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Parlementarisme révolutionnaire

Argentine : même au Parlement, l’extrême-gauche en première ligne du combat contre Milei

Alors que les organisations du Front de Gauche et des Travailleurs - Unité mettent leur force dans la préparation d’une grève active le 24 janvier, l’extrême-gauche mobilise aussi ses députés au Parlement pour dénoncer les manœuvres antidémocratiques du gouvernement et de ses alliés et faire entendre la voix de ceux qui subissent les attaques de Javier Milei.

Julien Anchaing


et Paul Morao

17 janvier

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Argentine : même au Parlement, l'extrême-gauche en première ligne du combat contre Milei

En Argentine, l’examen de la Loi dite « Omnibus » (LO) du gouvernement d’extrême-droite a commencé cette semaine, en pleine vacances d’été. Le texte est d’une brutalité très importante, puisqu’il contient des attaques sur de très nombreux fronts, cherchant à déréguler de nombreux secteurs au service du patronat, mais aussi à privatiser l’ensemble des entreprises publiques. Mesure phare de la LO, un projet d’état d’urgence qui confierait au Président des pouvoirs ultra-étendus pour diriger par décret en déléguant la quasi-totalité des pouvoirs du parlement à la fonction présidentielle. Sous la pression de la rue et des casserolades, la CGT Argentine a appelé à une journée de la grève nationale du 24 janvier. Si celle-ci pourrait cristalliser l’opposition à Javier Milei et son gouvernement dans la rue et permettre une entrée du mouvement ouvrier dans la bataille contre l’extrême-droite et le patronat, le combat se mène également au Parlement, où l’extrême-gauche se fait entendre.

L’extrême-gauche en première ligne contre les méthodes autoritaires de Milei et ses alliés

Avant même le début des débats, la passe d’armes entre le député révolutionnaire Christian Castillo (PTS) et le proche de Milei José Luis Espert jeudi 4 janvier a ainsi fait la une des médias. Le député récemment élu s’est en effet opposé à la nomination de ce dernier à la tête de la Commission des Finances (Comisión de Presupuesto y Hacienda) qui sera au centre des discussions concernant la LO. « Un personnage violent et autoritaire comme Espert n’a pas à présider une commission de députés. Souvenez-vous qu’il a demandé publiquement sur les réseaux et à la télévision « la prison ou une balle » pour Myriam Bregman et Nicolás del Caño » avait-t-il notamment rappelé avant de se voir couper le micro. »

L’échange a fait la une des médias argentins, en incarnant une volonté ferme de s’opposer aux attaques à venir du gouvernement et de ses alliés, et à leurs méthodes. Depuis le début du mois de janvier, chaque journée au Parlement est marquée par de tels échanges, dans lesquels l’extrême-gauche joue un rôle de premier plan avec ces 5 députés élus, dont 4 du Parti des Travailleurs Socialistes. Face à des députés de la droite traditionnelle (PRO, UCR) qui soutiennent le projet de Milei, de façon plus ou moins critique, et des députés péronistes qui s’y opposent mais se montrent prêts à négocier, notamment du côté de l’aile droite du péronisme dirigée par Miguel Angel Pichetto du Péronisme Fédéral les députés du FIT-U / PTS s’affirment en première ligne de la lutte pour le retrait ni amendable ni négociable de la LO ainsi que du Décret de Nécessité et d’Urgence du gouvernement.

Une lutte qui passe par la dénonciation des méthodes des parlementaires pro-Milei qui tentent de faire taire l’opposition. Ainsi, l’examen de la loi a été organisé dans un temps ultra-limité pour un texte comptant plus de 600 articles, et dans seulement 3 commissions, en dépit de l’étendue des thématiques abordées par le texte. En ce sens, Alejandro Vilca, député ouvrier du PTS, a dénoncé le fait que le texte n’ait pas pu être discuté dans la Commission des ressources naturelles et de l’environnement du Parlement en dépit de ses implications écologiques.

