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Omerta

Violences sexuelles : Depardieu, un « monstre sacré » comme il y en a tant

Entre le suicide de l'actrice Emmanuelle Debever qui l'avait accusé et l'émission Complément d'Enquête, l'affaire Depardieu dévoile une omerta sur les violences sexistes et sexuelles dans un milieu du cinéma patriarcal et capitaliste.

Cléo Rivierre

14 décembre 2023

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Violences sexuelles : Depardieu, un « monstre sacré » comme il y en a tant

Crédits photo : Wikimedia Comons

Une longue liste d’accusations

Le 6 décembre 2023, l’actrice Emmanuelle Debever, qui avait été parmi les premières accusatrices publiques de Gérard Depardieu, est morte après s’être jetée dans la Seine. L’actrice avait témoigné en 2019 sur Facebook des agissements de Depardieu pendant le tournage de Danton, l’accusant d’agression sexuelle. Dans son récit, Emmanuelle Debever décrivait le comportement de Gérard Depardieu en ces termes : « Le monstre sacré s’était permis bien des choses durant ce tournage… Profitant de l’intimité à l’intérieur d’un carrosse. Glissant sa grosse patte sous mes jupons pour soi-disant mieux me sentir. Moi, ne me laissant pas faire. »

En plus de la tragédie, les récentes révélations de l’émission Complément d’enquête diffusée le 7 décembre 2023 ont mis en lumière des images inédites de Gérard Depardieu en Corée du Nord en 2018. Dans ces images, l’acteur fait constamment subir aux femmes autour de lui des propos obscènes à caractère sexuel, notamment envers une fillette d’une dizaine d’années.

Par ailleurs, une deuxième plainte pour agression sexuelle a été déposée par la comédienne Hélène Darras, l’accusant d’agression sexuelle en 2007. Ces événements s’ajoutent aux accusations antérieures contre Gérard Depardieu, qui avait déjà été mis en examen le 16 décembre 2020 pour viols et agressions sexuelles après une plainte de la comédienne Charlotte Arnould, dénonçant deux viols en août 2018.

Un « monstre sacré » comme il y en a tant

En avril 2023, Mediapart publiait une enquête après avoir recueilli les témoignages de 13 femmes affirmant avoir subi « des gestes ou propos sexuels inappropriés du célèbre acteur, de gravité différente, sur le tournage de onze films ou séries sortis entre 2004 et 2022 ou dans des lieux extérieurs ». D’après les témoignages recueillis, qui concordent tous, les comportements de Gérard Depardieu démontrent la totale impunité dont jouit l’acteur, agissant devant de nombreux témoins sans être quasiment jamais recadré.

Dans le cadre de son enquête, Mediapart a contacté vingt réalisateurs, dont seul un a reconnu être au courant du comportement sexiste de Gérard Depardieu sur les tournages et avoir réagi en conséquence. Tous les autres ont soit refusé de répondre, soit dit n’être au courant de rien. Sur France Inter, l’actrice Anouk Grinberg témoignait de la vulgarité, de la grossièreté et de l’agressivité de Gérard Depardieu envers les femmes, remontant aux années 1990. Elle mettait ainsi en évidence une récurrence des comportements inacceptables de la part de l’acteur, soulignant une culture persistante de silence entourant de tels agissements de la part d’hommes renommés : Gérard Depardieu est « un des monstres sacrés du cinéma et ça l’a autorisé à devenir monstre tout court ».

Cette omerta au sujet des comportements sexistes de grands acteurs, producteurs ou réalisateurs ne touche pas que Gérard Depardieu. Roman Polanski, Luc Besson, Gérard Depardieu… sans oublier Harvey Weinstein, le producteur américain au sujet duquel les révélations concernant viols et agressions sexuelles avaient lancé le mouvement international #MeToo : ils sont nombreux, ces « monstres sacrés » dont tout le monde connaissait les comportements déplacés et que personne n’a osé dénoncer ni empêcher de nuire pendant des années, car ces grands noms du cinéma sont protégés par leur notoriété et leur statut.

Un cinéma capitaliste et patriarcal

Ce qui rend possible l’étendue des violences sexistes et sexuelles dans le cinéma, ce sont les rapports de domination qui s’exercent entre hommes et femmes, mais aussi entre « monstres sacrés » et jeunes en début de carrière, entre acteurs richissimes et « petites mains » (maquilleuses, techniciennes, intermittentes, etc.) que la précarité rend vulnérable car elle ne peuvent pas se permettre de perdre leur emploi.

Mais c’est aussi la complicité de la justice, à l’image de l’avocate de Gérard Depardieu qui déclarait à propos d’Anouk Grinberg : « Si Gérard Depardieu est le monstre qu’elle décrit, ce type abominable, pourquoi a-t-elle tourné avec lui, il y a un an et demi, Les Volets verts ? » ; « Il ne faut pas être incohérent, (...) on ne peut pas avoir envie d’un rôle avec Gérard Depardieu, tourner ce rôle, et ensuite l’exécuter comme elle le fait actuellement ». Une manière de rendre toutes les victimes qui ont tourné avec Depardieu coupables de leur propres agressions, alors même que celui-ci est protégé par la justice et la quasi-totalité du milieu du cinéma, au service de ses magnats les plus riches et puissants et au détriment de millions de femmes qui sont contraintes de les subir.

Ainsi, pour éradiquer ces violences, que ce soit dans le domaine culturel ou ailleurs, il nous faut fournir une réponse qui va au-delà de la simple dénonciation des comportements individuels. C’est tout un système qui engendre et favorise ces comportements ; tout un système à renverser.


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