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Loi de 1905

Islamophobie : Edouard Philippe veut un droit d’exception pour les musulmans

Dans son dernier livre, Edouard Philippe avance la nécessité « d’un droit et d’une organisation spécifiques aux musulmans ». Une idée inscrite dans la tradition napoléonienne de discrimination et de contrôle à l’égard des Juifs, que la macronie rêve de transposer contre les musulmans.

Joshua Cohn

19 septembre 2023

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Islamophobie : Edouard Philippe veut un droit d'exception pour les musulmans

Crédits photos : Edouard Philippe, interrogé dans Sept à huit le 10 septembre dernier / TF1

Dans une tribune publiée samedi dernier dans L’Obs, une vingtaine d’intellectuels et de militants dénoncent la dernière sortie islamophobe d’Edouard Philippe. Dans un livre récent, Des lieux qui disent, l’ancien Premier ministre et candidat à la succession de Macron explique en effet qu’il faudrait « un droit et une organisation spécifiques aux musulmans » en France, « avec des obligations particulières imposées aux fidèles et aux responsables des communautés musulmanes ».

Interrogé sur France Inter par Léa Salamé, le maire du Havre a cherché à se dérober à une question sur le sujet en déclarant qu’il n’était personnellement « pas favorable » à ce type mesure mais qu’il considérait « qu’un jour, la question de l’organisation spécifique de l’islam sera posée ». En réalité, la mise en avant de cette proposition islamophobe apparaît comme une manœuvre tout à fait consciente, présentée comme une réponse prétendument légitime et inévitable face à un ennemi intérieur.

Si les déclarations et mesures islamophobes sont aujourd’hui pléthoriques de la part du gouvernement comme de la droite, la proposition d’Edouard Philippe est inédite en ce qu’elle propose de revenir sur l’acquis de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat pour ouvrir la voie à une réglementation directe du culte musulman, par exemple en limitant l’ouverture de nouvelles mosquées ou en autorisant l’exercice des imams. La mesure est justifiée par une rhétorique insistant sur le fait que l’islam serait travaillé « par des aspirations totalement obscurantistes », dessinant un islam « radicalement contraire à la façon dont nous envisageons la vie commune » qui « pose des questions que l’architecture juridique issue de la loi de 1905 n’est peut-être pas en mesure de traiter ». En clair, l’Islam poserait non seulement des « problèmes », mais ceux-ci seraient tellement spécifiques qu’il faudrait lui aménager un régime d’exception.

Un régime d’exception inspiré de la politique antisémite de Napoléon ?

La sortie d’Edouard Philippe fait écho à la revendication par Darmanin de la rhétorique et de la politique de Napoléon Ier à l’égard des Juifs. En 2021, dans son livre Le séparatisme islamiste, le ministre de l’Intérieur défendait son programme islamophobe en prenant en exemple la politique de Napoléon à l’égard des Juifs. En effet, considérant que la présence de Juifs dans l’Empire, particulièrement dans l’Est, menaçait l’unité et la concorde nationale, Bonaparte avait mis sur pied une politique d’encadrement, de contrôle et de discrimination systématique des Juifs, dans le but affiché d’une « assimilation forcée ».

La politique napoléonienne à l’égard des Juifs comportait un premier volet de contrôle idéologique et d’encadrement administratif du culte israélite. L’Empire s’octroyait le dernier mot sur ce qu’il était convenable ou non de prêcher, nommait les rabbins et les représentants des communautés, soumettait l’ouverture de nouvelles synagogues à autorisation et fonda une instance nationale afin de contrôler hiérarchiquement l’ensemble des lieux et ministres du culte : le Consistoire central israélite de France.

Le second volet de cette politique se composait de mesures ouvertement discriminatoires visant mettre au pas les Juifs de France. Entre autres mesures, il est notamment possible de citer l’instauration d’une autorisation préfectorale pour exercer une activité commerciale, l’interdiction de s’installer en Alsace, ou encore l’impossibilité de se faire remplacer (contrairement aux autres citoyens) pour la conscription militaire. Un modèle dans lequel semblent se retrouver plusieurs prétendants à la succession de Macron.

Du CFCM à la remise en cause de la loi de 1905

L’idée de créer un « proto-Consistoire » musulman n’est pas nouvelle. En 2003, lorsque le ministre de l’Intérieur d’alors Nicolas Sarkozy fonde le Conseil français du culte musulman (CFCM) rassemblant les principales fédérations d’associations cultuelles musulmanes, l’objectif était de construire un interlocuteur unique à l’État pour les sujets touchant à l’islam et de mener une politique de cooptation de dirigeants musulmans pour accompagner la politique islamophobe qui commence à se renforcer autour de la question du voile à l’école. Cependant, séparation des Églises et de l’État oblige, le CFCM ne pouvait être comme le Consistoire napoléonien un organe administratif contrôlé par l’État français, mais seulement une super-fédération d’association libres de leur organisation et de leurs orientations.

En 2021, des dissensions en série au sein du CFCM, sur fond de politique toujours plus dure contre la religion musulmane, signent la fin de l’institution en tant qu’interlocuteur de référence pour l’État. Au mois de janvier, trois des neuf fédérations du CFCM refusent de signer la « charte des principes pour l’islam de France » voulue par Emmanuel Macron pour encadrer idéologiquement l’exercice du culte et contrôler les imams. Au mois de mars, quatre autres fédérations menacent de faire sécession du Conseil. C’est dans ce contexte qu’en février 2022, Gérald Darmanin réunit le Forum de l’islam de France (FORIF), dont la composition a été validée par le gouvernement, pour tenter d’en faire un nouvel interlocuteur, mieux contrôlé.

Loin d’être contradictoire avec les offensives islamophobes répétées du gouvernement – dont l’interdiction de l’abaya dans les écoles, après la loi séparatisme et la dissolution d’associations comme le CCIF, n’est que le dernier avatar – la construction d’une instance de « dialogue » entre l’État et des représentants choisis du culte musulman est une composante essentielle d’une politique plus globale de répression des populations musulmanes de France, présentées comme un ennemi intérieur. Comparée aux tentatives précédentes en ce sens, la proposition de Edouard Philippe va cependant plus loin, puisqu’elle remet en cause ouvertement la loi de 1905 et le principe de libre organisation des cultes.

Après l’attaque en règle contre le droit d’association et la loi de 1901 qui la consacre que constituent les dissolutions en série d’associations musulmanes et luttant contre l’islamophobie, Edouard Philippe entend s’attaquer à une autre loi de la période libérale de la Troisième République en remettant en cause la non-intervention de l’Etat dans l’administration des cultes au service d’une offensive islamophobe.

S’inspirant des politiques antisémites napoléoniennes, l’État tente de compléter ses politiques discriminatoires envers les musulmans par une intervention dans l’organisation de leur culte. C’est dans la continuité de cette politique que doivent se comprendre les déclarations d’Edouard Philippe, qui poussent dans le sens d’un amendement de la loi de 1905 afin d’adopter des mesures d’exception contre les musulmans. Une perspective à combattre, aux côtés de l’ensemble des mesures racistes qui visent spécifiquement les musulmans, à l’image de la récente interdiction des abayas.


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