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Edito du Poing Levé

Aix, Nanterre, Sciences Po... : les facs font la guerre aux étudiants solidaires de la Palestine

Une semaine après l’offensive contre les étudiants de Sciences Po et cinq mois après le début du génocide, la criminalisation du soutien à la Palestine se poursuit dans l’enseignement supérieur, répondant à un agenda précis du gouvernement contre la génération « woke ».

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Aix, Nanterre, Sciences Po... : les facs font la guerre aux étudiants solidaires de la Palestine

C’est wokiste de dénoncer le génocide à Gaza nous apprenaient en chœur Gérard Larcher, l’essayiste d’extrême-droite Eugénie Bastié, la « politologue » Chloé Morin ainsi qu’Emmanuel Macron, réagissant à la mobilisation étudiante pro-palestinienne à Sciences Po le 12 mars dernier. Une façon d’admettre que peu importe si la polémique – montée en épingle par le gouvernement lui-même – ait finalement fait « pschitt » suite aux nombreux témoignages démentant les procès en antisémitisme intentés par l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF) : le débat est ailleurs.

Ce mardi, Gabriel Attal précisait en effet la nature de l’offensive dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale : « Je n’accepterai jamais qu’une fac ou une école devienne la voie d’eau en France d’une idéologie nord-américaine qui sous couvert d’une certaine modernité, prône l’intolérance, le refus du débat ». Une façon de réitérer avec un vocable anti-woke les directives données aux présidences d’universités par la ministre de l’enseignement supérieur Sylvie Retailleau, qui demandait en octobre « d’apporter à tout manquement les sanctions disciplinaires et suites judiciaires appropriées ». Ainsi, 35 000 morts plus tard à Gaza, et alors que de plus en plus de voix s’élèvent pour exiger la fin des massacres, la censure continue de faire rage dans les universités.

Une interdiction quasi-systématique des évènements sur Gaza

Si les manifestations auparavant interdites et passibles d’une amende de 135 euros peuvent désormais se dérouler plus ou moins correctement chaque semaine partout en France, cela n’est toujours pas le cas des conférences et réunions étudiantes sur les campus. Dès l’automne, les présidences avaient usé du plan Vigipirate pour entraver le droit de réunion des étudiants sur la question palestinienne. Ces dernières semaines, de très nombreuses initiatives ont encore été empêchées dans les universités, faisant des lieux d’enseignement supérieur la pointe avancée de la censure et du délit d’opinion sur le sujet.

À Aix Marseille, un évènement avec le militant juif antisioniste Pierre Stambul – au passage enseignant dans l’université – a été interdit ce 19 mars par la direction sur conseils de la préfecture, selon un communiqué de la section locale des Jeunesses Communistes. Pour eux, , « les motifs administratifs invoqués cachent mal la volonté d’empêcher toute dénonciation du génocide en Palestine », alors que la présidence justifie son choix par la présence probable « d’extérieurs » à l’université et les « pressions » exercées sur l’administration par les organisateurs.

Même chose à l’Université de Montpellier où une conférence organisée le 25 mars prochain à l’occasion de l’Israël Apartheid Week a également été interdite. Dans un communiqué, le président de la fac justifie sa décision « en raison des propos qui pourraient y être tenus et provoquer des troubles à l’ordre public », faisant ainsi un amalgame direct entre le contenu anti-colonial de la réunion et l’antisémitisme. Une rhétorique classique des présidences d’université et du gouvernement pour criminaliser le soutien à la Palestine, alors que l’intervenant n’est autre que le porte-parole de l’Union Juive pour la Paix (UJFP), une organisation juive antisioniste combattant précisément l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme par les soutiens du régime colonial israélien.

« Il est devenu impossible pour les étudiants de dénoncer le génocide » abonde la section nanterroise du Poing Levé dans un courriel envoyé sur les listes étudiantes, alors que « la présidence a été assaillie par plusieurs centaine de messages, envoyés par des soutiens inconditionnels du régime israélien, pour imposer l’interdiction de la journée de sensibilisation sur le Génocide en cours à Gaza ». Sur ce campus de la banlieu parisienne, c’est la deuxième conférence sur ce thème qui risque d’être annulée grâce aux pressions d’une poignée d’enseignants pro-Israël qualifiant l’initiative prévue ce 21 mars d’antisémite en ce qu’elle donnerait la parole entre autres au chercheur palestinien Taher Labadi et à Frank Romano, avocat ayant déposé plainte contre Israël devant la Cour Pénale Internationale.

Et lorsque les directions d’université autorisent ces évènements, c’est la préfecture qui prend le relai pour exiger l’interdiction, comme il y a un mois s’agissant d’une réunion prévue à l’université Lyon 2 et portant sur le droit international, intitulée « Gaza, crimes de guerres, crimes contre l’humanité, génocide ? Israël au tribunal ». Une politique déjà observée à l’Université Paris Cité où la DGSI et la préfecture de police avaient été consultées pour l’autorisation d’une réunion du Poing Levé portant sur la Loi Darmanin et le génocide du peuple palestinien.

