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Analyse

Argentine. La première défaite de Milei et les nouvelles potentialités par en bas

Fredy Lizarrague de la direction nationale du PTS analyse les enjeux de la défaite subie par le gouvernement de Milei au parlement et cartographie la résistance qui se construit par en bas. Il revient également sur le rôle de l’extrême-gauche et le défi posé par la situation ouverte.

Fredy Lizarrague

13 février

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Argentine. La première défaite de Milei et les nouvelles potentialités par en bas

1. Première grande défaite de la tentative bonapartiste faible

L’échec de la Loi Omnibus est la première grande défaite de ce que nous avons qualifié dès l’arrivée au pouvoir du gouvernement de « tentative bonapartiste faible » (lorsqu’il a lancé de manière consécutive le Caputazo, le Décret de Nécessité et d’Urgence [DNU], le protocole anti-manifestation de Bullrich ainsi que la Loi Omnibus).

Nous expliquions alors que le pouvoir était « bonapartiste » parce qu’il essayait de surmonter par la droite la crise organique prolongée du pays (qui a commencé au moins depuis 2018 et dont l’inflation croissante était le symptôme) en liquidant presque toutes les mesures de régulation du marché par l’État capitaliste avec le « Caputazo », en proposant un DNU qui modifie des centaines de lois et en faisant un usage massif des mécanismes autoritaires du régime, qui lui permettent de sauter par-dessus les procédures parlementaires tout en instaurant un protocole qui remet en cause dans les faits le droit de manifester. Par la suite, le gouvernement a lancé le projet de Loi Omnibus, convoquant des sessions extraordinaires [du parlement] pendant l’été, prétendant obtenir du Congrès qu’il approuve un très large transfert de ses prérogatives [à l’exécutif] (transformant le Congrès en une institution encore plus cosmétique qu’elle ne l’est déjà), de multiples privatisations, des réformes ultra-réactionnaires en matière pénale, une nouvelle offensive contre les retraites (notamment via la fin de leur actualisation indexée sur l’inflation et la liquidation du « fonds de garantie et de durabilité » des retraites) ainsi que d’autres attaques tout aussi réactionnaires.

L’aspect « faible » de cette tentative bonapartiste vient, quant à lui, au fait que le gouvernement dispose d’une représentation parlementaire limitée, en décalage avec ses objectifs ambitieux, alors que son parti ne dispose d’aucun gouverneur. Sur le terrain de la lutte des classes, il y a un rapport de force auquel le gouvernement va devoir faire face, en dépit des avancées des classes dominantes grâce à la division et à la passivité imposées par les directions syndicales, « sociales » et politiques depuis fin 2017. Enfin, au sein même de la bourgeoisie, il y a d’importantes fractures. Si elle est d’accord dans son ensemble pour affirmer « qu’un tournant austéritaire dur ou une thérapie de choc » est nécessaire (dévaluation, extractivisme accru, réforme du travail, coupes budgétaires dans les retraites, les aides sociales, l’emploi public et les dépenses de l’État en général), chaque fraction de la bourgeoisie souhaite que l’ajustement structurel du pays soit « payé par quelqu’un d’autre ».

Le capital financier et ses institutions telles que le FMI sont les principaux soutiens et bénéficiaires des profondes transformations que le gouvernement entend mettre en œuvre pour, en premier lieu, se plier aux exigences des détenteurs de sa dette publique. Le soutien du FMI et du capital impérialiste au « programme » de Milei est notoire. Mais ce même secteur capitaliste et impérialiste souhaite que le gouvernement se consolide politiquement, car il est conscient du coup que le plan porte non seulement à la majorité de la classe ouvrière, mais aussi aux intérêts de certains groupes capitalistes, représentés notamment par les gouverneurs des provinces du pays. Cette contradiction est apparue au cours du traitement de la Loi omnibus, où les patrons exportateurs (de l’agro-alimentaire et de l’industrie) ont réussi à éliminer l’augmentation des impôts à l’exportation. De même, d’autres secteurs patronaux ont réussi à se protéger de l’ouverture des importations (comme le sucre, les agrumes, etc.).

