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Greenwashing

Acheter les actions de Total pour sauver la planète ? La nouvelle trouvaille d’EELV pour les européennes

Invitée sur FranceInfo mardi dernier, la tête de liste des Écologistes a défendu l'idée d'acheter une majorité d'actions des entreprises polluantes européennes via un fonds souverain piloté par la Banque Centrale Européenne, afin de les « contraindre ». Une mesure qui prétend réformer l'Europe du Capital, et ses institutions foncièrement anti-écologiques.

Raji Samuthiram

8 avril

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Acheter les actions de Total pour sauver la planète ? La nouvelle trouvaille d'EELV pour les européennes

Crédit photo : Capture d’écran, FranceInfo

Devenir actionnaire majoritaire des grandes entreprises polluantes, pour les « contraindre » à respecter l’environnement ? C’est la dernière idée de génie des Ecologistes (anciennement EELV). En pleine campagne pour les européennes, leur tête de liste Marie Toussaint a détaillé mardi 2 avril cette proposition sur France Info. Selon elle, il suffirait ainsi d’acheter à prix d’or (100 milliards d’euros) une majorité des actions des grandes entreprises polluantes, via un fonds souverain géré par la Banque européenne d’investissement. Une proposition qui, en cherchant à répondre à la crise climatique sur le terrain institutionnel européen, s’inscrit comme une énième tentative de réformer l’Europe du Capital et de réhabiliter des institutions lourdement décrédibilisées pour leur gestion chaotique de la crise écologique.

Sur France Info mardi dernier, Marie Toussaint a ainsi visé les géants de la pollution tels que Total, ou Eni, s’interrogeant : « Comment on peut faire en sorte que ces entreprises bifurquent ? ». « Ce fonds souverain est une réponse. Ce fonds souverain, doté de 100 milliards d’euros, permettrait à l’Europe de prendre des parts, de devenir actionnaire majoritaire dans ces entreprises, de sorte à accélérer la transition ». Selon elle, cette proposition permettrait d’« accélérer la transition d’une décennie, voire de deux. »

La Banque européenne d’investissement va-t-elle nous sauver de la crise climatique ?

Le fond souverain proposé par les Écologistes serait adossé à la Banque européenne d’investissement, et permettrait l’achat d’au moins 51% des actions des grandes entreprises fossiles—telles que TotalEnergies, RepSol, Eni—afin de « reprendre le contrôle stratégique » sur ces entreprises et « les contraindre à aligner leurs stratégies avec l’Accord de Paris, soutenir ainsi les investissements pour un mix énergétique 100% renouvelable d’ici 2040 en Europe… et tenir le cap d’une énergie propre et accessible à tous·tes les Européen·nes. »

Comme le rapportent Les Echos, la Banque européenne d’investissement est « le bras financier de l’Union européenne : sa fonction est d’emprunter sur les marchés financiers pour financer des projets définis par les ministres des Finances  ». Ainsi, en 2023, c’est 88 milliards d’euros qu’elle est allée chercher sur les marchés financiers pour les redistribuer sous la forme de prêts et autres financements à différentes entreprises, villes, et projets. Si la banque européenne d’investissement finance également des projets sur fonds propres, via des fonds d’investissements, ces derniers dépassent très rarement les quelques dizaines de millions d’euros.

C’est donc par la Banque européenne d’investissement, à savoir une institution bancaire et financière contrôlée par les institutions de l’UE, que EELV souhaiterait piloter la « transition » de ces géants de la pollution. Or, cette dernière est un des outils centraux de la diffusion du mythe de la « finance verte » et du greenwashing au niveau européen. Dans un rapport de 2020 sur cette dernière, Les Amis de la Terre rapportent ainsi : « Les ONG pointent par ailleurs le risque de greenwashing des activités de la banque publique : fausses promesses autour du gaz vert, illusion de l’aviation verte et risques associés aux ‘solutions fondées sur la nature’. Elles critiquent aussi les prêts accordés à des entreprises polluantes sans condition de transformation de leur modèle économique, alors même que certaines d’entre elles développent de nouvelles centrales à charbon.  ». Cécile Marchand, chargée de campagne aux Amis de la Terre, complète : « sa transformation en Banque européenne du climat relève aujourd’hui plutôt de l’illusion verte que de la réalité. »

La proposition des Écologistes apparaît ainsi comme une énième stratégie de réforme de l’Europe du Capital sur le terrain non seulement de ses institutions les plus anti-démocratiques, mais aussi de ses outils les plus réactionnaires que sont ses institutions bancaires et financières. La banque centrale européenne, qui aujourd’hui pilote la hausse des taux d’intérêts pour faire payer la crise aux travailleurs, en est la pointe avancée. Il s’agit d’une utopie réactionnaire qui a pour corrélat de redorer le blason d’institutions européennes et étatiques lourdement discréditées sur le terrain écologique, en raison non seulement de leur répression brutale des militants écolos, mais aussi de leur rôle au service des grands capitalistes européens, de la défense du glyphosate etc… La proposition des Ecologistes n’est donc pas si éloignée du logiciel macroniste. Le président appelait en effet en 2019 à créer une « Banque européenne du climat pour financer la transition écologique », adossée à la banque européenne d’investissement.

L’industrie sous gestion des États de l’Union Européenne, une garantie contre la pollution ?

