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Compte-rendu

« La grève générale ne tombera pas du ciel » : le Réseau pour la grève générale se structure pour durer

Mardi 18 avril avait lieu la 5ème réunion nationale du Réseau pour la Grève Générale, réunissant plus de 250 personnes. Premiers bilans de lutte, perspectives pour continuer la grève et la mobilisation, structuration du réseau : les sujets évoqués ont été nombreux, avec une détermination sans faille de l’ensemble des présents.

Arthur Nicola

27 avril 2023

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« La grève générale ne tombera pas du ciel » : le Réseau pour la grève générale se structure pour durer

Crédits photo : Révolution Permanente

« Ce qu’on appelle de nos vœux, la grève générale, n’est pas quelque chose qui tombe du ciel, c’est quelque chose qui se prépare, de manière consciente, en allant voir les salariés de différents secteurs, en construisant des cadres l’auto organisation par en bas, et en ayant des revendications qui dépassent les seules revendications défensives » : dès l’introduction de Laura, cheminote au Bourget, les principaux éléments stratégiques du réseau pour la grève générale sont posés.

Alors que le réseau se réunissait pour la cinquième fois depuis le début du mouvement, plus de 250 militants, syndicalistes, étudiants et travailleurs étaient présents, en présentiels à Paris, ainsi qu’en distanciel dans plusieurs de villes du pays, telles que Bordeaux, Toulouse, Montpellier, le Havre, Metz, Saint Avold, Mulhouse, Strasbourg, Rennes, Nantes, Savoie, Marseille et d’autres villes encore. Des raffineurs de plusieurs raffineries, éboueurs parisiens, franciliens et rennais, énergéticiens (centrales de Paluel, Nogent, La Bâtie, Le Havre), cheminots, salariés de la RATP, de Transdev, Suez, Sidel, Safran ou encore PSA étaient présents, aux côtés de salariés de la santé, de la culture et du spectacle, du travail social, de l’industrie aéronautique et spatiale, de l’agroalimentaire, du secteur de l’éducation, de la logistique, des jeunes et des travailleurs de plusieurs établissements scolaires, des activistes des Soulèvements de la Terre et de la Coordination Sans Papiers 75, des avocats, des artistes et des intellectuels.

Une réunion pour tirer les premiers bilans d’étape de la lutte contre la réforme des retraites, mais aussi réfléchir à comment faire rebondir la mobilisation et structurer le réseau pour les batailles à venir.

Salaires, retraites : les bilans d’une lutte centrée sur le retrait de la réforme

Au cœur de la discussion du réseau, la question des revendications du mouvement. Pour les grévistes, si le mouvement contre la réforme des retraites n’a pas réussi à embraser le monde du travail dans son entièreté malgré un refus de 93% de la population active de la réforme, c’est notamment parce que l’intersyndicale a refusé d’intégrer des revendications salariales à la lutte en cours. « Il faut travailler sur des revendications claires et nettes avance Guillaume, égoutier à la ville de Paris. La réforme des retraites c’est l’arbre qui cache la forêt. Revalorisation des salaires, lutter contre la précarisation de la société et la destruction de la Sécurité sociale. Pour agréger des étudiants, des chômeurs, des salariés précaires du privé uniquement sur la réforme de la retraite, on se met le doigt dans l’œil ».

Depuis les premiers jours de la lutte, c’est un des axes politiques du Réseau : la nécessité d’élargir les revendications pour permettre à tous les salariés de rentrer dans la lutte. Lors du meeting du 13 mars, un week-end après le lancement de la grève reconductible, Frédéric Lordon insistait dans ce sens à la tribune : « Quand est ce que l’intersyndicale sera capable d’ajouter à la lutte contre la réforme la lutte pour le pouvoir d’achat ? C’est la revendication gagnante, transversale, unificatrice ». Une stratégie réaffirmée dans les deux tribunes lancées par le réseau, l’une fin janvier, parue dans le JDD, et l’autre début mars, parue sur Politis.

Après trois mois de lutte depuis la première manifestation du 19 janvier, les grèves sur les salaires continuent de montrer qu’une des clés du mouvement résidait dans ces revendications. « dans les stations-services Total, les camarades n’ont réussi à faire qu’une journée de grève sur les retraites, et sur les salaires ils ont réussi à mobiliser 4 jours en fermant 36 relais autoroutiers. C’est pour ça qu’il faut parler des salaires » explique Adrien Cornet, de la CGT Total Grandpuits. C’est pareil pour les cheminots du Bourget, qui font partie du Réseau et qui viennent d’arracher une victoire après quatre mois de lutte pour améliorer les conditions de travail et de salaire, ou encore les éboueurs et travailleurs du traitement des déchets du SIVOM dans le 91, présents dans la réunion du Réseau et en grève renconductible depuis trois semaines pour les salaires et les retraites.

