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Massacre colonial

« Troisième phase de la guerre ». A Gaza, l’invasion terrestre a commencé

Lundi soir, Netanyahu a évoqué l’ouverture de la « troisième phase de la guerre ». Après des bombardements intenses et de premières incursions dans la bande de Gaza, Tsahal s’engage dans une invasion terrestre graduelle qui va renforcer le nettoyage ethnique en cours.

Joël Malo

31 octobre 2023

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« Troisième phase de la guerre ». A Gaza, l'invasion terrestre a commencé

Dans la soirée du lundi 30 octobre, Benjamin Netanyahu a déclaré que la « guerre » qu’Israël mène contre le Hamas entrait dans une « troisième phase ». Après trois semaines de bombardements aériens meurtriers et destructeurs, puis, à partir du 29 octobre, des raids d’infanterie et de blindés principalement au Nord de la Bande de Gaza, le chef de l’Etat sioniste annonce une poursuite de plus grande ampleur des opérations, approfondissant les opérations terrestres de Tsahal à Gaza.

Ne dites pas « invasion terrestre »

Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre, les troupes et les blindés de Tsahal se massent autour de Gaza. L’ultimatum du 13 octobre ordonnant aux habitants de Gaza de se diriger vers le Sud de l’enclave sous 24 heures sous peine d’être considéré comme des combattants semblait indiquer une invasion terrestre imminente. Celle-ci a cependant été remise de jour en jour, jusqu’au 29 octobre où les premiers soldats et blindés sont entrés dans la Bande de Gaza.

Il faut dire qu’une invasion terrestre de la Bande de Gaza est une opération hautement risquée que les analystes militaires comparent aux batailles de Mossoul et de Raqqa. Mais deux différences de poids font de Gaza une zone extrêmement dangereuse pour toute armée d’occupation. Premièrement, la population de Gaza combat pour sa survie face à un envahisseur. Ensuite, bien qu’indiscutablement inférieur sur le plan militaire, le Hamas a construit et perfectionné un système de tunnels depuis 2014 : ceux-ci serpentent sous Gaza dans un réseau de plusieurs centaines de kilomètres, parfois à 60 mètres de profondeur. Combattre dans un environnement urbain en ruine, avec autant de tunnels qui sont autant de possibilités d’embuscade, constitue une difficulté de poids pour l’armée israélienne qui pourrait y laisser de nombreux soldats.

Lire aussi : Offensive terrestre à Gaza : quelques éléments d’analyse à propos du massacre qui s’annonce

Ainsi, l’armée israélienne semble vouloir avancer prudemment pour limiter les pertes de ses soldats. « Nous ne prenons aucun risque », confirme Amir Avivi, ancien commandant adjoint de la Division de Gaza de l’armée israélienne, comme le rapporte le Financial Times. « Lorsque nos soldats se déplacent, nous le faisons avec une artillerie massive, avec 50 avions qui détruisent tout ce qui bouge. » Depuis le 29 septembre, et alors qu’internet a été coupé dans la Bande de Gaza, les bombardements ont redoublé d’intensité pour atteindre un niveau inédit depuis le lancement de l’offensive israélienne.

Des incursions de blindés et de soldats israéliens ont été rapportées au Nord et au centre de la Bande de Gaza. Des troupes stationneraient à Beit Hanoun dans la périphérie nord de Gaza-City. Des incursions israéliennes ont également été rapportées à Bureij au centre de la Bande de Gaza, le long de la route Salah al-Deen. Selon le ministère de l’Intérieur de la Bande de Gaza, c’est par cette route qu’un tank serait entré dans Gaza et aurait ciblé une voiture qui cherchait à faire demi-tour.

L’intensification des bombardements et l’augmentation des incursions ces derniers jours a cependant précipité la fuite de très nombreux Gazaouis vers le sud. L’ONU rapporte ainsi que 672 000 déplacés ont afflué dans les camps de l’UNRWA entre le 27 et le 29 octobre, pour un total de 1,4 millions de Gazaouis déplacés. Ces personnes ne sont pas pour autant en sécurité : les camps de l’UNRWA sont déjà surchargés, forcés de laisser de nombreux palestiniens à la rue, mais ils subissent en plus les mêmes privations que le reste du territoire et ne sont pas épargnés par les bombardements israéliens, à l’image du camp de Jabalia, bombardé le 19 octobre.

Pour l’heure Netanyahu n’évoque pas le terme « d’invasion terrestre ». Il a ainsi déclaré lundi que l’armée « a étendu son entrée terrestre dans la bande de Gaza, elle le fait par étapes mesurées et très puissantes, en progressant méthodiquement ». Après avoir un temps fait planer l’idée d’une offensive terrestre de type « blitzkrieg », ce changement tactique semble être le résultat de l’importante pression de son principal soutien impérialistes les Etats-Unis, d’éléments de crise au sein du gouvernement d’extrême-droite sur fond discrédit important de Netanyahou, de désaccords au sein du gouvernement, mais aussi au sein de l’appareil militaire, et enfin de la pression des familles d’otages.

