Il y aurait même d’autres motifs de satisfaction : le chômage des jeunes (moins de 25 ans) aurait reculé de 2,6% ce même mois, cependant que, sur le front de l’emploi, les agences d’intérim (pourtant connues pour fournir plus d’emplois précaires ou en CDD que de CDI) enregistreraient une augmentation significative des recrutements. D’autres chiffres sont cependant fort instructifs : hausse du nombre de chômeurs en activité réduite (catégories B et C), hausse de 1% des chômeurs de longue durée, soit 23800 de plus, portant à presque 45% la proportion de ces derniers chômeurs de longue durée parmi ceux inscrits à Pôle Emploi. La réalité c’est que le nombre global de chômeurs sans aucune activité a augmenté d’environ 50.000 personnes depuis janvier dernier, et qu’ils sont encore plus nombreux à être inscrits depuis plus de 3 ans à Pôle Emploi. Les chiffres publiés ce lundi par l’INSEE n’infirment en rien cette tendance lourde.
Hollande avait misé sa campagne de 2012 contre Sarkozy sur l’inversion de la courbe du chômage. Dans cette période où la crédibilité du tandem Valls-Hollande, notamment en vue des présidentielles de 2017, est de plus en plus entamée, il était couru d’avance qu’il sauterait sur pareille occasion, poursuivant la stratégie d’intox, savants calculs à l’air de magouilles sans fin, de dissimulation du chômage, à laquelle nous sommes habitués. « Le mouvement de réforme engagé par le gouvernement va se poursuivre » (entendre : le démantèlement du code du travail) a donc pu dire Myriam El-Khomri avec le sourire. Sombre perspective.
Or si les chiffres pris dans leur ensemble n’ont en fait vraiment rien « d’encourageant », il faut de surcroît avoir à l’esprit que les indicateurs officiels du chômage, que ce soit ceux du BIT (qui ne reconnaît que la catégorie A de Pole Emploi) ou de l’INSEE, forgés par des institutions parfaitement insérées dans le cadre de l’État bourgeois, sont de toutes façons dans les faits largement en-deçà de la réalité. Cette réalité, c’est qu’outre presque 6 millions de personnes, toutes catégories et territoires confondus, déjà inscrites comme demandeuses d’emploi, il faut ajouter les chômeurs invisibles dont une part importante des allocataires du RSA, qui dépassent de loin les deux millions, les non-inscrits découragés ou radiés faute d’avoir été « activement » en recherche d’un boulot, et tous les temps partiels subis qui ne permettent pas de joindre les deux bouts. Quant à la réforme de l’assurance-chômage de 2014, avait déjà commencé à faire porter un peu plus encore sur le dos de ceux qui trinquent, et parmi les chômeurs et précaires, en particulier les intermittents du spectacle, le coût social de cette crise. Cette double peine va évidemment se poursuivre et s’intensifier tant le déficit croissant de l’Unedic servira de prétexte à stigmatiser chômeurs et précaires et leur marteler qu’ils sont les seuls responsables de leur propre misère.
La réalité, c’est qu’entre 8 millions et 10 millions de femmes et hommes, inscrit-e-s ou non, recherchent un travail qui leur permettraient de vivre décemment. Une réalité dramatique subie en réalité, directement ou indirectement, par toute la classe des travailleurs, y compris une fraction croissante de cadres qui se prolétarisent, la jeunesse, et toutes les franges, de plus en plus nombreuses, de la société qui sont happées par la précarité, les emplois instables, mal payés et sans avenir, l’angoisse du lendemain et une haine que l’extrême-droite s’emploie avec acharnement, mais aussi, malheureusement, avec efficacité, à instrumentaliser.
C’est cette réalité d’un chômage de masse sans perspective de sortie qui rend d’autant plus abject le chantage à l’emploi déguisé en « dialogue social » exercé par les patrons, à l’image de ceux d’Air France, ou bien évidemment le chantage sur les salaires (comme à Smart). Le chômage tue 14000 personnes par an : preuve que cette société tue non seulement parmi ceux qu’elle exploite et réprime, mais aussi par ceux qu’elle laisse sur le carreau. Engels l’avait déjà parfaitement résumé au milieu du XIXe siècle quand il constatait les ravages de la révolution industrielle sur le prolétariat anglais : le ressort de la société capitaliste, c’est le « meurtre social » de masse. Seule une justice ouvrière et populaire pourra régler son sort à une telle société criminelle : contre les licenciements, les fermetures de boites, les conditions de travail et les salaires toujours plus attaqués, pour en finir avec le chômage de masse, seul un réveil généralisé de la fierté ouvrière, dont les salariés d’Air France ont fait preuve il y a peu, pourra commencer à remettre les pendules à l’heure.
