La Finlande va aujourd’hui devenir le 31e membre de l’OTAN. Les tractations, qui ont débuté en mai dernier, ont finalement abouti après un vote au parlement turc la semaine dernière, ce qui en fait le processus d’adhésion le plus rapide de l’histoire. L’adhésion d’un pays à l’OTAN est conditionnée à un vote unanime de ses membres, et la Turquie était le seul État-membre à bloquer l’accession de la Finlande à l’OTAN. Les doléances de la Turquie étaient liées au fait que Helsinki hébergerait des membres des partis kurdes du PKK, PYD et YPG ou du mouvement Gülen, désignés comme des organisations terroristes par Ankara.

Le droit d’asile à la botte du militarisme

Le mémorandum tripartite signé entre la Turquie, la Suède et la Finlande en juin dernier exige des deux pays nordiques d’accroître leur lutte contre les organisations terroristes (entendre : toute organisation kurde ou liée au mouvement Gülen), l’expulsion de certains ressortissants ou réfugiés kurdes et l’arrêt de tout embargo de vente d’armes à la Turquie. La Finlande et la Suède se sont bien sûr en grande partie pliées aux injonctions d’Erdogan, malgré les termes assez vagues et des modalités non impératives.

Ce chantage est le fruit d’un rapport de forces que cherche à imposer la Turquie en tant que partenaire privilégié des États-Unis dans la région tout en obtenant des concessions de la part de Washington, que ce soit par la signature d’un contrat pour l’achat d’avions de combat F-16 ou un appui en sous-main dans sa lutte contre le PKK.

Comme à son habitude, Ankara profite de la guerre en Ukraine pour intensifier sa répression envers les Kurdes, et ses demandes à l’égard de la Suède et la Russie sont loin d’être un réel obstacle pour ces pays, puisqu’ils ont agréé aux demandes d’Erdogan sans coup férir  ; tant pis pour les Kurdes. L’OTAN, qui s’est montrée très conciliante envers les demandes d’Ankara, a bien sûr dû mettre un énorme coup de pression à Helsinki et Stockholm pour qu’ils acceptent rapidement ; pour Jens Stoltenberg, la Turquie a « des préoccupations légitimes en matière de sécurité et tous les alliés devraient les prendre en compte parce qu’elles sont importantes pour nous. [...] Lorsque la Finlande, la Suède et la Turquie coopèrent dans la lutte contre le terrorisme, cela aide la Turquie dans sa lutte contre, par exemple, le PKK. »

Une nouvelle étape de l’expansion de l’OTAN en Europe

L’adhésion de la Finlande à l’OTAN marque une grande victoire pour la Turquie qui a su défendre son agenda politique réactionnaire, mais aussi pour l’OTAN et les États-Unis qui parviennent à renforcer leur influence en Europe. La Finlande est un des pays cruciaux – avec l’Ukraine – pour l’expansion orientale de l’OTAN, puisqu’elle dispose d’une frontière de 1300 km avec la Russie, très militarisée et proche de zones d’intérêt stratégique de premier ordre pour la Russie. La proximité de la Finlande avec Saint-Pétersbourg, la deuxième ville du pays, était la raison pour laquelle Lénine avait déplacé la capitale russe à Moscou en 1918.

En plus de cela, la péninsule de Kola, frontalière de la Finlande, est un énorme dépôt d’armement russe, dont une énorme réserve de missiles intercontinentaux, et abrite le port de Mourmansk, qui héberge la Flotte du Nord – la plus grosse du pays. Une Finlande membre de l’OTAN signifie que les missiles lancés de la péninsule en direction de l’Europe seraient détectés beaucoup plus rapidement et donc rendus en partie caduques. De même, la flotte russe va voir sa force de frappe mise à mal dans la Mer Blanche et la Baltique. Avec la probable accession prochaine de la Suède à l’OTAN, la mer Baltique va devenir un « lac otanien », et sa faible profondeur (55 m en moyenne) fait que la Baltique va devenir impraticable pour les sous-marins russes, qui seront rapidement détectés par les radars de l’OTAN. La baie de Finlande sera quant à elle cadenassée par la Finlande et l’Estonie.

L’adhésion de la Finlande constitue de plus un avantage du fait que le corridor de Suwałki, entouré par l’exclave russe de Kaliningrad et l’allié biélorusse, et qui représentait la seule porte d’entrée terrestre en Russie pour les troupes otaniennes venant de l’Europe occidentale, va perdre en importance stratégique pour la Russie : le goulet d’étranglement de 85 km va laisser place à 1300 km de frontière difficile à surveiller par Moscou.

Entre menaces de représailles et escalade militaire et réactionnaire en Europe

Le Kremlin, qui menaçait Helsinki et Stockholm de lourdes représailles en cas d’adhésion à l’OTAN, s’est pour le moment contenté d’annoncer un renforcement de ses capacités militaires dans le Nord-Ouest. La stratégie russe se focalise depuis quelques semaines sur la dissuasion nucléaire, comme en atteste son annonce d’un déploiement d’ogives nucléaires tactiques dans l’est de la Biélorussie. L’an dernier, l’ancien président Dmitry Medvedev avait menacé de recréer le stock d’armes nucléaires à Kaliningrad – un arsenal qui, selon Vilnius, n’a jamais été vidé.

Quoi qu’il en soit, cet événement est également une énorme victoire pour la stratégie étasunienne de remilitarisation de l’Europe ; après le tournant militariste de l’Allemagne et la Pologne, la Finlande, et probablement bientôt la Suède, vont devoir renforcer leurs budgets militaires pour se tenir aux 2 % du PIB exigés par l’OTAN. De pays qui sont en outre loin d’être pacifistes malgré leur pseudo-neutralité : l’entreprise suédoise Saab est un des leaders de l’armement en Europe, tandis que la Finlande est depuis longtemps un des pays les plus militarisés d’Europe : le service militaire est obligatoire pour les hommes, avec une énorme armée de réserve, et le pays est armé jusqu’aux dents sur tous les plans, dans une stratégie de défense totale. Son artillerie est la plus grande d’Europe, après la Russie et l’Ukraine.

L’intégration de la Finlande entre d’ailleurs dans l’agenda de menaces et de compétition réactionnaire entre la Chine et les États-Unis. La Finlande et la Suède jouaient en effet un rôle clé dans le développement du projet des Nouvelles Routes de la Soie dans le nord de l’Europe et l’expansion des frontières de l’OTAN pourraient être un frein au développement de ces projets dans la région.

L’adhésion de la Finlande à l’OTAN est ainsi un pas supplémentaire dans la tentative de consolider un bloc occidental géopolitique et militaire contre le développement de toute puissance dite « révisionniste » de l’ordre international. Il s’agit d’un nouveau revers pour la Russie, et une conséquence indirecte de son invasion de l’Ukraine. Comme l’a justement déclaré le chef de l’OTAN, Jens Stoltenberg, « le président Poutine est entré en guerre contre l’Ukraine dans le but évident d’obtenir moins d’OTAN... Il obtient exactement le contraire, il obtient plus de présence de l’OTAN dans la partie orientale de l’alliance, et il obtient deux nouveaux membres avec la Finlande et la Suède. »

Une véritable démonstration de faiblesse pour la Russie, mais surtout un pas de plus dans l’escalade militariste et réactionnaire qui traverse le vieux continent et à laquelle le mouvement ouvrier doit s’opposer avec force, en commençant par une lutte déterminée contre le réarmement de ses impérialismes respectifs.