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Ecologie

Un musée financé par l’industrie du pétrole à Bordeaux ? Quand les « verts » font dans l’or noir

La ville de Bordeaux, dirigée par EELV, est candidate à l’accueil d’un nouveau musée de la Fondation Gandur, qui appartient à un milliardaire néocolonial de l’industrie du pétrole en Afrique.

Yann Causs

19 février

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Un musée financé par l'industrie du pétrole à Bordeaux ? Quand les « verts » font dans l'or noir

Crédits photo : Twitter Pierre Hurmic

Participer à une manifestation contre la construction de forage pétrolier dans la forêt de la Test de la Buch en Gironde tout en espérant convaincre discrètement un richissime collectionneur d’œuvres d’art ayant fait sa fortune dans l’industrie pétrolière en Afrique, d’installer son musée dans la ville semble contradictoire, n’est-ce pas ? Pour beaucoup de jeunes qui ont manifesté aux côtés de Greta Thunberg dans les rues bordelaises, sans hésitation : oui ! Mais pour le maire de Bordeaux, EELV, Pierre Hurmic, la réponse est visiblement différente.

En effet, depuis plusieurs mois, Bordeaux fait partie des trois villes pressenties pour accueillir la collection d’œuvres d’art de la Fondation Gandur, détenue par le collectionneur milliardaire franco-suisse, Jean-Claude Gandur. Une collection de 3 400 pièces accumulées par ce dernier grâce à l’or noir, ce « vieux monde qui continue de prospérer » selon les mots employés par Pierre Hurmic pour dénoncer un nouveau projet de forage pétrolier en Gironde.

Vous avez dit « vieux monde » ?

Or le « vieux monde », justement, la Fondation Gandur et son propriétaire, en sont un symbole. Le parcours de ce dernier, décrit par le JDD, est illustratif : issu de deux branches aristocratiques (la famille de sa mère, ancienne propriétaire des docks d’Odessa a fui la révolution russe avant de se réfugier à Alexandrie ; celle de son père, proche de la famille impériale autrichienne, est arrivée à Alexandrie grâce aux campagnes d’Égypte de Napoléon), Jean-Claude Gandur se lance dans le trading et l’industrie pétrolière en Afrique dès 1976 aux côtés de la société Philip Brothers (aujourd’hui Phibro). Il fonde sa première entreprise pétrolière, Addax and Oryx Group (AOG), en 1987. Selon Le Temps, sa société rachète en 1998 quatre concessions nigériennes à l’américain Ashland pour 13 millions d’euros.

De celle-ci, il tirera une partie importante de sa fortune en la vendant au chinois Sinopec pour 8 milliards de dollars en 2009. Loin d’abandonner l’Afrique, il poursuit encore aujourd’hui son sombre business dans 18 pays africains via sa société pétrolière baptisée Nyala, avec laquelle il « vend du fuel et du gaz en bonbonne et a mis 50 millions d’euros dans un grand projet de bioéthanol au Sierra Leone », selon le JDD. Concrètement ce projet consiste à confisquer les terres des agriculteurs de Sierra Leone pour y établir des plantations. Sur Grain.org un agriculteur témoigne : « Aujourd’hui je n’ai pas de ferme. Les gens meurent de faim. Nous sommes obligés d’acheter du riz parce que nous n’en cultivons plus. »

Une situation qui se répète avec Jean-Claude Gandur. Selon Le Temps son groupe emploie aujourd’hui «  200 personnes à Genève et plus de 1000 dans une trentaine de pays, surtout africains, reste actif dans quatre domaines : le négoce de pétrole (y compris le stockage) ; les mines d’or, via la société Axmin, … ». En outre, si Jean-Claude Gandur s’en défend, son entreprise est suspectée dans plusieurs affaires de pots-de-vin, de corruption et de fraude comme le détaille un article du Monde après des révélations en septembre 2022 de l’Organisation Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP).

« Le secret le mieux gardé de la Ville de Bordeaux »

En résumé, la collection convoitée par le maire de Bordeaux est issue du pire qui fait ce monde : l’impérialisme qui pille les territoires, exploite les populations et détruit la nature. Avec tout cela, il y aurait de quoi embarrasser le maire écologiste de Bordeaux. Mais pour Pierre Hurmic, il n’est pas question de se justifier, mais seulement de « faire l’accord » dans la plus grande discrétion : «  il n’y a pas d’opacité, il y a juste un secret des affaires, que j’assume », déclare-t-il au Point en décembre dernier. Pour Rue 89 «  les détails des négociations entre le collectionneur milliardaire franco-suisse et la mairie sont […] le secret le mieux gardé de la Ville de Bordeaux.  »

Cette discrétion des plus calculées - même la venue de Jean-Claude Gandur à Bordeaux le 18 septembre n’a fait l’objet d’aucune communication - n’a pu suffi pourtant à éteindre les critiques. Jean-Claude Gandur devrait donner sa réponse définitive en mars prochain. Et l’on saura entre Bordeaux, Caen et Strasbourg qui accueillera sa collection. Quoi qu’il en soit, voilà déjà une illustration de l’hypocrisie et de l’impasse de l’écologie institutionnelle d’EELV à Bordeaux. Alors qu’une mobilisation est en train de se construire contre des forages de pétroles dans la forêt de la Test-de-Buch, dans laquelle EELV entend prétendre occuper une place importante non sans intérêt électoraliste, la leçon « Jean-Claude Gandur » rappelle que le combat écologique ne peut pas ne pas être anticapitaliste et antiimpérialiste. Un rappel de plus.


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