"En matière judiciaire, il vaut mieux avoir un passé qu’un avenir"... De qui se moque-t-on ?

 
Alain Juppé, vieux dinosaure de la politique française, a pourtant bien compris le filon qu’il devait suivre. Pour gagner la primaire et ensuite la présidentielle, il s’agit pour lui de se présenter comme « le moins pire », juste derrière un Sarkozy adepte de la surenchère. Ses dernières déclarations, en réaction aux attaques des sarkozystes concernant ses antécédents judiciaires, sont de cette veine. "En matière judiciaire, il vaut mieux avoir un passé qu’un avenir" a-t-il répondu avec un cynisme sans faille. Et qu’importe si ce « passé », c’est celui d’un homme ayant utilisé des millions au frais des contribuables pour réaliser des travaux dans son appartement privé lorsqu’il était maire de Paris. Qu’importe si c’est celui d’un homme qui a été condamné dans l’affaire des emplois fictifs créés au profit de son parti, le RPR. Qu’importe donc s’il s’agit d’un homme prêt à imposer l’austérité quand il se remplit lui même les poches.

Dans un cas comme dans l’autre, qu’il s’agisse de Juppé ou de Sarkozy, voilà deux hommes passés maîtres des rouages de ce système politique, transgressant les lois qu’ils imposent aux travailleurs et aux jeunes. En matière de justice ils s’accordent d’ailleurs sur une même politique : renforcer les effectifs de police, supprimer des réductions automatiques de peine, « pour un Etat fort », comme le dit Alain Juppé. Mais tout cela, il est fort probable que les électeurs de gauche qui s’apprêtent à voter pour Juppé le savent déjà bien. Tout comme ils savent que le programme de Juppé ne propose que des reculs sociaux (passage au 39h, retraite à 65 ans, approfondissement de la loi travail...) tout comme les six autres candidats de la primaire. Pourquoi alors continuer à chercher le moins pire parmi le pire ?

Une politique du « moins pire »... de pire en pire

 
Le Nouvel Obs, Libération ou encore Médiapart sont partis à la recherche de ces électeurs de gauche prêts à voter à la primaire de droite. Dans chaque article revient la même idée : voter à cette primaire, c’est tout d’abord dégager Sarkozy :« Sarkozy au pouvoir, on sait ce que c’est. C’est le mec du "casse-toi pov’ con", de la Libye… » « Du discours de Dakar, de la circulaire sur les étudiants étrangers », explique des lecteurs de Libération. Et une fois évincé Sarko, peut-être même qu’on pourra se déplacer pour aller voter contre Le Pen au second tour.

En réalité, on le voit bien dans les programmes défendus par les sept candidats à la primaire de droite : peu importe celui qui sera choisi, et donc peu importe au fond si les électeurs de gauche font le déplacement ou non. Ce qui nous attend pour 2017, que ce soit avec la droite « républicaine » ou la droite « socialiste », c’est toujours plus de dégradation de nos conditions de travail, moins de moyens pour le service public, et encore quelques pas en avant dans la logique sécuritaire et raciste. Car si c’est bien Sarkozy qui a prononcé le discours de Dakar, c’est pourtant Hollande qui aura envoyé les CRS contre les migrants refugiés à Paris. Et si Sarkozy peut porter le chapeau pour le « casse toi pov’ con », c’est pourtant le gouvernement de Valls, Hollande et Macron qui nous aura imposé la loi Travail, insulte à l’avenir des jeunes et des travailleurs. Qu’attendre alors d’un Juppé ? Des expulsions plus « diplomatiques » ? La casse de nos conditions de travail, mais « en tout bien tout honneur » ? Une offensive sécuritaire, mais dans un style de papi-gâteau ?

Derrière cette logique du « moins pire », issu du « traumatisme » du 21 avril 2002, il y a une erreur dans la compréhension de ce que porte chacun de ces candidats, du PS jusqu’à l’extrême-droite : qu’importe le nouveau président pour 2017, il devra appliquer les projets des classes dominantes, comme nous l’a montré le mandat de Hollande, pourtant lui aussi censé « dégager Sarkozy ». Rentrer dans leur jeu de la surenchère et du vote utile, à décider du « moins pire », ne fait que conforter l’idée qu’il ne peut y avoir d’autres perspectives que d’accepter de payer la crise des capitalistes, que ce soit sous les coups d’un 49.3 ou de la matraque. Ni voter Chirac en 2002, ni Hollande en 2012, ni Juppé en 2017 n’a construit ce fameux « barrage à l’extrême-droite » que chacun appelle de ces vœux. Au contraire, c’est eux-mêmes qui en ont tracé la voie. A nous de tracer la nôtre, loin des voyous en costards qu’il nous faudrait départager et qu’on voudrait bien voir tous dégager.