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Stratégie

80% de grévistes à Tisséo pour la 13ème journée de grève : quel plan pour la suite ?

En réponse aux intimidations de la direction, les salariés de Tisséo ont opposé une nouvelle mobilisation record, avec 80% de grévistes ce mercredi 21 juin. Alors que l’intersyndicale a appelé à une pause estivale, la question des suites à donner au mouvement et de la stratégie à adopter se pose de manière urgente.

Damien Bernard

22 juin 2023

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80% de grévistes à Tisséo pour la 13ème journée de grève : quel plan pour la suite ?

Crédits photos : Révolution Permanente

La direction durcit son offensive : les grévistes répondent par une mobilisation inédite !

Ce mardi 20 juin, la direction de Tisséo a fait appel à la justice pour pouvoir envoyer la police déloger les piquets de grève. Une annonce qui montre que face à la détermination des Tisséo, la direction n’a qu’une seule et unique réponse aux revendications des grévistes : une offensive policière et judiciaire. Face à cette nouvelle tentative pour briser la grève, une colère importante a soudé les grévistes : « On est en lutte pour pouvoir vivre correctement et la seule réponse qu’on a c’est du mépris » dénonce un agent de Tisséo.

Pour l’heure, le tribunal a annoncé ce mardi ne pas prendre position sur la demande de la direction, ayant repoussée son délibéré au 23 juin. Une non-décision qui est l’expression du rapport de force construit par les grévistes de Tisséo qui étaient massivement mobilisés une nouvelle fois ce mercredi 21 juin, avec 80% de grévistes pour leur 13ème jour de grève. Sur les 1000 conducteurs en poste de l’entreprise, on compte 700 grévistes, ce qui marque un record dans les taux de grève, y compris si l’on compare avec le premier jour de mobilisation à Mesplé le 11 avril.

Ce taux de mobilisation après treize jours de mouvement témoigne de la détermination profonde des salariés de Tisséo dans leur combat pour maintenir l’indexation de leurs salaires sur l’inflation. Il montre aussi que, loin de courber l’échine face à l’offensive autoritaire du maire de Toulouse Moudenc et de la direction, les grévistes ont répondu par l’unité dans la grève, preuve d’une volonté de ne rien lâcher.

Dans ce contexte, l’intersyndicale appelle à une pause estivale présentée comme un tremplin pour repartir à la rentrée en s’appuyant sur la Coupe du Monde de Rugby pour durcir le rapport de force. Une stratégie qui, plutôt que de durcir le mouvement, préfère parier sur un conflit dans la durée dans l’espoir de faire plier Moudenc.

Une première étape du mouvement : l’heure est à tirer les bilans pour préparer la suite !

La pause décrétée par l’intersyndicale s’inscrit à un moment charnière de la grève. Après trois mois de mouvement, force est de constater qu’une situation de statuquo se maintient : d’un côté, le taux de grève record montre que la colère ne faiblit pas. De l’autre, la direction de Tisséo, alliée à Moudenc, ne veut rien lâcher et utilise tous les moyens à sa disposition (justice, police, médias...) pour briser la grève. Une situation difficile pour la grève alors les vacances d’été arrivent à grand pas.

Dans ce cadre, le communiqué de l’intersyndicale du 21 juin déclare : « la victoire reste la grosse mobilisation de l’ensemble des salariés qui se mobilisent pour le maintien de la clause de sauvegarde ». Il décline ensuite le plan pour la suite : « la mobilisation et le combat ne doivent pas s’arrêter mais nous devons tous ensemble remobiliser et reconduire nos actions dès la rentrée de septembre, avec de grosses journées spécifiques comme lors des matchs de la coupe du monde de rugby ». Un discours enthousiaste et un plan de bataille déjà ficelé pour la rentrée qui ne tire cependant aucun bilan de la première phase de mobilisation.

L’heure devrait être à un discours de vérité qui, loin de revendiquer une quelconque victoire, cherche à tirer les enseignements de la première phase de la mobilisation dans l’objectif de ne pas faire les mêmes erreurs. De ce point de vue, le parallèle avec le conflit contre la réforme des retraites est éclairant à plusieurs titres.

D’abord, il rappelle l’échec de la stratégie de l’intersyndicale nationale qui s’est appuyée sur des journées saute-mouton. De ce point de vue, l’un des points forts de la grève de Tisséo est que, loin d’appeler à de simples journées de grève isolées, il a construit un certain rapport de force au travers de journées de grèves successives. Néanmoins, cela s’est fait dans une dynamique decrescendo plutôt que crescendo. Après l’appel de l’intersyndicale à quatre journées successives de grève, les temps forts qui ont suivi ont été de deux journées. Une politique qui a joué contre le durcissement du mouvement et n’a pas su mettre à profit l’importante combativité à la base qui s’exprime depuis le début du mouvement.