Une tentative claire de limiter les débats contre laquelle les députés révolutionnaires se sont faits entendre. La députée Myriam Bregman a notamment rappelé le lien entre la « forme » de l’examen, l’autoritarisme des alliés de Milei au Parlement, et le « contenu » de la loi, offensive autoritaire d’ampleur : « Il y aurait dû avoir 30 commissions pour examiner un tel texte. Ce n’est pas une loi omnibus, c’est un train fantôme ! Toutes ces offensives contre la population doivent être discutées. (…) J’ai entendu le gouvernement dire que les députés pouvaient faire des suggestions... Je n’ai pas été élue pour faire des suggestions mais pour défendre les intérêts des travailleuses et des travailleurs. Accepter les « suggestions » c’est une logique de monarque, qui a des gens pour l’éventer et d’autres pour lui souffler à l’oreille des conseils qu’il peut écouter ou non. »

La question des méthodes a été l’objet de nombreux débats, les directeurs de commissions tentant à plusieurs reprises de faire taire l’extrême-gauche. Celle-ci ne s’est pas laissée démonter, donnant lieu à des échanges tendus, par exemple entre Nicolás del Caño et José Luis Espert, après que ce dernier ait tenté d’interrompre l’intervention du député.. Une bataille poursuivie cette semaine contre la volonté du gouvernement de forcer un passage rapide au vote pour tenter de passer le texte avant la mobilisation du 24 janvier. Ce dernier craint qu’une mobilisation massive mette un frein à de nombreux députés de l’opposition dite « conciliatrice » comme l’UCR, le PRO et les péronistes de la Coalition Fédérale, qui pourraient craindre une explosion sociale et reculer sur leur vote.

Nicolas del Caño, député du PTS-FIT-U affirmait ce mardi : « il y a des questions qui n’ont même pas été abordées dans la commission, et beaucoup d’autres ont été traitées de manière superficielle » avant d’ajouter « je vous pose la question : avez-vous peur que le caractère massif de la grève, de la mobilisation, génère un changement dans l’opinion des députés qui pourrait affecter de nombreux aspects de cette loi ? »

Un travail de démontage du projet autoritaire, anti-ouvrier et écocide de Milei aux côtés des acteurs des luttes

Par-delà la méthode, les députés tentent de souligner l’ampleur de l’offensive en cours. Sur un terrain démocratique d’abord, en se faisant les champions de la dénonciation du projet de délégation des pouvoirs ou de suppression de la proportionnelle. Le premier occasionnerait un véritable changement de régime, vers un bonapartisme autoritaire où l’exécutif peut légiférer seul. Une offensive d’ampleur sur laquelle a insisté Christian Castillo dans une longue intervention mercredi :

« J’appelle les radicaux (Union Civique Radicale) et le PRO (Proposition Républicaine) [deux partis de droite, NdT] à ne plus jamais parler de « républicanisme », parce qu’ils défendent aujourd’hui la délégation de pouvoirs et un DNU scandaleux. (…) C’est une proposition monarchique. Jamais dans l’histoire du pays on a proposé un décret de 350 articles, et je le dis en tant que membre d’une force politique qui s’est opposé à l’institutionnalisation des DNU, qui n’a jamais voté de délégations de pouvoir pour personne, et qui défend la lutte pour une démocratie infiniment supérieure aux démocraties capitalistes qu’on connaît. Des démocraties où la séparation des pouvoirs sert à tromper la population, aux travailleurs, pour s’attaquer à leurs droits au service du patronat. (…) “Tous les députés sont responsables vis-à-vis de la population en raison de leur position d’empêcher ce coup autocratique que veut imposer le gouvernement Milei. Le mot « liberté », nous allons le récupérer au service de la classe ouvrière, du peuple, et pas de celles et ceux qui veulent imposer un néo-libéralisme autoritaires contre les intérêts populaires. »

Les députés mènent également la bataille contre les dispositions ultra-libérales et anti-sociales du projet, dénonçant par exemple les privatisations. Un discours pour lequel les députés d’extrême-gauche ont décidé, avec des députés de l’UxP, d’inviter de nombreux acteurs des luttes contre le gouvernement de Milei, notamment du secteur de la culture, du mouvement des femmes et du métro de Buenos Aires. Parmi les invités des députés du PTS, Claudio Dellecarborana, travailleur du métro de Buenos Aires et membre du secrétariat exécutif de l’AGTSyP (syndicat des travailleurs du métro) a rappelé cette semaine les conséquences dramatiques de la privatisation des transports ferroviaires sous le gouvernement de Menem dans les années 1990, ainsi que l’enrichissement des grands patrons des transports publics avec la dictature militaire de 1976. Le militant ouvrier a également insisté sur l’enjeu de préparer une grève active le 24 janvier.