L’une des grandes questions budgétaires qui n’a pas pu être résolue lors des négociations préalables au vote de la loi concerne le financement des provinces. Avec le « Caputazo », une réduction brutale du budget des provinces a été mise en œuvre sans aucune compensation, alors que les gouverneurs exigeaient la co-participation à l’impôt PAIS, que le gouvernement national n’a pas acceptée, ou le rétablissement de l’impôt sur le revenu antérieur à la réforme de Massa. C’est dans ce domaine que le gouvernement a appliqué le plus durement sa politique de la « tronçonneuse », en même temps qu’il imposait des coupes budgétaires brutales au secteur des travaux publics (souvent dans des travaux d’infrastructure, qui profitent aux entreprises possédées par différents secteurs des bourgeoisies régionales). Cette politique a été le catalyseur la « rébellion » des gouverneurs collaborationnistes [qui avaient négocié un accord sur la loi omnibus avec Milei et qui se sont par la suite retournés partiellement ou intégralement contre cet accord], du péroniste de Cordoba Llaryora au radical Pullaro (Santa Fe), en passant par l’ex-péroniste massiste Sáenz (Salta), lors des votes sur les articles et les paragraphes de la LO que le parti au pouvoir a perdus. Ce conflit a conduit au retrait du projet de loi afin d’éviter une défaite majeure. Milei a alors lancé une campagne furieuse de dénonciations publiques contre les gouverneurs, annoncé la suppression des subventions aux transports dans les provinces intérieures et exclu du gouvernement les fonctionnaires liés à Llaryora et Sáenz-Massa (le cordobés Giordano à la tête de l’ANSES [sécurité sociale] et Flavia Royón, secrétaire d’Etat à l’exploitation minière).

L’autre secteur des « collaborationnistes » qui s’est rebellé réunit une partie du bloc parlementaire de l’Union Civique Radicale, influencé par des figures comme Martín Lousteau ou Facundo Manes, qui se sont opposés à la soumission absolue au plan « tronçonneuse » de Milei que défendait l’aile droite du parti, derrière Rodrigo De Loredo. Ce secteur a des liens avec les universités publiques, ses militants jeunes dirigeant plusieurs syndicats étudiants, et les institutions de recherche telles que le CONICET (équivalent du CNRS en France), ainsi qu’avec des secteurs des classes moyennes, dans les provinces du pays mais aussi dans la Province de Buenos Aires et sa capitale, qui ne voient pas d’un bon œil les méthodes et les objectifs du projet de Milei. En outre, les humiliations publiques infligées par Milei [dont plusieurs déclarations insultantes contre les députés de l’UCR] aux radicaux ont joué un rôle.

L’autre aspect de la faiblesse « institutionnelle » de la tentative bonapartiste du gouvernement se manifeste dans les décisions judiciaires contre des aspects clés du DNU 70/23 qui ont conduit au blocage de toute la partie relative au travail par une décision de la Cour de Justice. Il appartient à la Cour suprême de statuer sur ce point et sur d’autres aspects du DNU qui ont été remis en question et bloqués par des mesures de précaution judiciaire. La nature politique des arrêts de la Cour étant bien connue, la défaite de la LO au Congrès joue clairement en défaveur du gouvernement en ce qui concerne le traitement du DNU devant les tribunaux.

Au niveau international, le gouvernement approfondit son alignement sur les États-Unis et Israël, en annonçant lors de son récent voyage le transfert de l’ambassade argentine de Tel Aviv à Jérusalem, alors que l’armée sioniste a massacré près de 28 000 Palestiniens en quatre mois, principalement des femmes et des enfants, et a été condamnée par un arrêt provisoire de la Cour internationale de justice de La Haye.

