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Guerre en Palestine

Israël. La guerre et la perspective d’une crise économique

Si Israël et ses alliés craignent une escalade régionale, la perspective d’une grave crise économique comme résultat des dépenses militaires et des perturbations sur la vie économique est un autre front très redouté.

Philippe Alcoy

20 décembre 2023

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Israël. La guerre et la perspective d'une crise économique

Après l’attaque du 7 octobre, le gouvernement israélien s’est lancé dans une opération militaire brutale et génocidaire contre la population palestinienne de Gaza, dont les objectifs militaires et politiques semblent inatteignables. Des tonnes de bombes, de la logistique, des armes et des engins de combat, des avions de chasse et surtout près de 500 000 soldats mobilisés, entre militaires de profession et citoyens conscrits. Tout cela a un coût en termes politiques, sociaux mais aussi économiques. C’est justement le coût économique qui commence à inquiéter le patronat israélien, les investisseurs étrangers, les alliés d’Israël et le gouvernement d’extrême-droite de Benjamin Netanyahu.

En effet, il y a quelques semaines la Banque Centrale d’Israël (BCI) a estimé que la guerre coûtait environ 260 millions de dollars par jour à l’Etat. En même temps, le coût des salariés mobilisés par l’armée, des déplacés du sud et du nord du pays à cause des combats et de ceux affectés par la fermeture des écoles, et qui doivent s’occuper de leurs enfants, est de 600 millions de dollars par semaine (soit 6% du PIB). Dans son calcul la BCI ne prend pas en compte les pertes liées au départ des travailleurs étrangers et à la suppression des permis de travail pour quelque 160 000 ouvriers palestiniens.

Dans un article du 6 novembre dernier, le Financial Times cite le ministère du travail israélien qui estime que « 764 000 Israéliens, soit 18 % de la population active, ne travaillent pas après avoir été appelés en réserve, évacués de leur ville ou contraints de s’occuper de leurs enfants à la maison en raison de la fermeture des écoles ». Cela implique évidemment une perte en termes de productivité, que les subventions octroyées par l’Etat ne couvrent pas complètement, et un manque en termes de main d’œuvre. Mais les pertes se font sentir également dans l’activité économique elle-même. Dans le même article du Financial Times on affirme que « les preuves de l’impact destructeur de la guerre sur l’activité économique s’accumulent déjà. Une enquête menée par le Bureau central des statistiques auprès d’entreprises israéliennes a révélé qu’une sur trois avait fermé ou fonctionnait à 20 % ou moins de sa capacité depuis le début de la guerre, tandis que plus de la moitié d’entre elles avaient enregistré des pertes de revenus de 50 % ou plus ».

Il y a des secteurs qui ont été très rapidement et durement touchés comme l’agriculture où la main d’œuvre palestinienne et étrangère (thaïe ou philippine) est fondamentale : autour de 15 000 travailleurs ruraux palestiniens et étrangers manquent dans le secteur. Le tourisme est un autre secteur qui a été très affecté : les réservations sont en chute libre, beaucoup de compagnies aériennes ont suspendu leurs vols vers Tel Aviv. Mais même si cet impact est important, ces secteurs ne sont pas déterminants pour l’économie israélienne (le tourisme ne représente que 3% du PIB).

L’inquiétude est vraiment grande dans le secteur de la technologie, pointe de l’industrie israélienne. Ce secteur représente 50% des exportations d’Israël et il a été durement touché par la mobilisation générale étant donné que les salariés sont en général des jeunes (moins de 40 ans) en âge de combattre. Dan Ben-David, professeur à la Shoresh Institution for Socioeconomic Research de l’Université de Tel Aviv explique la situation et l’inquiétude de la façon suivante : « la plupart de ces travailleurs sont relativement jeunes et servent actuellement dans l’armée à Gaza ou à la frontière libanaise. Le problème ne réside pas dans les pourcentages, car on pourrait penser que le produit intérieur brut (PIB) diminue de 20 % si 20 % de la main-d’œuvre est enrôlée dans l’armée, a-t-il expliqué. Il s’agit plutôt de savoir qui sont exactement ces recrues : elles sont jeunes, bien éduquées et très productives ». Cela pose un danger qui va au-delà de la guerre car si un grand nombre de ces recrues est blessé ou tué au cours du conflit cela aura un impact important sur le secteur en termes de main d’œuvre ; plus la guerre durera plus l’impact économique sera non seulement fort mais plus l’exposition de ces salariés à ces dangers sera grande.

