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Racisme d'État

Loi immigration à l’Assemblée : une offensive d’une brutalité historique contre les étrangers

Les débats à l’Assemblée nationale devraient se polariser autour du volet « métier en tension », mais s’annoncent favorables pour le gouvernement, alors que se dessine un texte d’une brutalité historique sur fond de surenchère à droite et de durcissement autoritaire et xénophobe du régime.

Raji Samuthiram

30 novembre 2023

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Loi immigration à l'Assemblée : une offensive d'une brutalité historique contre les étrangers

Crédit photo : Sénat

Examinée cette semaine en commission des lois à l’Assemblée nationale, la Loi Immigration est devenue un véritable catalogue du racisme d’État après son passage au Sénat, produit d’une surenchère entre la droite majoritaire, l’extrême droite, et les macronistes. Au-delà des attaques sociales sur l’accès au RSA, aux APL, et à l’hébergement d’urgence par exemple, c’est le volet répressif qui est particulièrement accentué : augmentation du nombre de prisons administratives et des effectifs policiers pour les étrangers, rétablissement du délit de séjour irrégulier, facilitation des expulsions et du retrait de titre de séjour…

Une version durcie d’un texte déjà ultra-xénophobe dont le passage à l’Assemblée nationale ne changera pas la perspective. Si un 49-3 reste en effet toujours possible en cas de nécessité, le gouvernement veut en effet faire la démonstration de sa capacité à trouver un compromis avec des secteurs de la droite. Aussi, au-delà des divisions entre partisans d’une ligne dure et d’un compromis avec l’exécutif se dessine un texte d’une brutalité historique indissociable du durcissement du régime ces dernières années et de sa cristallisation ces dernières semaines dans l’affirmation d’un pôle réactionnaire communiant dans la criminalisation du soutien à la Palestine et dans la volonté de passer cette très violente loi Immigration.

La droite et la majorité toujours divisés autour du texte

Parmi les dizaines d’amendements, c’est surtout le volet sur la régularisation des travailleurs qui devrait polariser les débats dans les prochains jours. Il s’agit aujourd’hui de l’article 4b, venu remplacer l’article 3 sur les « titres de séjour de métiers en tension » en durcissant considérablement les nouvelles possibilités, déjà très limitées, de régularisation prévue dans la loi. Chaque camp pose ses lignes rouges, et utilise cet article comme vitrine pour afficher sa politique migratoire. Mais dans les grandes lignes, la logique du tri raciste reste la même entre les deux versions.

Ce jeudi, les députés de la majorité présidentielle ont d’ailleurs adopté en commission un premier « compromis ». La nouvelle mouture ne prévoit en effet ni procédure de régularisation « discrétionnaire » au bon vouloir du préfet, comme le souhaitait le Sénat, ni régularisation automatique mais instaure la possibilité pour le préfet de s’opposer à la délivrance du titre de séjour « en cas de menace pour l’ordre public, de non-respect des valeurs de la République ou encore de polygamie ». Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a en outre fait un nouvel appel du pied à LR et ouvert la voie à l’instauration de « quotas », par exemple de « 8000, 10 000 ou 5 000 » travailleurs qui pourrait être régularisés par an.

Quelques jours plus tôt, mardi, le porte-parole Olivier Véran assurait que « les conditions d’un accord se dessinent », pointant le compromis ultra-droitier au Sénat comme un exemple de la possibilité d’accords avec Les Républicains. De son côté, Gérald Darmanin veut croire que la majorité de députés votera le texte moyennant la suppression des articles les plus emblématiques de la surenchère du Sénat, comme la suppression de l’AME et quelques modifications, à la marge donc, de l’article 4b.

Pour se rassurer, le gouvernement peut compter sur une partie des députés LR. Le groupe se divise entre partisans d’une ligne dure, visant essentiellement à faire de l’affichage politique et à se faire passer pour une opposition, et partisans d’un compromis, plus enclins à voter le texte. Sur le fond, pas grand-chose ne distingue les différents camps, qui s’opposent autour de lignes tactiques. Ce week-end, dix-sept députés républicains affirmaient, dans une tribune, leur volonté d’être « constructifs » vis-à-vis du projet du gouvernement si celui-ci respectait « l’esprit du projet voté par le Sénat ». Une position opposée à leurs dirigeants nationaux, Eric Ciotti et Olivier Marleix, qui continuent de vouloir faire croire que la loi n’irait pas assez loin, et menacent même ponctuellement de motions de censure. Soucieux de refuser la main tendue au gouvernement, Marleix a fait voter à main levée la « ligne rouge » de son parti mardi : ne rien voter qui entrainerait des « régularisations massives » (une référence fallacieuse à l’ancien article 3) et exiger une loi constitutionnelle permettant d’organiser des référendums sur l’immigration, revendication historique de l’extrême droite.

La malnommée « aile gauche » de la majorité Macron déplore de son côté la défiguration de son texte original et prône le retour à un texte « efficace », en éliminant des mesures annexes ajoutées par la droite dans sa surenchère raciste, et en garantissant le maintien d’un volet sur les régularisations. Sur ce plan, le député macroniste Sacha Houlié a affiché des concessions à la droite tout en rappelant l’esprit xénophobe des mesures soi-disant de gauche qu’il défend depuis le départ : « ce n’est pas un appel d’air, ce n’est pas pour toute la vie. On régularise ceux qui sont là et ceux qui causent des troubles à l’ordre public, ceux qui ne respectent pas les valeurs de la République, le préfet pourra s’opposer. ». Un discours xénophobe qui veut mettre les travailleurs étrangers au service des besoins du patron, bien loin des discours de la droite sur les « régularisations massives ».

La gauche institutionnelle ressoudée face à la droitisation du texte, mais pour faire quoi ?