La chasse aux sorcières comme méthode privilégiée pour éviter l’émergence d’une jeunesse anti-impérialiste

Dans ce contexte ultra-répressif, et alors que les massacres perpétrés depuis plus de cinq mois par Israël embarrassent les institutions internationales comme l’ONU, le gouvernement a vu dans les accusations en antisémitisme portées à Sciences Po par l’UEJF l’occasion de justifier sa politique de censure et resserrer les vis. De ce point de vue, la visite inopinée d’Attal au Conseil d’administration de Sciences Po pour nommer un administrateur provisoire et exiger des poursuites disciplinaires à l’encontre des étudiants mobilisés a constitué un saut dans l’ingérence du gouvernement dans l’enseignement supérieur.

Une attitude qui a embarrassé jusqu’aux doyens du sacro-saint Institut d’études politiques de la rue Saint Germain qui ont rappelé dans un message adressé à leurs collègues de l’établissement « que la liberté académique garantit le droit d’enseigner et de mener des recherches en toute indépendance, sous le contrôle et la supervision des pairs mais sans ingérence de quelque autorité extérieure que ce soit, y compris l’État. » Une position partagée plus largement par la communauté universitaire, à l’instar de J-F. Bayard, professeur de la Graduate Institute à Genève, ébahi devant ce qu’il qualifie sur son blog d’une « ingérence outrancière et grotesque du pouvoir politique dans la sphère du savoir », jamais expérimentée en « cinquante ans d’analyse des situations autoritaires de par le monde en tant que chercheur du CNRS puis professeur d’Université ».

Inédite, cette offensive s’inscrit néanmoins dans une entreprise de plus longue date du régime pour criminaliser les voix s’attaquant au rôle de la France dans les massacres à Gaza. En 2010, la ministre Alliot-Marie sous Sarkozy adoptait une circulaire demandant aux parquets d’engager des poursuites contre les personnes appelant ou participant à des actions d’appel au boycott des produits israéliens. En 2019, la France décidait d’inclure la « critique d’Israël » dans sa définition de l’antisémitisme.

Sur ces fondements, le déploiement de drapeaux palestiniens à l’université Rennes 2, des tracts condamnant les « crimes d’Israël » à l’ENS ou une réunion d’information sur « les enjeux de la colonisation par Israël, l’histoire de la résistance palestinienne » à Poitiers sont désormais qualifiés d’antisémite et peuvent entraîner beaucoup plus facilement des poursuites.

Une expérience vécue par les organisations syndicales et étudiantes, particulièrement dans le viseur du ministère. A Bordeaux Montaigne, la candidature du Poing Levé aux élections des conseils centraux de la fac a ainsi failli être invalidée par l’administration en raison de la mention d’une nécessaire « solidarité active avec le peuple palestinien à l’université ». Plus grave encore, à l’EHESS, la section Solidaires Etudiant-es a vu plusieurs de ses membres récemment convoqués par la police pour des communiqués revendiquant le droit des Palestiniens à se défendre, après qu’un signalement Pharos ait eu lieu à l’automne. Ce, alors même que l’ONU reconnait justement aux peuples sous domination le droit « de lutter par tous les moyens nécessaires contre les puissances coloniales qui répriment leur aspiration à la liberté et à l’indépendance ».

En réalité, ce niveau d’offensive et l’allusion permanente aux campus américains dont les idées wokistes auraient contaminé les universités françaises traduit une profonde inquiétude de la part du régime de voir émerger comme outre-Atlantique une nouvelle génération anti-impérialiste. Alors que « Genocide Joe » est plus affaibli que jamais à cause de son soutien inconditionnel à Israël, l’exécutif veut censurer la dénonciation de sa complicité avec l’Etat colonial, alors que la France base une partie de ses richesses sur la vente d’arme aux quatre coins du monde et que son ingérence politique et militaire est remise en question en Afrique.

De ce point de vue, l’existence d’une solidarité active avec le peuple palestinien dans les établissements français, en dépit de la répression utilisée comme arme de dissuasion, en dit long sur la fracture en cours entre la jeunesse et le régime. De surcroît, que celle-ci prospère à Sciences Po, lieu stratégique de formation de « l’élite de la nation », inquiète sur l’ampleur du phénomène des « bifurqueurs », cette frange de jeunes surdiplômés refusant d’être mis au service de la reproduction du système actuel.

Dans ce cadre, le régime voit comme vital le fait de censurer toute remise en question de sa politique, sur la question palestinienne mais de façon plus générale comme l’atteste la surenchère sur le « séparatisme », la « lente dérive », ou l’« islamo-gauchisme » qu’incarneraient les sujets de recherche décolonial ou féministe d’une partie des étudiants et doctorants. Ainsi, alors qu’Attal a promis de faire ingérence dans les manuels et méthodes d’apprentissage du secondaire, le « choc des savoirs » se mène aussi dans le supérieur, dans la continuité du mandat de Frédérique Vidal.

Des attaques autoritaires et répressives qui complètent des réformes d’envergure contre les conditions de vie et d’études de la jeunesse. En effet, pendant que le gouvernement mène une offensive pour mettre au pas les étudiants, il annonce des coupes budgétaires dans les services publics et renforce la sélection dans les facs. De quoi dessiner l’université du future made in Macron, où chacun file droit sous la pression scolaire et sous peine d’être exclu. Face à cela, il est nécessaire de construire le front le plus large de toutes les organisations politiques syndicales pour défendre la liberté de dénoncer un génocide et la complicité criminelle du gouvernement français. Contre l’offensive répressive et l’austérité de Macron et Attal : nous ne nous tairons pas !


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