Le gouvernement applique aussi une politique extrêmement agressive pour abaisser les salaires, les pensions de retraites et les dépenses de l’État qui marque un saut dans la dégradation déjà visible des revenus des ménages qui a commencé depuis 2018. Les salaires du secteur formel mesurés par le RIPTE [indicateur d’une moyenne des revenus imposables des salariés avec un travail stable] ont perdu, rien qu’en décembre et de manière effroyable, 14 % de leur valeur. Il s’agit de la plus forte baisse depuis que l’indice existe. La situation des travailleurs informels est bien pire. Bien que des consultants privés estiment que l’inflation en janvier et février pourrait être légèrement inférieure aux 25,5 % du mois de décembre, il est à craindre qu’à partir du mois de mars, une nouvelle hausse se produise en raison de l’effet des augmentations tarifaires, de la libéralisation des prix de l’enseignement privé, du début de l’année scolaire et, fondamentalement, d’éventuelles nouvelles dévaluations, étant donné que le dollar officiel a perdu de sa compétitivité en termes réels.

Le gouvernement applique cette même machine destructrice aux dettes en pesos de l’Etat lui-même et de la Banque Centrale de la République Argentine, démantélant les Leliqs [lettres de liquidités de la banque centrale qui vise à stabiliser la valeur du peso pour favoriser l’investissement], dont le taux est devenu négatif pour les déposants, en émettant des bons du Trésor et en repoussant le délai de recouvrement de la dette auprès des importateurs au prix de la génération de passifs rémunérés en dollars de la BCRA auprès des BOPREAL [bons pour la reconstruction d’une Argentine libre, destiné aux importateurs afin qu’ils régularisent leur dette en dollars]. Un endettement gigantesque en partie indexé sur le dollar qui rendra toute nouvelle dévaluation plus onéreuse. Le gouvernement parie sur le fait que la récession freinera l’inflation. Or, dans notre pays, nous avons déjà vu que l’inertie inflationniste est très difficile à freiner sans mesures qui s’attaquent à tous les mécanismes d’indexation, et pas seulement à « l’ancrage fiscal » comme le fait Caputo [La politique centrale du ministre de l’Économie Argentin Caputo consiste à chercher un « déficit zéro » pour l’Etat Argentin, en abaissant grandement ses dépenses et en augmentant ses recettes, NdT]. La faiblesse politique du gouvernement après la défaite de la LO peut favoriser la persistance des tendances inflationnistes.

Le gouvernement continue d’appliquer des mesures économiques [qui font payer à l’usager les coûts réels des services publics] comme dans les transports, qu’il utilise maintenant comme une « punition » contre les provinces dont les gouverneurs ont refusé de soutenir au parlement la loi omnibus. Le durcissement tarifaire des transports de la métropole, Buenos Aires, semblent déjà affecter directement une partie de la base sociale du gouvernement.

Sur le terrain politique et superstructurel, des négociations pour former un gouvernement entre La Libertad Avanza [parti de Milei] et le PRO [parti de Macri] ont commencé, avec l’assentiment probable (selon Clarín, qui promeut cette politique) de Macri, Bullrich et Milei. Si cette fusion avait lieu, Juntos por el Cambio [coalition réunissant le PRO et l’UCR] serait définitivement brisé et une nouvelle force politique de droite « dure » émergerait, dédoublant le nombre de députés soutenant le gouvernement et lui permettant de profiter de la force institutionnelle dont dispose le PRO. Tout en donnant une plus grande crédibilité politique au gouvernement auprès des patrons et du capital financier, cette nouvelle [coalition ne modifierait pas les équilibres] puisque les députés du PRO votent déjà les mesures proposées par Milei. Reste à savoir quels gouverneurs de Juntos por el Cambio (parmi lesquels on compte le chef du gouvernement de la capitale de Buenos Aires, Jorge Macri) rejoindront cette nouvelle formation si elle se met en place.

