Yano Lesage

La justice de classe que nous dénonçons régulièrement correspond à un traitement différencié par la justice, par l’appareil policier et carcéral des individus en fonction de leur appartenance sociale et de leurs collusions avec le monde politique et judiciaire. Dans tout procès, la vie de l’individu est passée au peigne fin. Son parcours scolaire, professionnel et personnel : il intervient largement pour fonder les jugements des magistrats, pour distinguer les victimes « prédestinées » du système judiciaire des délinquants en cols blancs, toujours perçus comme des exceptions, des moments d’égarement dont les ravages sont pourtant beaucoup plus dommageables pour la collectivité. La justice de classe, une justice à deux vitesses existe, y compris même si égalité (théorique) devant la loi, il y a.

Cependant, la Cour de Justice de la République va plus loin en étant l’illustration criante de cette inégalité de droit et de cette justice d’exception qui protège les classes dominantes : censée juger les membres de gouvernement sur des faits liés à l’exercice de leurs fonctions, elle s’apparente à une juridiction spécifique. Les ministres présumés coupables ne sont pas jugés comme les autres citoyens mais passent devant une Cour exceptionnelle composée de trois magistrats de la Cour de Cassation, de six sénateurs et de six députés. Autrement dit une majorité de politiques pour juger des actes de membres ou anciens membres de gouvernement. Pas plus l’indépendance de la justice que l’égalité des citoyens devant la loi n’est respectée par cette Cour. Et c’est bien dans cet esprit, celui de la connivence, de la clémence appliquée pour ses pairs, que cette juridiction a été créée.

La Cour de Justice de la République est créée en 1993 alors que la présidence Mitterrand touche à sa fin et que les scandales politiques s’accumulent. L’Angolagate, la vente d’armes illégale au gouvernement angolais, dans laquelle est impliquée le fils du président ainsi que plusieurs de ses ministres, tout comme l’affaire du sang contaminé dans laquelle baigne Laurent Fabius, alors ministre de la santé, pousse François Mitterrand à mettre en place cette juridiction d’exception, de protection, pour ses proches.

En effet, la CJR couvre et protège, relaxe et dispense plus que condamne. En 1999, jugé dans l’affaire du sang contaminé, Laurent Fabius sera d’ailleurs relaxé contrairement à son secrétaire d’État, Edmond Hervé reconnu coupable, mais, à l’image de Christine Lagarde, dispensé de peine par la dite Cour. Avec de nombreux non-lieu, ce sont seulement cinq affaires qui ont été traitées par la Cour de Justice de la République depuis sa création en 1993. Pas de quoi justifier des frais de fonctionnement qui s’élèvent à plus de 800 000 euros pour l’année 2015, et dont la moitié est consacrée au loyer des bâtiments. Et la CJR fait tout pour ménager ses justiciables. En 2010, Charles Pasqua, ripoux de la République est poursuivi par la Cour dans trois affaires de malversations présumées lors de l’exercice de ses fonctions de ministre de l’Intérieur. Deux relaxes prononcées, là où le tribunal correctionnel – de droit commun – pour la même affaire mais concernant une période où il n’était plus ministre le condamne coupable. Pour la troisième affaire liée aux contrats de la Sofremi, Pasqua écope d’une peine d’un an avec sursis. La peine d’inégibilité n’est pas retenue aux motifs des « services rendus à la France ».

Pour Charles Pasqua comme pour Christine Lagarde pour qui la dispense de peine se fait au nom de sa « réputation internationale », toute excuse est bonne à prendre pour éviter que justice ne se fasse. À ce titre, les médias ont amplement insisté sur ses qualités de dirigeante reconnue au FMI, comme pour mieux faire passer la pilule d’un déni de justice aussi criant. Révélateur de l’appui qu’offre l’institution internationale, instrument de pillage des pays semi-coloniaux et agent de diffusion massif des politiques ultra-libérales, aux corrompus de ce monde, le FMI n’a pas hésité à confirmer le poste de Christine Lagarde à la tête du FMI.

L’égalité de droit, dernier parangon du mythe démocratique dans nos sociétés, se retrouve purement et simplement balayée. Pis, cette inégalité face à la loi s’assume haut et fort. Outrecuidance et arrogance que seule la peur d’une montée d’une colère populaire est à même de faire ravaler.