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Allemagne. Les socialistes et les Verts votent une loi pour faciliter les expulsions

Vendredi dernier, la version allemande de la Loi Immigration a été adoptée au Bundestag. Alors que plus d’un million de personnes étaient dans les rues ce week-end contre la montée de l’extrême-droite, cette loi rappelle la nécessité de lutter contre ceux qui font le lit des idées racistes.

Irène Karalis

24 janvier

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Allemagne. Les socialistes et les Verts votent une loi pour faciliter les expulsions

Crédits photo : OSCE Parliamentary Assembly

« Nous devons massivement expulser ceux qui n’ont pas le droit de rester en Allemagne. Nous devons expulser plus, et plus rapidement » : voilà comment, en octobre, le chancelier allemand social-libéral Olaf Scholz (SPD) résumait la nouvelle Loi Immigration adoptée vendredi dernier au Bundestag. Cette dernière, véritable fac-similé de la Loi Darmanin adoptée par le Parlement français il y a quelques semaines, constitue un nouveau saut dans la politique xénophobe du gouvernement allemand et un durcissement du régime.

La loi prévoit notamment un durcissement de la lutte contre l’immigration dite « clandestine », en augmentant la durée maximale de placement en rétention en vue d’une expulsion de dix à vingt-huit jours, en modifiant les conditions d’expulsion, qui auront désormais lieu sans avertissement, sauf pour les familles ayant enfants de moins de douze ans. Elle consacre également une extension des possibilités de fouille dans les appartements et les centres d’hébergement. En somme, comme l’explique Olaf Scholz, le texte répond à un objectif : « limiter l’immigration régulière » car il y aurait « trop de gens » qui se rendraient en Allemagne.

Dans le même temps, la loi prévoit également de faciliter certaines régularisations afin de répondre à la pénurie de main-d’œuvre que connaît le pays. Un objectif économique qui répond aux besoins du patronat et que résume la ministre de l’intérieur Nancy Faeser (SPD), selon qui cette réforme « est décisive pour la place économique allemande », expliquant que l’Allemagne est « au cœur d’une compétition mondiale pour attirer les meilleurs cerveaux. Nous avons un besoin urgent de main-d’œuvre qualifiée dans de nombreux secteurs de notre économie. » Ainsi, la coalition gouvernementale (socialistes, écologistes, libéraux) prévoit également d’élargir les possibilités juridiques pour accueillir les travailleurs en provenance d’Asie, disposition que le ministre allemand du Travail Hubertus Heil (SPD) explique dans le journal Der Spiegel : « J’aimerais que nous puissions attirer des têtes pensantes et des mains secourables, y compris du Vietnam et de la Thaïlande. »

Ce dernier doit d’ailleurs se rendre avec le président allemand en Thaïlande et au Vietnam cette semaine pour signer un accord sur l’accueil de main-d’œuvre en Allemagne. Finalement, la Loi Immigration adoptée en Allemagne répond à un double objectif : trier les immigrés entre les « bons » et les « mauvais », entre ceux qui pourraient être utiles au patronat et ceux qui doivent être expulsés du territoire.

Une politique qui fait le lit de l’extrême-droite

Ce texte de loi n’est pas le premier à s’attaquer aux étrangers : le gouvernement Scholz a notamment fait passer une série de mesures pour réduire les flux migratoires et durcir la politique d’asile, renforcer les contrôles aux frontières et faciliter les expulsions. Une politique directement inspirée de la droite et de l’extrême-droite, comme l’a expliqué Olaf Scholz lui-même dans un courrier à Friedrich Merz, dirigeant de la CDU, le parti conservateur de droite d’opposition, lui demandant de lui assurer la participation de son parti à la réforme, en rappelant qu’une grande partie des mesures du projet de loi provenaient de la droite.

