Jean-Patrick Clech

Les journalistes et les commentateurs auront beau jeu de nous parler, dans leurs billets, de « passes d’armes » et de « moments de tension » à tel ou tel moment du débat. Tout était absolument lissé à l’avance, y compris sur la question du le revenu universel, la proposition phare de Hamon par rapport à laquelle il se distingue des autres et où Valls a joué la partition du grand argentier responsable, ne voulant pas « promettre à crédit » et faire des « promesses illimitées » pour se « retrouver sans crédit » et augmenter les impôts.

Sur les autres sujets abordés dans les deux blocs du débat (économique et social puis international), il n’y a eu que de petits accrocs, les candidats étant à tu et à toi comme l’a montré la grande embrassade généralisée, sur le plateau, à la fin de l’émission. Et ce ne sont pas les « questions », là aussi courues d’avance, de Léa Salamé, David Pujadas et Fabien Namias, qui ont rajouté du piment aux échanges. Tout juste aura-t-on eu droit à une embrouille entre Pinel et Benhamias, ce dernier s’étant emmêlé les pinceaux en voulant passer pour un vrai féministe, critiquant la France « vieux pays de machos », ou entre Peillon et Valls, le premier affirmant qu’il n’est pas possible de « faire la guerre tout le temps et à tout le monde », mais étant d’accord qu’il faut la faire un peu : contre Daech, contre les délinquants, pour la sécurité, etc.

C’est bien sur ces questions où les candidats ont tous été « à droite de leur gauche ». Sur ce registre-là, c’est Macron, dont il a été longuement question et qui les mets aux cent coups, qui gagne. Peu importe : tout ce beau monde a fait dans le modérantisme et le responsable, alors même que cela ne leur permet pas de se distinguer de leur grand rival dans la course à la présidentielle, l’ancien titulaire du portefeuille de Bercy.

La palme de l’émission revient sans doute à Benhamias, le « gauchiste » de service, faire-valoir de la pseudo-pluralité de cette primaire : de façon assez symptomatique, lorsque le débat a versé sur les questions de « sécurité » et, par conséquent, sur les prisons, Benhamias a rappelé combien tous les ans la France était épinglée par les instances européennes pour les conditions catastrophiques des lieux de privation de la liberté dans l’Hexagone mais pour, au final, écraser une larme pour les matons dont les conditions de travail sont, selon le candidat de Force démocrate, extrêmement difficiles… A elle seule, cette sortie de Benhamias donne une idée de la teneur des positions développées par les autres candidats. Pour bien faire comprendre, par ailleurs, qu’il ne lâchaient rien à leur droite, c’est Valls qui a clôturé le débat par un appel au vote appelant les électeurs à se rendre aux urnes dimanche pour dire qu’ils étaient « de gauche, républicains et Français ». Commencer « à gauche » pour finir avec « la patrie », voilà également un autre trait commun que partagent tous les candidats : entre eux, mais pas seulement.

Un autre marqueur assez révélateur de tout le débat a été François de Rugy, bon dernier dans les intentions de vote et qui aurait, par conséquent, tout intérêt à jouer le personnage de « l’écolo de gauche » pour se démarquer des autres. Aucunement. Le candidat « écologiste » n’a pas seulement insisté lourdement sur le fait qu’il devait y avoir une « réponse pénale à tous les délits », rappelant que « la gauche » défendait l’Etat (pénal) et se devait de rendre hommage à ceux qui assurent la sécurité, à savoir la police, la gendarmerie et… l’armée. Comme pendant les « événements » d’Algérie, les héritiers de Mitterrand confirment, sans sourciller, que l’armée peut assurer des fonctions de police. Autre élément symptomatique, de Rugy, à deux reprises, a été tout simplement complètement zappé par Léa Salamé pendant les questions aux candidats, comme s’il était inexistant ou n’existait déjà plus. Un acte manqué freudien ou un signe avant-coureur de ce que pourrait connaître le PS lors de ces présidentielles ? L’audimat du troisième débat, en chute par rapport au second qui n’avait rassemblé, déjà, que la moitié des téléspectateurs ayant suivi le premier, serait là pour le confirmer.

Si, en effet, le premier tour des présidentielles devait avoir lieu dimanche, en lieu et place de la primaire de la Belle Alliance Populaire, aucun des trois favoris ne dépasserait la barre des 10%. C’est dire le degré de rupture existant, indépendamment des candidats, entre « le peuple de gauche » et un PS en bout de course. Voilà ce qui explique, aussi, l’appui et le soutien que Macron reçoit de tous les bords de l’échiquier politique, de secteurs du patronat et de la presse, tous étant à la recherche d’une alternative de remplacement au PS pour maintenir un semblant de bipolarité gauche-droite sur laquelle s’est appuyée, cinq décennies durant, la V° République.

En ce sens, c’est autant d’un parti moribond que d’une crise organique latente dont ont parlé, de par leur (contre)performance, les candidats à la primaire de la gauche, jeudi soir, à la télévision.