D’autres militants, comme Andrea D’Atri, figure du mouvement féministe et dirigeante de Pan Y Rosas, ont pu prendre la parole. Elle insistait ce lundi sur le rôle de la mobilisation du mouvement féministe contre le gouvernement pour mettre fin aux plans d’ajustement structurel du gouvernement : « Nous, les femmes, avons à nouveau sorti les casseroles de nos maisons et sommes descendues dans la rue pour reconstruire les liens sociaux brisés par le "chacun pour soi" néolibéral et repenser les rêves qui nourrissent notre existence commune. Nous sommes les mieux placées pour imaginer et proposer de nouvelles formes d’organisation collective, de soins mutuels. » De même, les députés ont fait entendre la colère des travailleurs de culture qu’ils ont rejoint lors de leur mobilisation nationale le 10 janvier.
De son côté, le député ouvrier Alejandro Vilca, éboueur dans la région de Jujuy, une des plus pauvres du pays, a dénoncé le caractère anti-écologique du plan de Milei, son négationnsime climatique et les offensives contre les régulations environnementales. « La loi donne le champ libre pour que les grandes entreprises puissent exploiter tous les sites protégés mais aussi pour qu’elles s’approprient de nombreux territoires. Des territoires qui sont souvent disputés aux peuples indigènes, comme en Patagonie avec le peuple Mapuche ou dans le Nord du pays avec le peuple Colla et les ressources minières. (…) Je voulais conclure avec une phrase qu’on reprend souvent dans le mouvement écologiste : si le capitalisme détruit la planète, pourquoi on ne détruit pas le capitalisme ? »

Un parlementarisme révolutionnaire au service de la construction des mobilisations contre le gouvernement

Alors que Javier Milei a rencontré ce mardi les représentants du FMI au forum de Davos, accompagné de son ministre de l’Economie Luis Caputo et de son directeur de cabinet Nicolas Posse, l’institution internationale liée aux intérêts des grandes puissances occidentales et tout particulièrement des Etats-Unis a félicité le gouvernement pour les mesures rapides et « agressives » mises en place pour « résoudre les problèmes structurels du pays ». Comme l’a rappelé Myriam Bregman, ces derniers se sont empressés de rendre des comptes au FMI sans jamais se présenter une seule fois face au Congrès pour justifier leurs attaques autoritaires et ultralibérales.

A l’opposé de cette pratique anti-démocratique du pouvoir, mais aussi de l’attitude des députés conciliateurs de la droite et du péronisme fédéral, qui se réunissent actuellement en secret pour négocier des dispositions particulières de la loi, pour parvenir à un accord sur la LO, les députés révolutionnaires du PTS et du FIT-U font de leurs sièges une véritable position pour dénoncer l’ensemble des intrigues et négociations secrètes menées par un gouvernement faible au Congrès et une opposition conciliatrice.

Sans accorder aucune confiance au Parlement pour freiner le gouvernement et les plans du patronat et du FMI, ils renouent avec la tradition du parlementarisme révolutionnaire, qui utilise les positions d’élus comme un véritable point d’appui pour faire entendre les voix des secteurs qui sont au cœur de la lutte contre les plans de Javier Milei. Leur présence et la dénonciation de l’ensemble des plans austéritaires et autoritaires de Milei s’inscrit par ailleurs dans la construction d’une bataille idéologique et politique contre l’autoritarisme des libertariens et leurs idées réactionnaires.

Dans la bataille contre le Décret de Nécessité et d’Urgence et la Loi Omnibus se joue la possibilité pour le gouvernement Milei de consolider le tournant autoritaire et bonapartiste qu’il souhaite imposer au pays. Les députés et parlementaires du FIT-U ont démontré le rôle que peuvent jouer les révolutionnaires dans la dénonciation publique et systématique des plans du gouvernement d’extrême-droite, au service de la lutte de classes et de la préparation de la journée de mobilisation du 24. Cette dernière va être un moment décisif pour construire un véritable plan de bataille et une mobilisation structurée à la base, qui permette d’aller vers une généralisation de la grève afin d’arracher le retrait total du DNU et de la loi Omnibus.


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