Enfin, la tentative - par la suite démentie par le président lui-même et les députés qui semblaient défendre ce projet - de « changer l’agenda » en proposant une loi abrogeant droit à l’avortement illustre la crise du gouvernement. Il s’agit d’une question qui divise effectivement la société, plusieurs sondages indiquant qu’une majorité s’y opposerait. Le gouvernement garderait ce plan en réserve en lien avec les églises évangéliques, avec lesquelles il a organisé l’assistance sociale, et avec la complicité de l’Eglise catholique. Il est cependant clair qu’il ne considère pas (à juste titre) que le moment est opportun pour mener cette offensive.

Concernant la LO, certain affirment qu’elle pourrait être transformée en plusieurs lois qui devront être approuvées par le Parlement lors des sessions ordinaires qui débuteront le 1er mars. L’hypothèse d’un référendum (qui serait non contraignant, la procédure n’étant pas convoquée par la Chambre des députés tandis le vote demeure non-obligatoire) semble peu probable car elle présente de nombreux risques pour l’exécutif. Quoi qu’il en soit, si le gouvernement de Milei a subi une première défaite politique majeure, il défendra par d’autres moyens son programme d’approfondissement du pillage impérialiste et l’offensive profonde contre les acquis historiques de la classe ouvrière.

2. La résistance par en bas

Si nous faisons un résumé des multiples résistances « par en bas » qui se sont développées depuis l’entrée en fonction du nouveau gouvernement, nous pouvons citer :

  •  Le 20 décembre : mobilisation de la gauche et des mouvements de chômeurs qui défient le protocole de Bullrich. Elle est suivie de casserolades massives à Buenos Aires la nuit (secteur des travailleurs et de la classe moyenne qui s’opposent déjà au gouvernement) qui s’opposent à l’annonce du Décret de Nécessité et d’Urgence 70/23.
  •  21 décembre : mobilisation de plus de 15 000 travailleurs (enseignants, employés de l’Etat, banquiers, médecins), de la jeunesse et des mouvements sociaux à Rosario.
  •  Au cours du mois de décembre, la mobilisation des doctorants et des travailleurs du CONICET, qui s’étend dans tout le pays.
  •  27 décembre : rassemblement convoqué par la CGT contre le DNU qui mobilise des dizaines de milliers de travailleurs organisés dans les syndicats, dépassant le nombre escompté par les dirigeants syndicaux. La bureaucratie syndicale a fait en sorte qu’aucun secteur de la base ou militant des syndicats n’y participe, puisque le rassemblement a lieu pendant les heures de travail.
  •  28 décembre : la CGT appelle à une grève nationale de 12 heures avec mobilisation le 24 janvier.
  •  30 décembre : première assemblée massive d’Unidxs por la Cultura, regroupant l’aile indépendante d’un large mouvement de travailleurs de la culture, qui appelle au premier « cacerolazo por la cultura » (casserolades pour la culture) et appelle à la grève nationale. Différentes assemblées et groupes d’artistes s’auto-organisent dans tout le pays.
  •  10 janvier : « cacerolazo por la cultura » dans 80 villes du pays, illustrant la large extension nationale du mouvement.
  •  Janvier : les assemblées de quartier commencent à se développer, d’abord dans la ville de Buenos Aires et s’étendent aux municipalités des provinces de Buenos Aires, Santa Fe, Córdoba, Mendoza. Des enseignants, des fonctionnaires, des travailleurs indépendants, des voisins, des retraités et des jeunes y participent. Ils rejettent les mesures de Milei et proposent de se mobiliser le 24 janvier. A Buenos Aires (capitale), ils organisent des cacerolazos tous les mercredis. Ils commencent à se coordonner par villes ou régions.
  •  24 janvier : Des centaines de milliers de travailleurs manifestent devant le Congrès et dans toutes les villes du pays dans le cadre de la grève nationale de 12 heures. Les cortèges syndicaux sont importants, mais la manifestation de milliers de travailleurs et de secteurs intermédiaires présents hors de ces cortèges est encore plus impressionnante car les syndicats n’ont pas fait le moindre effort pour mobiliser largement leur base, et encore moins les secteurs non syndiqués. Les secteurs opposés aux directions syndicales organisent leur propre mobilisation dans le commerce, l’alimentation, l’Etat, les chemins de fer, SUTNA [syndicat du pneumatique], CICOP [syndicat des travailleurs de la santé]. Ils prennent part au « cortège indépendant » qui s’organise à partir de la réunion ouverte convoquée par Ademys [syndicat des enseignants du supérieur] avec les mouvements sociaux, une partie des assemblées de quartier et l’extrême-gauche.

