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Santé

« Il y a 8 postes d’infirmières alors qu’il en faudrait 16 » : l’hôpital Broca lutte pour sa survie

Pendant que l’AP-HP annonce la réouverture de 400 lits, l’hôpital gériatrique de Broca risque de fermer. Les personnels s’organisent pour défendre ce petit hôpital du sud-est parisien.

Pauline H


et Louise Bravo

28 septembre 2023

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« Il y a 8 postes d'infirmières alors qu'il en faudrait 16 » : l'hôpital Broca lutte pour sa survie

Crédits photos : AP-HP

Le directeur de l’AP-HP annonçait ce mercredi la réouverture de 400 lits hospitaliers pour l’automne, mais le personnel de l’hôpital Broca, dans le 13e arrondissement de Paris, craint lui la fermeture de l’entièreté de ses services. L’ annonce de l’AP-HP bien loin de compenser le manque de lits, aggrave même la situation, particulièrement en gériatrie dans laquelle l’AP-HP va « piocher » des lits pour les compenser dans d’autres services. Sur place, les aides-soignantes et infirmières déplorent un effet d’annonce pour cacher la misère de leurs conditions de travail et le délitement du service hospitalier, particulièrement en gériatrie.

La gériatrie au cœur de la casse de l’hôpital public

Face à la dégradation des soins et le sous-effectif, le personnel de l’hôpital Broca a souhaité alerter les familles et proches des patient·e·s. La direction, les menaçant alors de sanctions leur a opposé un « droit de réserve », leur interdisant ainsi tout contact. En réaction, les soignant·e·s de l’hôpital Broca avec les délégués du personnel, appelaient le 15 septembre à une réunion syndicale à l’extérieur de l’hôpital, avec leurs collègues, des proches de patient·e·s mais également des habitant·e·s et des syndicalistes du 13e arrondissement. Ils y ont dénoncé la dégradation de leur condition de travail, le traitement infligé aux usagers du fait du manque de moyen et surtout la menace de la fermeture de leur hôpital. La réunion a vu la création d’un comité de sauvegarde de l’hôpital Broca afin de réunir un large soutien autour d’eux.

A Paris, les sites de soins gériatriques ont fermé les uns après les autres. C’est d’abord le site de la Rochefoucauld (14e arrondissement), spécialisé dans les soins de longue durée, qui a fermé en 2017. En 2022, c’est le site de la Collégiale (5e arrondissement) qui a fermé à son tour. L’hôpital Broca, dans le 13e arrondissement est donc le dernier de l’est parisien, et le personnel est déterminé à le défendre. Une situation qui ne cesse de se dégrader comme l’indique Sarah*, aide-soignante, dont la mutation à l’hôpital Broca est la troisième en 6 ans : « Suite à la fermeture de la Rochefoucauld et de La Collégiale, il n’y a plus de structures publiques pour les patients du 14e et 5e arrondissements, bientôt, ils devront aller plus loin, dans le 15e ou le 16e arrondissement ».

L’hôpital Broca, rattaché à l’hôpital Cochin, a déjà subi la fermeture de lits, avec la liquidation d’un service de Soins Longue Durée (SLD) sur les cinq qu’il comptait. Alors

Un objectif clair : fermer la dernière structure gériatrique publique de Paris

Cette volonté de fermer l’hôpital Broca se traduit également par le refus de la direction d’embaucher le personnel manquant. Les infirmières ne sont pas remplacées. Alors qu’il ne reste plus que deux services dans l’hôpital qui comptent à peine une soixantaine de lits en Soin de Suite et Réadaptation (SRR), le peu de d’infirmières disponibles est réservée à la gériatrie aigue. « Il y a 8 postes d’infirmières pour ces quatre services SLD restants alors qu’il en faudrait 16 » souligne Lise*, infirmière. Le même processus avait déjà été utilisé pour fermer l’hôpital de la Collégiale : lorsque les personnels ont tiré la sonnette d’alarme, dénonçant le sous-effectif, l’AP-HP en avait profité pour fermer le centre et transférer patients et personnels à Broca.

