×

Chasse aux migrants

Limitation du droit d’asile, enfermement aux frontières : le Parlement européen adopte le pacte migratoire

Ce mercredi, le Parlement européen a adopté le pacte Asile et immigration, qui promet de durcir l'offensive anti-immigrée ultra brutale à l'échelle continentale, notamment à travers la rétention systématique aux frontières.

Raji Samuthiram

10 avril

Facebook Twitter
Audio
Limitation du droit d'asile, enfermement aux frontières : le Parlement européen adopte le pacte migratoire

Crédit photo : capture d’écran Parlement européen

Mercredi 10 avril, le Parlement européen, par le concours des trois principaux groupes (droite, social-démocrates, et libéraux), a adopté le pacte Asile et immigration, comprenant une dizaine de disposions visant à mieux coordonner la barbarie aux frontières du continent, de l’enfermement des enfants, à la multiplication des centres de détention aux frontières, en passant par la casse des obligations d’asile en cas de « crise ».

Un nouveau pas qui, dans le contexte des prochaines élections européennes marquées par la montée de l’extrême droite, confirme la volonté des politiques de tous bords de l’échiquier de renforcer la chasse aux migrants partout en Europe. Des militants s’étaient rassemblés devant le Parlement en protestation, avec des pancartes affirmant : « Frontex tue » ou encore « Stop aux déportations ». Au moment du vote, une partie d’entre eux est parvenue à s’introduire dans l’hémicycle pour dénoncer le pacte : « Ce texte tue. Votez contre ! »

Un pacte pour l’Europe forteresse : la dernière expression de la militarisation des frontières

Ce pacte est le fruit de presque 10 ans de débats au sein de l’UE, ouverts suite à l’arrivée de nombreux migrants syriens sur le territoire européen en 2015. La polémique sur la « crise migratoire » est depuis lancée, accompagnée d’une bouffée de discours alarmistes et réactionnaires pour justifier la surenchère raciste et sécuritaire : face aux « flux migratoires », désignés en 2022 comme des « menaces hybrides » par l’OTAN, il faudrait à tout prix renforcer les barbelés de l’Europe forteresse.

Après des années de négociations, en décembre les 27 États membres se sont accordés au sein de la Commission sur le texte du pacte qui, à l’image des nombreuses politiques adoptées récemment au niveau national, acte un saut dans le durcissement des frontières.

Le texte contient neuf règlements et une directive, qui visent à mieux « coordonner » la politique migratoire parmi les pays membres. En réalité, il s’agit d’un accord pour concrétiser un véritable enfer d’enfermement et d’expulsions systématiques pour toute personne demandant l’asile aux frontières ou interceptée en mer. Ce plan comporte plusieurs volets : l’assouplissement des obligations du droit d’asile, l’expansion du fichage et de la surveillance, le refoulements vers des pays tiers… Au cœur du texte, la détention massive et systématique de tous les arrivants, y compris des enfants, dans des centres construits aux frontières. Une politique qui accompagne l’externalisation des frontières et les accords avec des pays tiers pour faciliter les refoulements en cas de refus d’asile, que l’UE multiplie depuis plusieurs mois avec les pays d’origines et de transit des exilés (Tunisie, Mauritanie, Égypte).

Le texte prévoit le « filtrage » des demandeurs d’asile, qui seront détenus pendant au moins cinq jours (voir plus pour certaines nationalités), nécessitant la création de nouveaux centres dédiés pour enfermer jusqu’à 120 000 immigrés le temps de la procédure. En cas de réponse négative, ceux-ci seront renvoyés directement vers leur pays d’origine ou de transit. Les ONG alertent sur la barbarie de cette mesure qui pourrait généraliser les « hotspots », terme désignant les prisons à ciel ouvert comme celles des îles grecques ou sur l’île de Nauru près d’Australie, où les migrants sont parqués dans des conditions effroyables.

Cette pratique concentrationnaire se concrétise déjà, pilotée entre autre par le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni : fin mars, l’Albanie a lancé la construction de camps en application d’un accord passé avec l’Italie fin 2023. La police italienne pourra y envoyer toute personne interceptée à sa frontière. Ces prisons pour étrangers, gardées par la police albanaise et dotées de murs de 7 mètres de haut, ont été saluées par Ursula von der Leyen comme une « initiative importante (…), un exemple de réflexion originale. »

Le deuxième volet du plan est la création de procédures exceptionnelles en cas de « crise » - terme qui désigne simplement l’arrivée de nombreux immigrés en peu de temps, comme ce fut le cas en septembre à Lampedusa. La situation de crise pourrait également être invoqué dans des scénarios dits d’ « instrumentalisation », c’est-à-dire, l’utilisation de migrants comme pions dans un chantage politique comme cela a été le cas entre la Biélorussie et l’UE en 2021. Dans ces situations, les gouvernements pourront effectivement suspendre les obligations du droit d’asile, ce qui leur permettrait notamment d’allonger la durée de détention. Pointant une atteinte grave au droit d’asile, les ONG alertent des nombreuses violations de droit qui pourrait en résulter : refoulement, non-accès effectif au recours et à l’assistance juridique, etc.

