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6000 réfugiés en 24h à Lampedusa : en finir avec l’Europe forteresse, ouvrons les frontières !

Plus de 6000 réfugiés sont arrivés cette semaine sur l’île de Lampedusa en Italie. Alors que la droite et l’extrême-droite instrumentalisent la situation pour déverser leur venin xénophobe, il y a urgence à dénoncer l’Europe forteresse et la responsabilité des pays impérialistes et à revendiquer l’ouverture des frontières et la régularisation de tous les sans-papiers.

Irène Karalis

14 septembre 2023

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6000 réfugiés en 24h à Lampedusa : en finir avec l'Europe forteresse, ouvrons les frontières !

Crédits photo : Migrants arrivant sur l’île de Lampedusa en août 2007 / Sara Prestianni

Située entre la Tunisie et la Sicile à 190 kilomètres de la ville côtière de Sfax, Lampedusa est le premier port d’escale pour les réfugiés venant d’Afrique du Nord et constitue une des principales portes d’entrée de l’Europe. Cette semaine, l’île habituée à des flux migratoires réguliers a connu une arrivée massive de réfugiés : 2000 ont accosté lundi, 5000 mardi et plus de 1000 ce mercredi. Au total, depuis le début de l’année, plus de 124 000 réfugiés sont arrivés en Italie par la mer contre 65 000 à la même période l’année dernière et 41 000 à la même période en 2021. Tous viennent de pays où la pauvreté ou des conflits régionaux font rage, comme la Guinée, la Côte d’Ivoire, la Tunisie, l’Égypte, le Pakistan, la Syrie, le Cameroun ou encore le Mali.

À Lampedusa se trouve l’un des nombreux « hotspots », appelés de manière euphémisante « centres d’accueil et de tri pour les migrants » qui sont en réalité de véritables prisons à ciel ouvert principalement situées en Italie et en Grèce. Cet été, Info Migrants rappelait les terribles conditions de vie qui sont le quotidien des réfugiés parqués dans ces camps : « En juillet 2022, des photos publiées dans la presse, montrant l’intérieur du centre croulant sous les ordures et des exilés contraints de dormir à l’extérieur sur des matelas en mousse, avaient poussé les autorités à l’évacuer d’urgence. » Or, la situation actuelle est d’autant plus inquiétante que l’île de Lampedusa, sur laquelle viennent d’arriver plus de 6000 réfugiés en 24h, a une superficie d’environ 20 kilomètres carré et que son centre a une capacité d’environ… 400 places. Autrement dit, les milliers de réfugiés n’ont pas d’autre choix que de s’entasser les uns sur les autres en attendant de voir leur demande d’asile être acceptée et au risque d’attraper des maladies graves, de mourir de soif ou de faim, ou bien de reprendre la mer, au risque de mourir de noyade. Un choix impossible, que des centaines de réfugiés refusent de faire : déjà sur les réseaux sociaux, on a vu tourner des images montrant des centaines d’entre eux tentant de sortir du camp et se faisant violemment repousser par la police.

 

« Acte de guerre », « submersion migratoire » ou conséquence de l’impérialisme et de la crise climatique ?

La droite et l’extrême-droite n’auront pas attendu bien longtemps avant d’instrumentaliser la situation pour déverser leur venin xénophobe et défendre des mesures toujours plus racistes et répressives. Pour Matteo Salvini, vice-président du conseil des ministres en Italie, l’arrivée de tant de migrants représente ainsi un « acte de guerre ». Dans un discours devant le Club de la presse étrangère à Rome à la limite du complotisme, le secrétaire fédéral du parti politique d’extrême-droite la Ligue du Nord a affirmé : « Je suis convaincu qu’il y a un plan, un certain degré de contrôle derrière tout cela [...]. Si plus de 100 bateaux arrivent en quelques heures, ce n’est pas quelque chose de spontané, c’est organisé, c’est un acte de guerre. Le problème n’affecte pas seulement Lampedusa, parce qu’ils vont ensuite à Rome, Milan, Turin, Naples, Palerme, avec des conséquences malheureuses. »

En France, Marine Le Pen n’a pas tardé à lui emboîter le pas et a tweeté ce matin : « Qui refusera encore de parler de submersion quand il arrive en quelques heures l’équivalent de la population d’une île ? Bien sûr ces migrants ne resteront pas à Lampedusa… ». Une rhétorique qui fait écho à celle de sa nièce et tête de liste de Reconquête aux élections européennes, Marion Maréchal, qui parlait ce matin sur BFMTV de « défi civilisationnel » et expliquait « Ce n’est que le début [...], on peut parler d’une submersion migratoire. »

À rebours des théories complotistes et profondément racistes du « Grand remplacement », il faut rappeler que les pays d’Afrique qualifiés d’« instables » et dont proviennent ces milliers de réfugiés ont été déstabilisés depuis des décennies par la guerre, l’exploitation et le pillage des ressources, que ce soit par les interventions militaires en Syrie, en Irak, en Libye ou par la mainmise néocoloniale de pays comme la France sur des pans de continent entier comme l’Afrique de l’Ouest, où des milliers de troupes françaises sont postées encore aujourd’hui. Mais la situation actuelle est également le produit de la crise climatique, dont les grandes entreprises et les gouvernements des pays impérialistes sont les premiers responsables, quand bien même Emmanuel Macron a tenté de se dédouaner en affirmant lors du G20 qu’« un discours trop facile [s’installait] chez certains émergents pour dire que seuls les pays les plus riches ont une responsabilité. »

