chaînes ces dernières semaines était polarisé par les images des horreurs parvenant depuis Gaza qui subit des bombardements intenses de la part de Tsahal, l’armée israélienne. Ces derniers jours ces images quotidiennes des horreurs se sont mêlées à des appels à des actions antisémites : inciter les annonceurs de logements ou d’hôtel de préciser que la location est interdite aux Juifs, obliger les Juifs habitants de la République à désavouer les actions d’Israël, vérifier si un hôtel abrite des Juifs, etc. Dirigées par des militants réactionnaires locaux, une de ces chaines, Utro Daghestan, est par ailleurs liée à Ilya Ponomarev, opposant russe vivant en Ukraine, ex-député de la Gosdouma qui pilote aujourd’hui (selon lui) une division d’extrême-droite russe combattant pour l’Ukraine. Si Ponomarev affirme ne plus avoir de lien avec Utro Daghestan depuis un an, la ressource faisait partie de son réseau des chaines régionales "Utro", en mai 2023 il affirmait être son investisseur et encore en août 2023 il faisait référence à Utro Daghestan en employant les mots "notre chaine".

L’offensive réactionnaire menée depuis les réseaux sociaux s’appuie sur l’antisémitisme historique en Russie qui a prospéré sous le regime tsariste, mais qui a également été nourri par le régime de Staline pour véritablement exploser dans les années 90. L’effondrement de l’Union soviétique a provoqué une chute de niveau de vie et de l’éducation ce qui a pavé la voie à toute sorte d’obscurantisme, à l’intégrisme religieux, aux nationalismes réactionnaires et à l’antisémitisme. Elle s’ancre par ailleurs dans une histoire locale d’antisémitisme. Dans une république comme Kabardino-Balkarie ou un centre culturel juif a été incendié ce week-end, le quartier juif de la capitale, Evreyskaya Kolonka, faisait objet d’agressions régulières dans les années 1990 qui ont provoqué l’exode de plusieurs milliers de juifs de la région qui ont pu émigrer dans d’autres régions de la Russie mais aussi en Israël.

Toutes ces dynamiques ont été accélérées par le régime réactionnaire de Vladimir Poutine qui a mené avec son prédécesseur Eltsine des guerres sanglantes en Tchétchénie dont la brutalité a nourri le nationalisme et l’intégrisme dans tout le Caucase du Nord. Il a par la suite installé en Tchétchénie le régime brutal et islamiste de Kadyrov qui règne sur la région d’une main de fer et réprime brutalement les opposants. Malgré les prétentions de Poutine que la Russie serait un état plurinational et pluriconfessionnel, il a en réalité nourri pendant des décennies un nationalisme russe qui s’est exacerbé depuis le début des confrontations avec l’Ukraine. Sur ce terrain profondément réactionnaire établi par le régime, l’antisémitisme ne peut que prospérer. Les sorties antisémites régulières de Poutine ou encore de Lavrov, ministre des affaires étrangères, aggravent le problème.

L’antisémitisme n’a rien à voir avec la lutte pour la Palestine !

L’attaque d’Israël contre Gaza suite à l’offensive du Hamas le 7 octobre a provoqué une montée des incidents antisémites aux Etats-Unis et en Allemagne, où une synagogue a été attaquée à Berlin par un jet de cocktail Molotov, par exemple. S’en prendre aux populations juives en réponse aux atrocités commises par le régime de Netanyahou et, pire, tenter de commettre des pogroms contre elles constituent des actes profondément réactionnaires qui doivent être condamnés fermement, et n’ont rien à voir avec la solidarité légitime avec la Palestine.

Une lutte contre l’antisémitisme qui est malheureusement salie par les gouvernements occidentaux qui tentent dans de nombreux pays d’amalgamer solidarité avec la Palestine et l’antisémitisme. Ces dernières semaines, les gouvernements allemands et français ont ainsi assimilé le simple fait de brandir une banderole pro-Palestine à un acte antisémite, tandis qu’aux Etats-Unis l’ONG American Defamation Ligue comptabilise des manifestations pro-Palestine dans son recensement « des incidents antisémites ».

Cet amalgame illustre la confusion entretenue par l’État d’Israël et ses alliés entre l’antisémitisme et l’antisionisme, confusion qui participe elle-même à la montée des actes antisémites. En assimilant toute critique de l’État d’Israël à une haine des Juifs, la rhétorique des bourgeoisies impérialistes participe à l’association entre populations juives autour du monde et État d’Israël. Une association en décalage avec la réalité, comme l’ont montré, encore une fois aux Etats-Unis, le dynamisme des organisations juives antisionistes dans la dénonciation du massacre en cours à Gaza, à l’image de l’envahissement du Capitole ou encore de l’occupation de la Gare centrale de New York par des militants de Jewish Voice for Peace.

Alors que des voix s’élèvent déjà pour assimiler les attaques profondément réactionnaires au Caucase du Nord à la situation en France, ces actes doivent être condamnés largement tout en refusant les tentatives de jeter le discrédit sur le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien qui se développe dans le monde entier, au travers de nombreuses manifestations réunissant à la fois réfugiés palestiniens, manifestants arabes mais aussi Juifs antisionistes dénonçant tous ensemble l’apartheid israélien. En France, de nombreux rassemblements et marches se sont déroulées sans que des incidents antisémites soient relevés, conduisant la justice à aller jusqu’à utiliser des incidents rapportés en Australie pour légitimer ses interdictions de manifester sur des motifs fallacieux.

Pour autant, la violence des actions évoquées dans cet article souligne combien l’antisémitisme doit être activement combattu par tous les manifestants pour la liberté de la Palestine. Les vrais responsables du massacre à Gaza ce ne sont pas les Juifs mais les dirigeants de l’État d’Israël et des États impérialistes qui lui fournissent un soutien économique, politique et militaire. Des mots d’ordre que doivent porter les organisations du mouvement ouvrier en alliance avec les organisations pro-Palestine partout dans le monde.


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