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Analyse

Macron et les « classes moyennes » : une offensive anti-ouvrière, anti-précaires et anti-étrangers

Pour tenter de refermer la bataille des retraites, Macron a lancé une offensive idéologique sur les « classes moyennes ». Une manœuvre avec deux objectifs clairs : dissocier des secteurs du monde du travail du mouvement ouvrier et installer un cadre favorable à un nouveau duel avec l’extrême-droite en s’en prenant aux allocataires du RSA et aux étrangers.

Paul Morao

19 mai 2023

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Macron et les « classes moyennes » : une offensive anti-ouvrière, anti-précaires et anti-étrangers

Crédits photo : Paola Breizh (CC BY 2.0)

« Classes moyennes » : ces dernières semaines, le gouvernement, Gabriel Attal et Emmanuel Macron en tête, n’a plus que ce mot à la bouche. Promesses de « baisses d’impôt », lutte contre la « fraude sociale et fiscale », consultation sur les dépenses publiques… la notion est au centre des principales politiques récentes du gouvernement, dont l’accumulation vise à refermer la séquence de la bataille des retraites.

Une offensive idéologique à partir d’une catégorie floue mais très politique. Pour Macron, les « classes moyennes » recouvriraient des secteurs du monde du travail et de la petite bourgeoisie qui gagneraient entre 1500 et 2500€ par mois et ne bénéficieraient pas d’aides sociales. Mais derrière cette définition pseudo-objective, la dite catégorie s’oppose surtout au mouvement ouvrier et aux secteurs les plus précaires du monde du travail.

Les « classes moyennes » : une catégorie très politique contre la classe ouvrière

Dans Les cadres, Luc Boltansky revient sur l’histoire de la catégorie en France, retraçant sa genèse dans les années 1930, où elle répond directement à l’émergence du mouvement ouvrier comme acteur politique central. Il note : « Les mouvements de classes moyennes, le syndicalisme des ingénieurs et des cadres sont à mettre en relation avec la contre-offensive de la droite et, particulièrement, du catholicisme social. Ils ont pour fonction d’arracher la petite bourgeoisie aux partis de gauche et de mobiliser les fractions des classes moyennes les plus opposées au Front Populaire. »

Qu’elles soient associées à la petite-bourgeoisie traditionnelle (artisans, petits commerçants), dont certains secteurs passent du radicalisme à la droite à cette période, ou à des secteurs intermédiaires du salariat (ingénieurs, cadres, certains fonctionnaires), les « classes moyennes » ont été historiquement promues par le pouvoir et par des forces politiques en opposition à la classe ouvrière. En France, les forces qui s’en réclament sont influencées par le catholicisme social et le fascisme, et tentent de faire émerger des organisations concurrentes aux syndicats ouvriers, en représentant un groupe social qui doit, toujours selon Boltansky, « par sa force et par son nombre, [permettre] d’équilibrer, d’endiguer et de vaincre la classe ouvrière » tout en incarnant une « troisième voie » entre capitalisme et socialisme.

Après la deuxième guerre mondiale, la notion est utilisée de façon plus large pour englober y compris des secteurs du prolétariat, parmi lesquels des employés mais aussi des ouvriers. Cette opération est indissociable de l’utopie bourgeoise d’une abondance qui finira par faire disparaître l’antagonisme de classe. Elle est solidaire de la tentative de faire de l’accès à la consommation, à un patrimoine et à des emplois moins manuels les leviers d’une rupture de secteurs du prolétariat avec leur classe et de leur intégration. La « classe moyenne » est ainsi associée historiquement à une lutte ouverte contre le prolétariat, ou à une tentative d’en « déprolétariser » des secteurs.

Les deux registres se mêlent dans la campagne récente de la macronie. D’un côté, il s’agit d’opposer les classes moyennes « qui travaillent » aux travailleurs en grève et en lutte contre le gouvernement. Gabriel Attal était explicite en avril lorsqu’il s’attaquait aux casserolades organisées par les intersyndicales locales : « ceux qui peuvent se permettre, en plein après-midi, d’aller accueillir des ministres (…). De 14 heures à 18 heures, a priori, ce n’est quand même pas les Français qui travaillent, qui ont des difficultés au quotidien pour boucler leur fin de mois. » De l’autre de vendre à des secteurs du monde du travail, massivement mobilisés ou solidaires du mouvement interprofessionnel débuté le 19 janvier, une voie de collaboration avec le gouvernement et le patronat, par les « baisses d’impôts » qui déboucherait vers une offensive contre les cotisations sociales, les mesures favorables aux automobilistes, et autres miettes ayant en commun de se situer a priori en dehors du rapport salarial.