Or, l’accélération de la crise climatique ne peut avoir comme conséquence qu’une augmentation importante des flux migratoires et le journal The Telegraph expliquait en ce sens à propos de l’Afrique : « Le continent est confronté à un nombre record de traversées, qui pourraient être exacerbées par les catastrophes naturelles en Libye et au Maroc. » Enfin, ces flux migratoires sont aussi la conséquence de la situation nationale des pays d’Afrique ; la Tunisie, par exemple, a ainsi été en juillet le théâtre de pogroms contre la population noire et immigrée de Tunisie. Une situation qui s’est conclue par l’expulsion d’au moins 2000 migrants aux frontières libyenne et algérienne début juillet selon Info Migrants.

À bas l’Europe forteresse ! Ouverture des frontières et régularisation de tous les sans-papiers !

Selon Reuters, à ce rythme de flux migratoires, le nombre total d’arrivées de réfugiés en Europe pour l’année 2023 devrait atteindre le même niveau, voire dépasser les chiffres de 2016, quand 181 000 réfugiés avaient traversé la Méditerranée. Face à la possibilité d’une nouvelle « crise migratoire », la principale réponse des États impérialistes consiste dans le renforcement des frontières et la politique xénophobe de l’Union Européenne, en concluant des accords avec différents pays qui jouent le rôle de « portes de l’Europe ».

L’exemple de la Tunisie est illustratif de la politique européenne d’externalisation des frontières de l’UE : cet été, cette dernière a en effet proposé au régime tunisien une somme de 900 millions d’euros, en contrepartie desquels la Tunisie devrait renforcer son rôle de garde-frontière, « contenir le flux irrégulier de migrants et favoriser leur retour », selon les mots de Gérald Darmanin, c’est-à-dire accepter les expulsions massives de migrants depuis l’Europe. Autrement dit, la politique xénophobe et meurtrière de l’Union Européenne qui a décidé de financer la politique réactionnaire et négrophobe de Kaïs Saïed montre de manière limpide le rôle de l’UE dans l’alimentation du racisme en Tunisie.

Dans le même sens, l’UE a signé un accord en juin qui prévoit un renforcement de l’Europe forteresse sur deux plans. D’une part, l’accord prévoit un saut dans le renforcement des frontières européennes, notamment avec le renforcement de Frontex ; un appui politique des gouvernements ouvertement xénophobes de Meloni en Italie et Mitsotakis en Grèce ; et le renforcement et la mise en place de nouveaux camps aux frontières pour refouler plus rapidement les demandeurs d’asile. D’autre part, l’accord prévoit d’accélérer les expulsions de réfugiés. En ce sens, Gérald Darmanin a annoncé que la France allait renforcer les patrouilles de la police et de l’armée le long de sa frontière avec l’Italie. En réalité, si la classe dominante parvient à se mettre d’accord pour faire passer de nouvelles mesures xénophobes, les intérêts nationaux priment toujours sur les promesses faites. Et bien sûr, les premières victimes en sont les réfugiés. Mercredi, l’Allemagne a ainsi annoncé suspendre « jusqu’à nouvel ordre » l’accueil de demandeurs d’asile en provenance d’Italie, prétextant que l’Italie avait renoncé à reprendre les migrants qui avaient initialement débarqué sur ses côtes, alors même que l’accord signé en juin le prévoyait.

Loin d’être un geste d’humanité, l’accueil de réfugiés par les gouvernements européens est calculé économiquement. Ainsi, le gouvernement de Meloni, en même temps qu’il parquait des milliers de réfugiés dans des camps aux conditions de vie inhumaines et qu’il en repoussait des centaines d’autres aux frontières, a augmenté les quotas d’entrée pour les travailleurs migrants non-européens à 452 000 pour 2023-2025, contre environ 83 000 en 2022 selon Reuters. Une décision clairement liée au contexte de diminution de la population et de pénurie de main-d’œuvre en Italie qui montre le cynisme des classes dirigeantes.

Alors que la crise climatique ne fait que s’accentuer et que la guerre en Ukraine a bouleversé les blocs géopolitiques mondiaux et engendré une série de conflits régionaux, les flux migratoires sont loin de s’arrêter. Or, chaque jour de nouvelles tragédies surviennent : il y a deux jours, dans la nuit de mardi à mercredi, une enfant de cinq ans est morte noyée à Lampedusa. Rien qu’en 2023, plus de 2000 personnes sont mortes ou portées disparues dans la méditerranée. Dans ce contexte, il est plus impératif que jamais de se battre pour l’ouverture inconditionnelle des frontières, l’accueil de tous les réfugiés et la régularisation de tous les sans-papiers.


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