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Coup d’État au Niger. Vers une nouvelle déroute pour l’impérialisme français dans le pré-carré africain ?

La diplomatie française a ces dernières heures les yeux rivés sur le Niger. La séquestration du président nigérien, Mohamed Bazoum, au pouvoir depuis 2021, par des militaires putschistes pourrait avoir des conséquences majeures pour l’Hexagone et marquer un nouveau déclin de son impérialisme dans le pré-carré africain.

Nathan Deas

29 juillet 2023

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Coup d'État au Niger. Vers une nouvelle déroute pour l'impérialisme français dans le pré-carré africain ?

Crédit photo : Le général Abdourahamane Tchiani, chef des putschistes au Niger

Après plus de vingt-quatre heures de confusion, la situation semble avoir tourné ce jeudi en faveur des putschistes au Niger. L’état-major de l’armée suivi par une partie de l’opposition, qui avait jusqu’alors observé une position de neutralité depuis le début de la séquestration, mercredi matin, du président Mohamed Bazoum par la garde présidentielle, a finalement rallié les insurgés dans l’après-midi. Un coup de force qui a pris de cours et de vitesse Paris et Washington, réduits à l’impuissance.

Paris qui suit de très près la situation ne cache pas son inquiétude. Mercredi, la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a condamné « fermement toute tentative de prise de pouvoir par la force ». Ce vendredi, depuis la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, lui a emboîté le pas appelant à « la libération » du président Bazoum et dénonçant un « coup d’Etat dangereux » pour l’ensemble de la région. Cyril Payen, grand reporter à France 24, résume l’état d’esprit général : « c’est le pire scénario qui pouvait arriver à la France ».

En effet, depuis l’été 2022 et la fin de l’opération Barkhane après dix ans d’occupation au Sahel, la France avait décidé de redéployer le cœur de son arsenal militaire dans la région au Niger avec 1500 militaires français mobilisés à Niamey, la capitale du pays. Au niveau économique, le Niger est en outre le deuxième plus gros fournisseur d’uranium (vital pour alimenter les centrales nucléaires qui produisent deux tiers de l’électricité hexagonale) de la France, derrière le Kazakhstan. En 2020, Niamey représentait aussi un tiers des importations françaises de minerai.

Après le Mali et le Burkina Faso, le Niger devient donc le troisième pays allié des occidentaux et de l’impérialisme français à connaître un coup d’État en trois ans. Les juntes malienne et burkinabé, qui ont chassé l’armée française de leur pays se sont depuis tournées vers la Russie sur le terrain militaire et sécuritaire. Aussi depuis un an, si les intérêts de la France dans ses anciennes colonies restent énormes, et les pays de la région inféodés à l’ancienne Métropole à plusieurs titres (notamment d’un point de vue économique, alors que le Burkina Faso, le Mali comme le Niger sont sous gouvernance monétaire française avec le franc CFA), Niamey faisait plus que jamais office de place forte militaire et stratégique centrale pour l’impérialisme français dans son pré-carré africain historique.

Dernier pivot français de la « lutte contre le djihadisme » au Sahel, il est difficile de dire comment la situation va évoluer précisément au Niger. A la croisée de nombreux enjeux sécuritaires, le pays est entouré par le chaos libyen, le Nigeria avec Boko Haram et ISWAP, le nord du Bénin très fortement touché par le djihadisme mais aussi le Mali et le Burkina Faso, il est même possible que la situation se détériore. Pour autant, contrairement aux analystes bourgeois, nous ne considérons pas que la France constitue une « garantie » pour les populations locales et les travailleurs. Au contraire, la présence militaire française s’est non seulement montrée impuissante face aux groupes armés djihadistes, mais elle a contribué à la militarisation de l’ensemble de la région et donc à renforcer l’instabilité et les ennemis du prolétariat.

Lire aussi : L’opération Barkhane se termine mais l’armée française continuera d’opprimer le Sahel

Sur fond de ressentiment croissant de la population contre l’ingérence française au Sahel, les putschistes nigériens n’ont d’ailleurs pas manqué d’envoyer de premiers signaux de défiance. Dans un communiqué lu à la télévision jeudi, leur porte-parole a déclaré que « malgré les injonctions du CNSP relatives à la fermeture des frontières, il a été constaté que le partenaire français a passé outre pour faire atterrir un avion militaire de type A400M à l’aéroport international de Niamey ». Dans la journée, plusieurs manifestations ont eu lieu à Niamey ou à Dossey, à l’ouest de la capitale. « A bas la France, vive la Russie » ont notamment martelé les manifestants selon le Monde. Dans ce contexte, alors que s’ouvrait ce jeudi le sommet Russie-Afrique à Saint Petersbourg, où sont attendus 49 pays africains et 17 chefs d’Etat selon le Kremlin, pour discuter d’un renforcement de la coopération russo-africaine, le chef du groupe paramilitaire russe Wagner, Evgueni Prigojine, s’est félicité du coup de force en cours sur les réseaux sociaux.

Aussi, quelle que soit l’issue de ce coup d’Etat la situation au Niger vient fragiliser les positions de plus en plus précaires de l’impérialisme français en Afrique. La responsabilité de Paris qui multiplie depuis jeudi les appels à « préserver la démocratie » ne doit cependant pas être oubliée. Outre la mobilisation très variable selon ses intérêts du moment du paravent démocratique (l’Etat français a soutenu militairement, financièrement et politiquement et continue de le faire nombre de régimes autoritaires en Afrique, comme le clan Déby au Tchad), la France qui prétendait sous couvert de lutte « contre le terrorisme » rompre avec sa tradition interventionniste, aura fait prospérer les groupes armés et participé à ethniciser de nombreux conflits dans la région, à grands coups d’exécutions arbitraires, d’humiliations et de sévices dont s’est rendu coupable l’armée française pendant près de 10 ans dans le Sahel.

Pour la population nigérienne, la situation est particulièrement grave. Une partie de celle-ci semble avoir accueilli favorablement le coup d’Etat (le troisième déjà au Niger depuis 2020) sur fond de précarité économique et d’instabilité sécuritaire. Force est de constater en outre l’absence totale de réaction populaire pour défendre les « acquis de régimes démocratiques » corrompus, héritages de la Françafrique et de l’impérialisme français. Pourtant, loin de constituer une réponse aux problèmes soulevés par la population, c’est un nouveau tournant autoritaire qui risque d’être mis en œuvre par l’armée et le groupement des forces spéciales au pouvoir.

Face à cette situation, il est plus que jamais nécessaire d’apporter une solidarité internationaliste aux travailleurs et à la jeunesse du Niger et d’affirmer le refus de toute ingérence étrangère, notamment de l’impérialisme français. Les gouvernements français et occidentaux voudraient nous faire croire que les travailleurs et les classes populaires en France auraient les mêmes objectifs et intérêts que les capitalistes français en Afrique. Or c’est tout le contraire. Plus l’impérialisme français arrive à exploiter les populations africaines, plus il est fort pour exploiter la classe ouvrière en France. A l’inverse, tout revers de l’impérialisme français en Afrique, et ailleurs, renforce la position relative des travailleurs dans leur lutte contre la bourgeoisie, mais aussi l’agressivité de celle-ci sur le sol national. Dans le contexte répressif actuel, la dénonciation des crimes et agissements de l’impérialisme français est donc une double urgence.


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