Ainsi, alors que des secteurs de l’Etat-major de Tsahal seraient favorables à une occupation totale et à une offensive menée avec des forces au sol plus nombreuses, certains membres du Cabinet d’unité nationale, formé au lendemain du 7 octobre, mettent en avant la nécessité de récupérer les 238 otages encore en captivité dans la Bande de Gaza. Or, une « guerre éclair », un temps envisagée, suivie d’une occupation, pourraient ouvrir la voie à des incidents et à un embrasement régional, en poussant par exemple le Hezbollah à entrer dans la guerre.

Les objectifs militaires de Tsahal

Pour l’heure, l’invasion terrestre en cours semble être une première étape d’une occupation de plus large échelle. Tsahal se tient dans la périphérie de Gaza pour éviter les combats urbains dans les zones les plus denses et garder l’avantage de sa supériorité numérique et technologique dans des espaces relativement ouverts. Tout en limitant ses pertes, elle peut continuer à mener des opérations de renseignement, notamment pour identifier des tunnels ou capturer des Palestiniens qui pourraient fournir des informations.

La détection de ces tunnels, creusés toujours plus profondément et bâtis en zigzag pour contrer les moyens de surveillance israéliens, est une priorité militaire pour Israël. Dans une vidéo du Wall Street Journal, Scott Savitz, ingénieur, décrit ces tunnels comme étant « relativement invulnérables par des attaques aériennes ». Ainsi l’armée israélienne réfléchit, selon Le Monde à « les boucher en coulant du béton, y injecter de l’eau sous forte pression ou les noyer en forant depuis la Méditerranée des conduits laissant entrer l’eau de mer ». Identifier les puits de ventilation permettrait également de rendre ces tunnels inutilisables. Mais toutes ces tactiques entraineraient inévitablement la mort des otages qui sont retenus dans ces tunnels.

Alors que le gouvernement israélien compte bien mener jusqu’au bout ses représailles contre le Hamas, il est soumis à une pression de la part de famille des otages qui l’obligent à amender ses plans. Pour cela, il continue à mener des négociations par l’intermédiaire du Qatar pour la libération des 238 otages restants à Gaza (où la libération de certains des plus de 6000 prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes pourrait être évoquée). Pour l’heure, l’Etat d’Israël peut revendiquer une bien maigre victoire avec la libération d’une soldate de Tsahal, Ori Megidish, à la suite d’une opération terrestre, sur la base duquel il compte cependant capitaliser pour regagner un peu de crédit après sa faillite dans la détection de l’attaque du Hamas.

L’Etat sioniste rêve d’un temps long de la guerre

L’approfondissement et la multiplication des incursions terrestres, qui impliquent un redoublement des frappes aériennes et d’artillerie sont une étape majeure dans le processus de nettoyage ethnique qui est en train d’avoir lieu à Gaza. Benjamin Netanyahu a déjà promis un « conflit long et difficile ». Lors de sa prise de parole de lundi, balayant du revers de la main toute perspective de cessez-le-feu, il a déclaré, dans la lignée de son discours messianique, que « la Bible dit qu’il y a un temps pour la paix et un temps pour la guerre. C’est le temps de la guerre. »

Mais ce temps est-il illimité ? Pour Ehud Olmert, qui dirigeait l’Etat sioniste lors de la guerre contre le Liban, « le temps est plus court que ne le pense [le cabinet de guerre]. Jusqu’ici [les Etats-Unis] nous ont fait des cadeaux. A l’avenir, ils pourraient nous donner des ordres ». De son côté, Benny Gantz, ancien ministre de la Défense, qui fait partie du cabinet d’unité nationale, estime que « nous écouterons nos amis, mais nous ferons ce qui est juste pour nous » évoquant la priorité du « temps opérationnel ».

Sauf que tout élargissement de l’intervention israélienne porte en lui le risque d’une escalade régionale du conflit. A l’heure actuelle, tant l’Etat israélien que l’Iran et ses satellites, au premier rang desquels le Hezbollah, ou les Etats-Unis sont peu enclins à s’embourber dans une guerre aux conséquences imprévues.

Dans le même temps, face à l’offensive israélienne, de nombreuses mobilisations en soutien au peuple palestinien ont lieu à travers le monde. En Angleterre, en Belgique, aux Etats-Unis, des manifestations de masses et des réactions ouvrières ont lieu qui commencent à esquisser la forme de ce qui pourrait être le plus grand mouvement anti-guerre depuis l’invasion américaine de l’Irak en 2003. De même, dans la région, les mobilisations au Maroc, en Egypte ou au Liban montrent que la situation en Palestine pourrait raviver la mobilisation des travailleurs et des classes populaires arabes en solidarité avec la Palestine voire contre leurs gouvernements, et donner lieu à des mouvements décisifs pour la lutte du peuple palestinien, étroitement lié à la lutte des peuples de la région.


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