Même constat de Pierre, salarié dans une entreprise de logistique où les salariés cumulent souvent leur travail avec des courses pour Uber pour finir le mois : « Refuser de parler des salaires, ça a empêché plein de collègues de se mobiliser. Borner le discours sur uniquement l’âge de la retraite, ça empêche plein de collègues de se mobiliser, parce que les gens ne peuvent pas perdre autant de salaire pour si peu ». Toujours le même son de cloche pour Alban Azaïs, secrétaire adjoint du syndicat SNRT-CGT, en parlant de la grève des techniciens vidéos de la Ligue 1 et du Top 14 : « Ils sont rentrés dans la lutte sur des questions de salaires, et si on se limite aux mots d’ordre sur les retraites, on est perdus. L’inflation ça préoccupe les gens. Ils sont rentrés sur les salaires en débrayages, et le week-end prochain ce sera sur les salaires et les retraites ».

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« La stratégie de l’intersyndicale c’est la stratégie de l’apaisement permanent »

Au-delà de la question revendicative, c’est aussi les méthodes d’action et de grève proposées par l’intersyndicale qui sont remises en cause par de nombreux militants. « J’entends les gens dire « les travailleurs ne sont pas assez mobilisés » ! déplore Anasse Kazib. Mais que voulez-vous ? Il y a eu des manifestations à 3 millions sur des journées après le passage au 49.3, plus que 1995 ou 2010, on nous dit que c’est historique depuis 1968, et malgré ça les gens disent qu’il n’y avait pas assez de grévistes. Mais c’est qu’est ce qui se passe dans les raffineries, l’énergie, les cheminots ? Il y a eu toutes ces grèves, plus les journées interpro, il y avait de quoi faire, et c’est quoi le problème ? C’est les gens ? Non, c’est qu’on n’a pas mis en place la méthodologie pour pouvoir gagner. ». Face à celles et ceux qui commencent à faire peser le poids de la défaite sur les épaules des travailleurs qui n’auraient pas assez fait grève, c’est bien la stratégie de la direction du mouvement, l’intersyndicale, qui est remise en cause par le réseau.

« On met en avant la seule stratégie qu’on pense possible et gagnante, la grève reconductible, ce qui est l’inverse de Laurent Berger, qui ne cesse de dire qu’il est contre le blocage du pays et la reconductible. Il était contre la grève des éboueurs et des raffineurs en octobre dernier, et sa préoccupation première c’est de ne pas empêcher les JO qui doivent être une « grande fête populaire » », continue Adrien Cornet. Face à une stratégie de l’intersyndicale qui a consisté à se cantonner à des journées d’appel à la grève de 24h, empêchant toute montée du rapport de force, et épuisant la grève par des journées éloignées de manifestations, c’est l’appel à une grève reconductible généralisée que défend le réseau. Évidemment, cet appel doit se lier à la question revendicative, pour embrasser le plus largement possible.

Ici, de nombreux syndicalistes militent pour que le mouvement rebondisse, notamment après le 1er mai : « il ne faut pas qu’on baisse les bras, même si la loi est promulguée. Le combat c’est un marathon, il n’est pas fini. Il faut qu’on impulse, à la base, parce que les confédérations ne sont pas à la hauteur. Elles sont plus là pour canaliser et clamer, et pas vraiment fédérer à la base » explique Jenny Grandet, de la CGT Safran Le Havre. « Il faut qu’on fasse du 1er mai une journée de lutte contre ce système pourri : Macron n’est pas légitime, et on voudrait nous que notre pouvoir démocratique ne s’exprime que quand on met un bulletin dans l’urne, puis que pour le reste du mandat les élus font ce qu’ils veulent. Ce n’est pas comme ça que ça devrait marcher ».

Même regrets pour Laura Varlet, aiguilleuse au Bourget, pour qui l’intersyndicale a tenté de dépolitiser au maximum la lutte : « le plus petit dénominateur autour des 64 ans s’est couplé à une stratégie de journées isolées. Plus cela avançait dans le temps, plus c’était dur pour ceux en reconductible. Le soir même du 49.3, l’intersyndicale a expliqué qu’il fallait temporiser, sans appeler à des manifestations les jours des motions de censure. Ils ont empêché que s’exprime une colère politique contre le gouvernement ».