A l’inverse d’une telle stratégie, il est totalement légitime de se poser la question : qu’en serait-il si un calendrier de grève crescendo avait été mis en place pour faire monter la grève en puissance : 48h, 72h, puis une grève reconductible illimitée ? Qu’en serait-il si les douze jours de grève avaient été fait d’une traite ?

Contre toute la stratégie « d’interpellation des élus » que revendique l’intersyndicale, il faut rappeler que ce qui fait et fera toujours reculer le patronat, c’est le rapport de force qui permet de perturber la production dans la durée et de taper dans les poches du patronat. On l’a vu à Verbaudet, où deux mois de grève reconductible ont permis d’arracher des augmentations de salaires. C’est seulement lorsque ceux d’en haut, de la direction de Tisséo à Moudenc, ont peur de tout perdre qu’ils sont obligés de reculer.

Face à l’impasse d’une grève marathon, la nécessité d’une stratégie alternative

Face à une direction radicalisée, à l’inverse de toute « maitrise du conflit » revendiquée par l’intersyndicale, il n’y a pas d’autre issue qu’une stratégie alternative qui prépare un septembre noir pour faire réellement trembler la direction de Tisséo et son allié Moudenc. De ce point de vue, savoir comment aborder cette « pause » décrétée par l’intersyndicale va être primordial, pour qu’elle n’ait pas pour conséquence de refroidir les équipes de grévistes et qu’elle permette véritablement d’être un point d’appui pour l’emporter. Il faudra s’appuyer sur les limites actuelles de la grève pour préparer la suite.

L’organisation d’assemblées générales, le fait d’aller chercher les derniers non-grévistes, la préparation d’une caisse de grève conséquente et la recherche de l’appui de la population pourraient être des éléments essentiels pour utiliser l’été et construire une grève conséquente et massive à la rentrée à même de faire plier Moudenc et la direction. Mais pour cela, comme l’ont exprimé certains grévistes, il ne faudra pas se leurrer sur les risques d’une telle pause : « ça peut être difficile de motiver les collègues, alors que là on est déjà tous mobilisés ».

Et pour cause, il est en effet plus facile de battre le fer tant qu’il est chaud, que de relancer un mouvement après une pause. Par exemple, à Airbus, en octobre 2022, après une grève très suivie pour des augmentations de salaires, les salariés avaient décidé d’une pause, pour mieux repartir plus tard, mais cette volonté était restée lettre morte.

D’autres grévistes, comme Lad, du dépôt d’Atlanta, pointent que « le problème c’est que la mobilisation va s’arrêter et on a aucune garantie d’obtenir quoi que ce soit ». « On a trop attendu » pense Serge, syndiqué CGT, évoquant comme d’autres, une « occasion manquée » dont les directions syndicales ne se sont pas saisies dès le premier jour de grève. En effet, ce jour-là, un salarié avait proposé de lancer une reconductible, mais cette proposition n’avait pas abouti.

Autant de discussions qui émergent sur les piquets de grève entre les salariés et qui démontrent que chacun à son mot à dire sur le plan de bataille et la stratégie à adopter. En ce sens, la construction d’espaces collectifs pour que chaque gréviste puisse s’exprimer est un enjeu clé pour la suite du conflit. « Ca serait bien de faire des assemblées générales qui seraient très efficaces, pour pouvoir avoir beaucoup de monde, de les informer » avancent Serge et Lad, du piquet d’Atlanta.

Si l’intersyndicale unie à permis de mobiliser lors de treize journées très suivies, l’absence d’Assemblées générales ne permet pas à l’ensemble des salariés de décider de leur mouvement. Or, c’est seulement si les grévistes discutent et votent collectivement les modalités de la grève qu’ils pourront prendre en main leur stratégie. Ces assemblées seraient aussi le moyen d’imposer la reconduction, que beaucoup de grévistes appelaient de leurs vœux lors de la première journée de mobilisation. Afin de mettre à profit la combativité des grévistes et de construire une véritable grève reconductible portée par les assemblées générales, il faut que les lignes proposées par les syndicats présents dans l’Intersyndicale puissent être discutées. De ce point de vue, l’intersyndicale a exprimé deux lignes : d’un côté, la FNCR qui a toujours refusé de durcir le mouvement, comme en témoigne sa position face aux assignations en justice. De l’autre, les syndicats CGT et SUD, qui semblaient favorables au durcissement du conflit, mais n’ont pas imposé une stratégie alternative. Les AG pourraient être un point d’appui pour construire cette alternative de direction et l’unité des grévistes par en bas, tout en s’émancipant des limites actuelles du mouvement au sein de l’entreprise.