Les « classes moyennes » contre les « assistés » et les étrangers

Mais la référence aux « classes moyennes » n’est pas seulement une catégorie construite contre le mouvement ouvrier et ses organisations. L’épuisement du boom de l’après-guerre à partir des années 1970 et l’offensive néo-libérale qui suit signent la fin du rêve d’une « moyennisation » progressive de la société. La notion de « classe moyenne », composante à part entière de l’idéologie dominante, est loin de perdre immédiatement sa force symbolique mais elle est désormais assimilée toujours plus à la crise des espoirs de mobilité sociale auxquels elle était associée.

Les thèmes de la « crise » des « classes moyennes » et du « déclassement » à la fin des années 1990 marquent cet état de fait. Comme ils vont de pair avec la montée du chômage de masse et de la grande pauvreté, la droite et l’extrême-droite vont tenter d’alimenter l’idée que ces phénomènes seraient le fait de « l’assistanat », incarné par le RMI, et de l’immigration. Cette offensive idéologique réactionnaire, qui tente de masquer les conséquences du tournant néo-libéral du capitalisme, bat son plein au début des années 2000. Adossée à un affaiblissement du mouvement ouvrier traditionnel et à la trahison opérée par les organisations politiques de gauche au pouvoir, elle explique en grande partie le développement d’une « tripartition » de la conscience de nombreux travailleurs, décrite par les sociologues.

Pour Olivier Schwartz, des secteurs « intermédiaires » du monde du travail ont en effet de façon croissante « le sentiment d’être non pas seulement soumis à une pression venant du haut, mais aussi à une pression venant du bas (…). C’est l’idée qu’il y a trop de chômeurs qui non seulement n’ont pas d’emploi mais qui n’en cherchent pas, qui vivent du RMI ou des aides sociales. » Des préjugés réactionnaires, produit des multiples trahisons de la gauche institutionnelle, que Macron entend bien attiser. Pour cela, s’adresser aux « classes moyennes » qui « travaillent », c’est opposer ces secteurs du monde du travail aux chômeurs, précaires ou immigrés, qui « profitent du système », comme l’avait fait en son temps Laurent Wauquiez au sein de l’UMP, alliant défense des « classes moyennes » et dénonciation du « cancer de l’assistanat ».

On ne saurait comprendre autrement le plan politique proposé par le gouvernement pour tenter de refermer la séquence des retraites. On retrouve en effet en son cœur la réforme du RSA, la loi immigration et un plan contre la « fraude sociale ». Une approche qui converge totalement avec celle de l’extrême-droite, qu’il s’agit précisément de placer au centre de l’échiquier politique tant elle est l’adversaire idéal d’un pouvoir affaibli qui ne peut compter que sur la faiblesse de la gauche et ce qu’il reste du « barrage républicain » pour espérer se maintenir.

Une mystification pour contrecarrer les tendances « de classe » de la situation

Le choix de s’adresser aux « classes moyennes » constitue donc une opération politique pour tenter de refermer la bataille des retraites, en s’en prenant tacitement au mouvement ouvrier organisé qui a mené la lutte contre la réforme des retraites, et aux secteurs les plus précaires de notre classe. Une offensive idéologique qui s’accompagne d’affichages visant la « fraude fiscale » cherchant à en finir avec l’image de « Président des riches ».

Mais toutes les promesses du monde en faveur d’un « plan Marshall » pour les classes moyennes et autres slogans creux ne sauraient masquer une situation de crise, où l’inflation continue de rogner les salaires et le pouvoir est affaibli. Alors que de larges couches du monde du travail ont pris part à une mobilisation historique, contre la réforme des retraites, mais mettant en cause plus largement l’exploitation capitaliste et le régime de la Vème République, 94% des actifs se sont opposés à la réforme, et c’est sur le terrain du mouvement ouvrier que s’est exprimée la colère.

D’ailleurs, la bataille des retraites a entraîné des secteurs de la classe ouvrière que le niveau de rémunération associé aux franges visées par la macronie – raffineurs, cheminots, fonctionnaires… – mais également des cadres, qui ont pris part à d’importantes grèves pour les salaires dans la dernière période. Alors qu’une nouvelle vague de grève pour les salaires est en train de s’amorcer, la situation est loin de se refermer, et elle tend bien plus naturellement à l’opposition de classe, mettant en cause le gouvernement et le patronat, qu’à l’adhésion à une mystique des « classes moyennes ».

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