Contre l’illusion qu’il est possible de résoudre la crise écologique,par la voie d’une réforme institutionnelle de l’UE, c’est bien sur le terrain de la lutte de classe, et au travers un programme qui articule la lutte contre l’Europe du capital à la lutte sur l’échelle nationale qu’il sera possible de contrer les multinationales françaises et les gouvernements qui les accompagnent. Détenue directement par l’État français avant d’être privatisée en 1994, Elf, absorbée par Total en 2000, était bien au courant des conséquences climatiques de ses activités depuis 1971. C’est en tant qu’entreprise nationale que le groupe a commis les pires atrocités impérialistes. Le « système Elf », c’est un vaste appareil de corruption et de clientélisme érigé en véritable pilier de la Françafrique, permettant le pillage du pétrole en passant par le soutien des dirigeants autoritaires, au Gabon ou encore au Congo Brazzaville.

De même, le nouveau rapport de référence du Carbon Majors Database, illustre sur le terrain écologique la complémentarité entre Etats capitalistes et grandes entreprises. Alors que ces dernières se sont en partie désengagées de la production de charbon, devenue plus difficile à assumer et coûteuse, ce sont les entreprises publiques et les Etats qui ont pris le relai, pour assurer la soif d’énergie des entreprises. Résultat : sous perfusion des secteurs publics, la consommation mondiale de charbon a augmenté de presque 8 % entre 2015 et 2022, atteignant un record de 8,3 milliard de tonnes en 2022.

La proposition d’EELV entretient l’idée d’une part que l’UE et les entreprises polluantes ont des intérêts divergents, et d’autre part qu’il serait possible de réconcilier les intérêts capitalistes avec la préservation de l’environnement. Il faut rappeler que, malgré quelques grandes déclarations, l’Union Européennes et les États membres ne se font pas prier pour financer et protéger les grosses entreprises polluantes tout en menant des attaques en bonne et due forme contre l’écologie. Ainsi, l’actuelle liquidation de l’opérateur public FRET SNCF, un véritable désastre social et écologique, est menée sous pression de la commission européenne, qui menace l’entreprise ferroviaire de faire rembourser 5,3 milliards d’euros à l’État… Si le gouvernement et le groupe SNCF tentent de se dresser en défenseurs du FRET, la privatisation du secteur ferroviaire va aussi dans leur sens : autant pour l’État, grand casseur du public, que pour l’entreprise, qui se frotte les mains pour les 30% des activités public que FRET SNCF cédera à la concurrence. C’est une autre histoire pour les usagers et les 450 cheminots menacés de licenciement.

Dans leur programme, les Écologistes vont jusqu’à envisager une alliance possible entre États, travailleurs, et « investisseurs engagés pour le climat », prônant une « gouvernance démocratique aux côtés des salariés. » Une logique selon laquelle il suffirait de donner un coup de pouce d’argent public aux capitalistes pour les aider à faire des profits verts, et les convaincre ainsi d’écouter les salariés. Quiconque sait comment les entreprises tentent d’écarter au maximum les représentants des travailleurs du moindre levier décisionnel comprend qu’il s’agit d’une utopie totale, qui ignore totalement les logiques qui animent les grandes multinationales, qu’elles soient en partie rachetées par des puissances publiques totalement inféodées au capitalisme, ou pas.

Pas de solution sans expropriation… : nationalisation sans indemnité ni rachat et sous contrôle des travailleur

Loin des illusions des Ecologistes dans la possibilité d’un capitalisme écolo, pour un réel contrôle démocratique des entreprises polluantes, c’est une lutte pour leur expropriation pure et simple qu’il faut mener. L’idée d’un capitalisme vert managé par l’État, ou des fonds de l’UE, qui pourrait magiquement réconcilier les intérêts des travailleurs avec ceux des patrons pollueurs, constitue une illusion dangereuse, qui transforme nos pires ennemis en potentiels alliés. A l’heure de l’urgence climatique, mais aussi des factures de l’énergie qui explosent avec la fin du bouclier tarifaire, les profits incroyables des multinationales de l’énergie sont un véritable scandale. Mais confier les entreprises prospérant sur la crise aux États spécialistes qui organisent leur domination en espérant qu’ils mènent une politique écolo est une impasse.

Changer la manière de produire face à l’urgence climatique ne pourra passer par une « transition énergétique » au service des capitalistes et des États, plus soucieux de soupeser les effets économiques de la crise que d’y opposer une véritable transformation d’un monde organisé sur l’extraction et la quête des profits. Face aux industriels responsables de la catastrophe climatique, il faut lutter pour l’expropriation, sans indemnisation ni rachat, et la mise sous contrôle ouvrier des grands groupes de l’énergie comme Eni et Total.

C’est le contrôle réel sur la production, exercé directement par les travailleurs après expropriation, qui permettra de stopper la course à l’extraction de combustibles fossiles et de reconvertir ces secteurs polluants au service de la population et de l’intégrité de l’environnement. Une perspective qui nécessite de développer l’auto-organisation, la confiance dans notre capacité à prendre nous-même en main nos affaires, et les grèves contre ces géants de la pollution. Soit tout l’inverse de ce que proposent les Écologistes, en confisquant la question centrale de l’écologie entre les mains des Etats, et d’une union européenne du capital, taillés contre nos intérêts.


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