Rompre avec le faux dialogue social et les interpellations, pour construire le rapport de force

L’autre leçon de la bataille des retraites est l’impasse que constitue la stratégie de pression sur les élus. Celle-ci induit une stratégie visant à maintenir le mouvement dans un cadre bien délimitée, se refusant à durcir les modalités du mouvement pour apparaître responsable face aux élus. Or, une telle stratégie axée sur la pression institutionnelle a montré toutes ses limites comme en témoigne notamment la journée de mobilisation du 6 juin.

De ce point de vue, les similitudes avec le dernier communiqué de l’intersyndicale ne manquent pas. D’abord, il revendique que « l’intersyndicale est en capacité de maîtriser le conflit et reste dans la légalité », avant de faire une interpellation appuyée aux élus en affirmant : « Il est nécessaire de maintenir la pression sur les élus Toulousains, car le Roi n’a plus aucune légitimité à nos yeux ». Il conclue : « Que les élus se renseignent sur son lourd passif à Poitiers et réagissent urgemment pour reconstruire le dialogue social ». Une stratégie qui, loin de durcir le mouvement, vise à se montrer respectable pour convaincre les élus.

De même, récemment, les élus NUPES de la ville ont réitéré leur demande dans un communiqué qu’une médiation soit mise en place avec le directeur. Le directeur général a refusé cette médiation. Lorsqu’il a daigné recevoir l’intersyndicale, il a essayé d’acheter la colère des salariés avec une prime de 250 euros. Un crachat à la figure des salariés qui montre l’impasse des négociations avec la direction. Face à un directeur général qui ne veut rien lâcher, seule la mobilisation massive des agents permettra d’obtenir gain de cause.

Au-delà du directeur général, le maire de la ville Jean Luc Moudenc a joué un rôle non négligeable pour tenter de casser la grève. Ces politiques, du haut de leurs mandats cumulés et de leurs salaires exorbitants, mettent tout en œuvre pour réprimer les salariés. Pour cause, une victoire des salariés de Tisséo pourrait faire tache d’huile à Toulouse, alors que l’inflation ronge l’ensemble de la population. Le départ en grève de 80% des salariés de ID Logistic de 19 juin, est un signe supplémentaire qu’il existe une colère qui gronde et une envie de lutter pour des meilleurs salaires.

Cette situation offre des perspectives d’unité des travailleurs, au-delà de Tisséo pour un plan de bataille commun face à l’inflation. Lors d’une journée de grève, des salariés d’une entreprise sous-traitante de Tisséo s’étaient solidarisés du piquet. Un salarié avait alors avancé : « nous aussi on devrait faire grève ». Une alliance potentielle qui fait trembler Moudenc et les patrons, puisque le salarié en question avait immédiatement reçu un avertissement. Alors que 28% du réseau est sous-traité, l’alliance avec les salariés précaires est un enjeu clé pour paralyser l’ensemble du réseau. Ces alliances sont cruciales pour penser la suite du conflit, et ouvriraient la voie vers une bataille d’ensemble pour l’indexation des salaires sur l’inflation, pas seulement à Tisséo mais pour l’ensemble des travailleurs.

Cette même journée de grève, une étudiante, dont le bus avait été arrêté par la grève, avait exprimé, en découvrant les revendications des grévistes toute sa solidarité avec les grévistes. Cette solidarité, loin de la division que veut imposer la direction contre les « preneurs d’otages », montre la potentialité d’une union des grévistes avec les usagers, contre la privatisation du service de transports et pour la gratuité des transports. A l’initiative de l’union départementale, une réunion, qui à réuni une soixantaine de personnes dont de nombreuses forces politiques a également posé les bases pour une campagne unitaire de lutte aux côtés des Tisséo, pour faire échouer Moudenc et Whyzensky.

L’impuissance des journées isolées face à un directeur plus déterminé que jamais à précariser les agents, doit permettre de tirer un bilan de cette stratégie, pour construire un autre plan de bataille pour la rentrée et repartir de plus belle. Pour cela, les salariés de Tisséo gagneraient à se réunir collectivement, pour tirer les bilans de cette première « mi temps » contre la patron, pour se donner toutes les chances de gagner le match contre Whyzensky.


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