D’autres conséquences de la guerre sur l’économie se font sentir sur la dévaluation de la monnaie nationale et sur la question de la dette. Le shekel israélien s’est déprécié vertigineusement depuis le 7 octobre, une chute de 5% en quelques jours, atteignant son niveau le plus bas depuis 14 ans face au dollar américain. La banque centrale a dû intervenir sur le marché pour arrêter la chute de la monnaie nationale. Concernant la dette, même si Israël reste un pays qui conserve un ratio PIB/dette relativement modéré, celui-ci pourrait passer de 60% à 65%. En outre, les agences internationales de notation ont mis en alerte sur la note de la dette israélienne, ce qui affecte la confiance des investisseurs. Ainsi, « les rendements des obligations à cinq ans d’Israël ont plus que doublé depuis le début de la guerre, passant d’environ 57 écarts de crédit à près de 123, ce qui révèle que les investisseurs accordent une prime de risque importante aux actifs israéliens », peut-on lire sur Al-Monitor.

Certains analystes se montrent confiants quant au fait que l’économie israélienne saura se récupérer après la guerre comme elle l’a fait par le passé, notamment après la dernière invasion de Gaza en 2014. Or, d’autres, tout en affirmant que le pays peut dépasser les difficultés économiques, estiment que cela dépend plus du leadership politique et de la nature de la guerre que des fondements économiques en soi. Ainsi, Omer Moav, professeur d’économie à l’université de Warwick et ancien chef du conseil consultatif du ministre israélien des finances, a déclaré à Al-Monitor : « l’économie israélienne a des fondamentaux solides, ce qui implique qu’elle serait capable de se redresser et de rembourser la dette au fil des ans, à condition que le gouvernement israélien, principalement le premier ministre et le ministre des finances, dirige le gouvernement de manière responsable. Malheureusement, cela ne semble pas être le cas ».

En effet, cette guerre n’est pas comme les autres et ses conséquences sur l’économie et sur la vie politique israélienne pourraient être lourdes. Plus la guerre sera longue, plus le fardeau économique retombera sur Israël. Mais à cela il faut ajouter un autre danger : l’escalade régionale. Nous assistons à un début d’escalade avec des armées impérialistes en train de se préparer pour intervenir au Yémen éventuellement. Il existe également toujours des risques que le Hezbollah finisse par se mêler totalement dans la guerre en ouvrant un nouveau front. Une telle configuration obligerait Israël à investir davantage de ressources sur l’aire militaire. Dans ce cas là le gouvernement n’aurait pas d’autres alternatives que de mettre en place des coupures budgétaires, ouvrant de possibles brèches politiques et sociales au sein de la société israélienne.

Il existe déjà un nombre important de politiciens et d’analystes qui reprochent assez durement la politique du gouvernement actuel de favoriser les secteurs des juifs orthodoxes, les sionistes radicaux d’extrême-droite ; un secteur politique et social fondamental pour le maintien au pouvoir de Netanyahu, ce qui lui est vital pour échapper aux poursuites judiciaires à son encontre. Dans une colonne d’opinion de Bloomberg assez virulente contre le gouvernement israélien, d’un point de vue bourgeois libéral, Marc Champion considère la chose suivante sur la situation économique et la question des colons juifs : « La banque centrale d’Israël a clairement indiqué qu’elle pensait que les réductions de dépenses devaient être plus importantes et a précisé d’où elles devaient provenir : les fonds dits de coalition exigés par l’union des partis politiques d’extrême droite que M. Smotrich [Ministre des Finances] représente au sein du gouvernement. Il s’agit de subventions publiques nouvellement surdimensionnées qui soutiennent et protègent les électeurs colons de Smotrich en Cisjordanie occupée, dont les actions avant l’attaque du Hamas du 7 octobre ont tant contribué à détourner l’attention des agences de sécurité israéliennes de la bande de Gaza. L’argent permet également aux partisans de ses alliés ultra-orthodoxes - déjà exemptés de service militaire - de ne pas avoir à travailler, afin qu’ils puissent étudier la Torah sans entrave ».

Si la situation économique continue de se dégrader et que les pressions augmentent sur le gouvernement et le forcent à adopter des mesures contre ce secteur sioniste ultra-orthodoxe, la crise politique pourrait se mêler au sein du le gouvernement lui-même. A cela il faut ajouter un probable mécontentement social qui s’ajouterait à la contestation de la réforme judiciaire du gouvernement (même si cette contestation est pilotée par des secteurs bourgeois et sionistes libéraux du régime) et la crise grandissante autour de la question des otages.

Il reste à voir si malgré tout Israël réussit à surmonter les difficultés économiques, mais cela dépend de plusieurs facteurs comme la profondeur et le temps que durera la guerre. Ces difficultés économiques pourraient à un moment conditionner la poursuite de la guerre elle-même et menacer l’ensemble de l’économie. Bien sûr que pour le moment Israël peut compter sur le soutien de ses alliés impérialistes, notamment les Etats-Unis qui viennent d’adopter une aide militaire et financière de 14 milliards de dollars. Mais cela rend l’Etat hébreu encore plus dépendant de ses alliés occidentaux. Quoiqu’il en soit, la question économique est en train de devenir un front très inquiétant pour Israël et pourrait faire capoter les plans de son gouvernement fragilisant la position d’Israël dans la région.


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