Malgré ces constats, les militants du réseau sont conscients que vouloir contourner l’intersyndicale sans batailler contre elle n’est pas possible : « Si on pouvait faire mieux sans eux, on ferait sans eux, explique Mathieu, cheminot. L’importance de l’intersyndicale, c’est que lorsqu’il y a eu une grève reconductible le 7 mars, la gare a été fermée trois jours, parce que l’UNSA appelait à la grève. S’il n’y a pas d’appel de la CFDT et de l’UNSA, certains collègues ne font pas grève, et pleins de salariés suivent ces appels. C’est pour ça qu’il faut interpeller ces syndicats, pour faire bouger leur base ».

Face à une intersyndicale par en haut, l’organisation à la base de comités pour la grève générale

Contre la politique de l’intersyndicale, le réseau défend donc la nécessité de monter des comités d’action partout en France. Jahan, étudiant à Bordeaux, témoigne de la construction d’un comité en Gironde : avec les militants de la CGT Energie, ils ont organisé un village des luttes, des lâchers de banderoles, une action de péage gratuit, ainsi qu’une distribution alimentaire pour les étudiants précaires. L’objectif : soutenir la grève des énergéticiens, mais aussi tenter de développer la mobilisation dans les universités.

« Le réseau a réussi à agréger une dynamique pour pouvoir se mobiliser rapidement sur des blocages, et on a vu que c’était puissant. On le voit pour les camarades éboueurs du SIVOM, s’ils avaient été seuls à attendre un syndicat, ils auraient perdu depuis longtemps. Il faut travailler sur des coordinations locales, mais aussi nationales. Le réseau a un grand intérêt à jouer : avec les réseaux sociaux, il faut densifier le maillage national pour avoir des actions rapides et efficaces » explique Guillaume. Soutenir les grèves en cours, les coordonner, remplir les caisses de grèves pour qu’elles tiennent : voilà l’un des grands objectifs de ces comités d’actions, appelés à se créer sur tout le territoire.

Au Havre, alors que le RN prévoit de faire un meeting pour le 1er mai, des militants s’organisent déjà pour que Marine Le Pen ne puisse tenir un tel meeting le jour du 1er mai. « Ils ne doivent pas mettre les pieds au Havre » prévient un salarié d’Enedis du Havre. Autant d’actions à organiser, qui, pour beaucoup, auraient dû être à l’initiative de l’intersyndicale : « L’intersyndicale aurait dû faire exactement ce que le réseau fait : coordonner, aider ceux qui sont en lutte, aller sur tous les piquets. Je ne serai pas parti à la raffinerie de Normandie aider les raffineurs face aux réquisitions s’il n’y avait pas eu le réseau » témoigne Alban.

Mais pas d’oppositions entre le réseau et les syndicats de base et autres AG interpros : la construction du réseau doit être, pour les participants, complémentaire aux outils préexistants. « Garder un réseau c’est hyper important pour notre syndicat, explique Charles Carlhant de la centrale nucléaire de Nogent. Pour échanger sur le terrain, partager ce qui se passe dans les autres secteurs, c’est une arme de motivation et une arme de préparation parce que les attaques elles ne vont pas s’arrêter là. Construire ce réseau n’est pas une opposition à l’organisation syndicale ou l’organisation fédérale, mais un outil complémentaire pour échanger avec d’autres secteurs et être plus fort dans l’ensemble de nos luttes ».

Face aux attaques antisociales qu’a martelé une nouvelle fois Emmanuel Macron dans son allocution, le réseau compte bien se pérenniser et s’ancrer dans la durée, et a mis en place dans ce sens un comité d’animation d’une trentaine de militants de tous les secteurs, de différentes villes et syndicats. Pour ce qui est du 1er mai, les militants et militantes du Réseau prévoient d’organiser un grand cortège du Réseau lors de la manifestation parisienne et ils appellent également à participer à tous les rassemblements de soutien aux Soulèvements de la Terre et contre l’offensive autoritaire et réactionnaire du gouvernement Darmanin-Macron.

Pour faire peser ces bilans et lutter pour une stratégie alternative à celle que continue d’imposer l’intersyndicale, le réseau appelle tous les militants qui ne sont pas satisfait de la stratégie de celle-ci à les rejoindre. Construire cette coordination entre les secteurs en lutte, maintenir tous les liens qui se sont créés dans la lutte, et étendre le maillage national à travers les comités d’action : voilà la marche à suivre.


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Arthur Nicola

Journaliste pour Révolution Permanente.
Suivi des grèves, des luttes contre les licenciements et les plans sociaux et des occupations d’usine.
Twitter : @ArthurNicola_

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