Dans ce contexte, la participation d’Olaf Scholz et d’Annalena Baerbock (Verts), ministre des Affaires étrangères, aux manifestations du week-end dernier contre la montée de l’extrême-droite et le fascisme, est particulièrement hypocrite. Il ne s’agit rien de plus que d’une opération opportuniste pour se refaire une santé en profitant de la mobilisation des masses. Mais les manifestants ne sont pas dupes, et comme l’explique Inés Heider, travailleuse sociale en Allemagne et militante de RIO, l’organisation sœur de Révolution Permanente : « La politique de Scholz a été l’objet de critiques sévères dans les cortèges ce week-end. De plus en plus de personnes sont en train de prendre conscience que le gouvernement ne fait rien d’autre que de construire les conditions du développement actuel de l’extrême-droite. »

En effet, ces derniers mois ont été marqués par une montée de l’AfD, le parti d’extrême-droite allemand, qui a récemment remporté plusieurs victoires électorales dans les Länder de Bavière et de Hesse (où il a fini respectivement en troisième et deuxième position), devenant pour la première fois un des premiers partis dans l’Est mais aussi dans l’Ouest de l’Allemagne. Cette montée s’accompagne d’un développement des idées réactionnaires, comme en témoigne un sondage réalisé en octobre par la chaîne de télévision ARD et selon lequel 44% des Allemands considèrent l’immigration et les réfugiés comme le problème politique le plus important.

Le renforcement de l’extrême-droite est si fort que cette dernière s’imagine déjà au pouvoir. Le 10 janvier, le média d’investigation Correctiv révélait ainsi le plan de l’AfD, de militants néo-nazis mais aussi de membres de la CDU, d’expulser massivement plusieurs millions d’Allemands du territoire sur la base de leurs origines mais aussi de ceux qui leur viennent en aide, en cas d’arrivée au pouvoir. Ce plan envisageait d’expulser jusqu’à deux millions d’Allemands vers l’Afrique du Nord.

La lutte contre l’extrême-droite se fera en indépendance de l’État et de ses institutions

En réaction à ces révélations, plus d’1,4 million de personnes sont sorties dans les rues allemandes ce week-end. À Berlin, plus de 350 000 personnes ont manifesté devant le Parlement, des mobilisations se sont tenues dans des grandes comme des petites villes, et notamment dans des fiefs historiques de l’AfD. Au total, plus d’une centaine de rassemblements se sont tenus de samedi à dimanche. La mobilisation a été appelée par la plupart des organisations de la « société civile », des ONG, des syndicats, mais aussi des représentants religieux, des organisations de jeunesse et certains membres du gouvernement.

Ces manifestations se déroulent dans un contexte de renforcement de l’extrême-droite à échelle internationale alors qu’en Amérique latine, le nouveau président Javier Milei a d’ores et déjà commencé à attaquer les classes populaires et la jeunesse. En Europe, les décennies de politique austéritaires, antisociales et xénophobes ont permis à l’extrême-droite d’accéder au pouvoir en Hongrie, en Italie, en Suède et désormais aux Pays-Bas, tandis qu’en France et en Allemagne, portées par l’adoption de politiques toujours plus à droite par les gouvernements, elle se renforce de jour en jour. En France, l’AfD compte parmi les principaux alliés du Rassemblement National, et leur groupe Identité et Démocratie, regroupement de toutes les extrême-droites européennes, espère réaliser de très gros scores aux prochaines élections européennes.

Dans ce contexte, la lutte contre l’extrême-droite est plus que d’actualité. La militante révolutionnaire allemande rappelle ainsi : « Aucune illusion [ne peut] être maintenue dans le gouvernement ou dans un front par en haut et que nous devions nous organiser à la base. Une nécessité d’autant plus vitale qu’on ne lutte pas contre l’extrême droite aux côtés de ceux qui lui préparent le terrain, et reprennent à leur compte certains de ses éléments programmatiques. » En Allemagne, comme en France, la seule voie pour lutter contre l’extrême-droite et ses idées réside dans l’organisation et la mobilisation par en bas de la classe ouvrière et de la jeunesse, sur le terrain de la lutte des classes.


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