Troisièmement, le pacte appelle à la « solidarité » entre États membres, terme cynique désignant une obligation de répartition des réfugiés entre pays, afin d’envoyer plus de migrants vers des pays autres que l’Italie, la Grèce, et l’Espagne, par lesquels les immigrés arrivent majoritairement sur le continent. Les États membres qui refusent d’accueillir ces immigrés devront fournir une contribution financière au profit des pays d’accueil. Enfin, le pacte étend largement l’utilisation de la technologie et de la surveillance, en systématisant la collecte de données et le fichage aux frontières, y compris pour les enfants.

Une surenchère raciste sur fond d’élections européennes

Avec ce vote, l’UE confirme son alignement sur une politique ultra-réactionnaire, promettant une brutalité monstre à l’égard des étrangers, alignée avec les politiques de l’extrême droite menées notamment par Meloni. Le plan a été adopté grâce aux votes des trois principaux groupes parlementaires — Parti populaire européen (PPE, droite), Socialistes et démocrates (S&D) et les Renew Europe (libéraux). Ainsi, le chancelier allemand social-démocrate, Olaf Scholz, s’est félicité d’un « pas historique indispensable », tout comme Ursula von der Leyen qui parle d’un « pas énorme pour l’Europe. »

Un vote sur fond d’élections européennes, menant à des polarisations à quelques heures du vote. En effet, en France, le camp présidentiel mise aujourd’hui sur le pacte migratoire pour mettre en valeur sa politique anti-migrants, alors que les sondages place Renaissance loin derrière le RN, se disant fermement opposé au pacte migratoire. Ainsi, dans le JDD le week-end dernier, la candidate macroniste Valérie Hayer défendait que le pacte pourrait « permettre de contrôler l’immigration irrégulière en Europe avec trois principes : fermeté, efficacité, humanité ».

Au sein des différents groupes, les positions énoncées à quelques heures du scrutin étaient minées de contradictions qui révèlent toute l’hypocrisie des politiques qui, dans leurs contextes nationaux respectifs, jouent la surenchère raciste pour gagner des points électoraux. En France, Raphaël Glucksmann de la liste PS-Place Publique et François-Xavier Bellamy des LR se sont prononcés contre le pacte, se démarquant des positions de leurs groupes parlementaires européens (S&D et le PPE) pour pouvoir taper sur le texte soutenu par Macron. De même en Italie, où le Partie Démocrate (membre de S&D) a dit s’opposer au texte car porté par Meloni. Pourtant, ce pacte mortifère — présenté par certains comme un texte de barrage à l’extrême droite — est bien passé grâce aux votes et à l’appui des principaux groupes parlementaires, à savoir S&D, le PPE, et Renew.

Ainsi, après s’être accordés sur l’escalade militaire, les dirigeants de l’Europe actent maintenant leur coopération pour accélérer la mort et la misère à leurs frontières. Le pacte devrait encore obtenir un feu vert final des États membres, une formalité, avant d’être appliqué en 2026. Aujourd’hui déjà, l’Europe des barbelés continue de progresser grâce aux nombreux accords d’externalisation avec les pays du Sud et les politiques nationales, à l’instar de la loi immigration en France qui permet d’accélérer toujours plus la répression et la précarisation des personnes étrangères. Tous les ans, la militarisation des frontières conduit à la mort de dizaines de milliers de personnes étrangères, qui sont également les premières touchées par les politiques répressives et austéritaires menés par les gouvernements sur les territoires nationaux.

Il faut opposer une lutte d’ampleur à ces attaques visant les plus précaires de notre camp, menées sur fond de militarisme impérialiste. Contre la rhétorique nationaliste et belliciste sur la « sécurité intérieure  » et de la « crise » migratoire, c’est une campagne internationaliste pour la régularisation immédiate de tous les migrants et de l’ouverture des frontières qu’il faut mener.


Facebook Twitter
 Contre la répression des soutiens de la Palestine : tous à porte de Clichy ce mardi !

Contre la répression des soutiens de la Palestine : tous à porte de Clichy ce mardi !

« Sciences Po a le droit d'évacuer » : Glucksmann soutient la répression des étudiant·es pro-Palestine

« Sciences Po a le droit d’évacuer » : Glucksmann soutient la répression des étudiant·es pro-Palestine

Sciences Po occupés : rejoignons leur combat contre le génocide à Gaza

Sciences Po occupés : rejoignons leur combat contre le génocide à Gaza

Tribune. Stop à la criminalisation du soutien à la Palestine !

Tribune. Stop à la criminalisation du soutien à la Palestine !

Projet de loi logement : le gouvernement prépare une offensive contre les plus précaires

Projet de loi logement : le gouvernement prépare une offensive contre les plus précaires

« Préférence européenne », bouclier anti-missile : Macron précise son projet militariste pour l'Europe

« Préférence européenne », bouclier anti-missile : Macron précise son projet militariste pour l’Europe

Toulouse. 33 organisations appellent à se rassembler contre la criminalisation du soutien à la Palestine

Toulouse. 33 organisations appellent à se rassembler contre la criminalisation du soutien à la Palestine

Nouveaux dispositifs policiers et surveillance accrue : l'offensive sécuritaire se déploie à Brest

Nouveaux dispositifs policiers et surveillance accrue : l’offensive sécuritaire se déploie à Brest