En tout état de cause, par-delà les postures des uns et des autres, une voie semble se dessiner pour le texte, sur la base d’un accord de fond entre la droite et la majorité : faire la guerre aux immigrés tout en conservant une main d’œuvre qui réponde aux besoins du patronat dans les secteurs en tension. En cas de besoin, le 49-3, désormais largement banalisé, permettrait de toute façon le passage du texte, bien qu’il agirait en révélateur de la faiblesse du gouvernement.

La nature du texte, qui s’annonce totalement cohérente avec le projet de départ de la macronie, efface en revanche toute possibilité d’un passage de la loi en alliance avec des secteurs de la gauche institutionnelle, alors que des parlementaires PCF, PS et EELV avaient signé avec des macronistes une tribune en soutien au « titre de séjour métiers en tension ». Dans ce cadre, après avoir semé l’illusion d’un texte progressiste de façon scandaleuse, le PCF, le PS et EELV semblent désormais vouloir participer à un front d’opposition à la loi avec la France Insoumise.

En crise depuis le 7 octobre autour de la question palestinienne, qui avait conduit le PS à déclarer un « moratoire » sur le travail en commun avec LFI, l’ex-NUPES a annoncé la reprise d’un travail commun. L’objectif principal de cette alliance serait de « faire barrage aux idées les plus rances de l’extrême droite et opposer un contre-récit sur l’accueil des migrants », selon l’écologiste Benjamin Lucas.

Concrètement, les députés veulent s’opposer à la rhétorique sur la « submersion migratoire » et défendre des amendements « signés par des représentants des quatre partis qui formaient autrefois la Nupes. Un pour interdire les tests osseux aux mineurs étrangers isolés, un autre pour interdire l’enfermement des mineurs dans les centres de rétention. Et un troisième enfin pour élargir la régularisation à tous les travailleurs étrangers et plus seulement à ceux dans les « métiers en tension » » résume Libération. Une opposition à la rhétorique réactionnaire du régime qui demeure cependant ambigüe, en cherchant à amender des mesures profondément xénophobes, comme la régularisation sous condition, et en continuant d’entretenir le flou sur le titre de séjour « métiers en tensions », auxquels « certains socialistes, communistes et écologistes sont plutôt favorables, expliquant qu’il vaut mieux cela que rien du tout. »

De même, si la France Insoumise se situe à gauche de ses alliés, en défendant par exemple le principe de la régularisation de tous les sans-papiers, l’organisation ne demande pas le retrait de la loi et ne poursuivra pas de tactique d’obstruction parlementaire comme elle l’avait fait pour la réforme des retraites. Son approche en commission des lois consiste ainsi « à détruire ce que le Sénat a déposé » selon l’insoumis Andy Kerbrat, pour « revenir à un texte discutable ». Une position en décalage avec le caractère entièrement réactionnaire de la loi qui n’est de toute évidence ni amendable ni négociable.

49-3 ou pas, il faut lutter contre la loi immigration dans la rue

Quelle que soit la version finale du texte, celle-ci promet d’être une attaque raciste et xénophobe d’ampleur, qui ne pourra être rendue supportable par quelques articles en plus ou une « bataille culturelle » comme le voudrait la Nupes. La loi immigration doit être combattue fermement, comme toutes les mesures autoritaires qui se multiplient en ce moment : criminalisation de soutien à la Palestine, arrestation de militants, dissolution d’organisations…

C’est ce que revendiquent 14 collectifs de travailleurs sans-papiers, la Marche des Solidarités, et plus de 200 organisations qui appellent à la mobilisation pour le retrait de la loi, expliquant : « cette loi ne se contente pas de vouloir « rendre la vie impossible » pour les immigré·e·s et toutes et tous les étrangères et étrangers, harcelé·e·s par la police, emprisonné·e·s, expulsé·e·s. Elle est justifiée à répétition par l’idée, fondamentalement raciste, que les immigré·e·s, comprenez les Noir·e·s, les Arabes, les Asiatiques, les Musulman·e·s, avec ou sans papiers, né·e·s en France ou à l’étranger, seraient potentiellement des dangers et des profiteurs et profiteuses du système de protection sociale. »

Une première date de mobilisation aura lieu le 18 décembre, pour la journée internationale des migrant-e-s. Une journée qu’il faudra investir massivement, et dans le cadre de laquelle il y aura urgence à poser l’enjeu d’un plan de bataille à la hauteur de l’attaque. Pour le moment, les directions syndicales restent largement passives face à la loi, alors que de nombreux sans-papiers poursuivent des grèves dures, à l’instar des travailleurs d’Emmaüs, ou meurent sur les chantiers, comme les travailleurs du BTP du Grand Paris. Cette absence de réponse d’ampleur laisse la voie libre au gouvernement pour avancer, et à la droite et l’extrême-droite pour imposer leur surenchère raciste jusque dans la rue.

C’est par la mobilisation de masse et une campagne contre la loi qu’il sera possible de faire entendre une voix alternative, et de construire l’opposition au projet, par-delà l’enceinte étroite de l’Assemblée nationale, où règne la xénophobie d’État. Le mouvement ouvrier doit se montrer à la hauteur de l’attaque que constitue la loi immigration, en employant ses méthodes pour arracher le retrait de la loi immigration et de toutes les lois racistes, ainsi que la régularisation de tous sans conditions ! Une mobilisation d’autant plus essentielle qu’à l’heure où l’extrême-droite ne cache plus sa volonté de frapper à nouveau les quartiers populaires et que les menaces se multiplient contre les échéances militantes, il y a urgence à organiser un front large de l’ensemble du mouvement social et ouvrier, pour empêcher les attaques et garantir notre droit à nous mobiliser.


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