Plutôt que d’embaucher, la direction à recours à des intérimaires en contrat de 12h, et fait enchaîner les heures supplémentaires aux aides-soignantes et infirmières. Celles-ci peuvent s’accumuler jusqu’à atteindre des semaines de 70 heures. De plus, des personnes absentes depuis plusieurs années, par exemple à cause d’arrêts prolongés, de burn-out ou même de démissions, apparaissent dans les plannings, et sont toujours comptabilisées dans l’effectif. Et pourtant, le service compte 1 infirmière pour 35 patient·e·s en journée et une infirmière de nuit pour 100 patient·e·s. Quant aux aides-soignantes, elles sont en moyenne 4 pour 35 patient·e·s. Ce sous-effectif permanent entraîne inévitablement une prise en charge dégradée des personnes âgées.

Face à la menace de fermeture, le personnel n’est pas dupe de l’annonce de l’AP-HP qui promet l’ouverture de 400 lits au travers d’un plan d’embauche d’infirmières. Cette promesse ne concerne pas la gériatrie, bien au contraire : « l’ouverture de lits, c’est en piochant sur d’autres lits qui ferment ». C’est dans les unités jugées non rentables, comme la gériatrie, que vont être piochés des lits. Pour le personnel de Broca, ce que cache cette annonce n’a rien à voir avec une quelconque inquiétude du gouvernement pour le système de santé : « l’objectif principal c’est les JO » continue une infirmière. En effet, les Jeux Olympiques vont augmenter considérablement la population, ce qui risque de mettre les hôpitaux, déjà fragiles, en tension, et le gouvernement y voit une occasion de repeindre la façade alors que derrière, tout s’écroule.

L’hôpital Broca, le symptôme de la politique hospitalière sous Macron

Depuis plusieurs années le personnel hospitalier a vu un nombre alarmant de départs d’infirmières et d’aides-soignantes : nombreux sont ceux qui ont démissionné, fait un burn-out, ou sont simplement allés dans des structures privées. Comme l’expliquent certains, « quitte à travailler dans la merde, autant être dans la merde près de chez soi ».

Selon Lise*, la profession n’attire plus, et pour cause : ce manque est fortement lié à l’attractivité déclinante du métier, entre bas salaires et conditions de travail dégradées, qui ne permettent pas de bien s’occuper des patient·e·s. De nombreux étudiantes et infirmières récemment diplômées, découvrent le contraste entre ce qu’ils ont appris à l’école et la réalité du terrain. « On n’a pas les moyens d’appliquer correctement ce qu’on a appris » nous explique Sarah*, aide-soignante. De plus, le nombre d’étudiants diplômés ne suffit pas à combler les besoins de l’hôpital. Cette situation s’est encore aggravé avec la mise en place de Parcoursup, qui sélectionne les élèves à l’entrée des études supérieures : « ils pensent même commencer à ouvrir des passerelles entre le métier d’aide-soignant et d’infirmier tellement on est en manque ».

Enfin, la crise du COVID a marqué un coup d’accélérateur décisif dans la casse de l’hôpital. Beaucoup d’abandons de postes ont suivi ces durs mois où le personnel soignant était en première ligne, avec manque de matériel, de protections, de lits, systématiquement combiné à un sous-effectif important, des horaires exténuants et des salaires dérisoires.

Paradoxalement, le personnel de Broca affirme unanimement que, malgré les conditions de travail déplorables, l’hôpital n’avait jamais aussi bien fonctionné que pendant cette période. « On était tous impliqués, c’était le personnel qui organisait le travail, tous les médecins qui étaient en première ligne et étaient plus proches du personnel le disent : c’était mieux géré, plus humain » témoigne Marie*. Une organisation des services par les infirmières et les médecins de l’hôpital eux-mêmes, qui n’a pas duré longtemps, puisque dès la fin du premier confinement, la gestion administrative de l’hôpital et sa politique de rentabilité ont repris de plus belle. « On est tout de suite revenu dans une logique de rentabilité, où il y avait plus un rapport à l’argent et moins de temps pour les patients ».

À ce moment-là, le gouvernement pour tenter de ralentir les départs et calmer la colère qui animait le personnel des hôpitaux, surchargé a lancé un Ségur de la santé, offrant des miettes ne permettant même pas de rattraper l’inflation, aux « héros » de la pandémie. Néanmoins, le personnel du service de gériatrie Broca est déterminé à s’organiser contre la menace de fermeture de leur hôpital. Ils et elles appellent à se rassembler le 24 octobre devant le Ministère de la Santé et à rejoindre le comité de sauvegarde de l’hôpital Broca du XIIIe pour organiser la défense de leur hôpital.


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