    La CGT cherche à éviter de donner de la profondeur à sa propre politique : elle permet par exemple le fonctionnement des transports publics jusqu’à 19h, ce qui empêche l’énorme secteur des travailleurs du secteur informel de manquer le travail, au risque d’être licenciés [car ils n’ont aucune excuse pour ne pas se présenter au travail], et empêché les travailleurs des transports de se mobiliser eux-mêmes massivement lors de la manifestation. C’est un service normal qui est mis en place et non un service qui devrait simplement permettre d’assurer la mobilisation en transportant les travailleurs vers les points de manifestation. La mobilisation se déroule dans le plus grand respect du « Protocole de sécurité » de Bullrich. Aucun plan de bataille n’est annoncé. Les assemblées de quartier manifestent pour la première fois avec les travailleurs dans les rues, leur mobilisation commune devant le Congrès rassemblant environ 5000 personnes.

  •  31 janvier : Première journée de mobilisation contre la LO à l’appel de la coordination des organisations combatives et de la gauche révolutionnaire (qui venait d’appeler à la mobilisation du 20 décembre et à la mise en place de cortèges indépendants les 27 décembre et 24 janvier). Les courants de gauche et les assemblées de quartier se rassemblent devant le Congrès et d’importantes mobilisations ont lieu dans les principales villes du pays. A Buenos Aires, le cortège du PTS, avec des assemblées de quartier, résiste à la répression sur l’avenue Rivadavia, défiant une fois de plus le protocole répressif de Bullrich. La Police Fédérale Argentine et de la Gendarmerie Nationale Argentine utilise de puissants gaz poivrés mais ne parvient pas à évacuer l’avenue lors de ses opérations. Dans la soirée, des casserolades se font entendre dans plusieurs quartiers de la Métropole de Buenos Aires.
  •  1er février : deuxième journée de manifestations au Congrès. Un important cortège d’assemblées de quartier, soutenu par le PTS et d’autres forces d’extrême-gauche, occupe à nouveau l’avenue Rivadavia. Cette fois, l’opération de la PFA, de la PNA et de la GNA est beaucoup plus dure : elles attaquent avec des matraques et des balles en caoutchouc, sur le trottoir et sur la place, dépassant les consignes du Protocole de Bullrich. La mobilisation se retire et reste sur la place où une nouvelle attaque de la brigade motorisée de la Police Fédérale porte à 70 le nombre de personnes blessées par des balles en caoutchouc. Plus de 250 personnes ont bénéficié de l’assistance médicale par le Poste de santé, organisé par des travailleurs de la santé qui viennent en aide aux manifestants sur les deux jours. Plusieurs blessés ont reçu des balles en caoutchouc dans le torse et la tête, alors qu’il est strictement interdit aux forces de sécurité de tirer au-dessus de la taille. L’un d’entre eux, l’avocat de CeProDH Matías Aufieri, a été gravement blessé à l’œil. Les dénonciations et les plaintes pénales contre la répression, qui a également visé la presse, se sont multipliées.
  •  Le « Poste de santé et de soins » mis en place par des travailleurs de la santé, des membres du collectif syndical Marron au sein du syndicat des travailleurs de la santé (CICOP), des indépendants et des étudiants en médecine et en psychologie et des ambulanciers de la Capitale, de La Plata et du Grand Buenos Aires, organise les soins aux blessés et dénonce dans les médias l’usage de gaz lacrymogène et les attaques avec des balles en caoutchouc. Ils organisent ensuite un atelier de masse à l’hôpital Garrahan pour enseigner les premiers soins face à la répression aux activistes des assemblées de quartier et aux militants.
  •  2 février : Le festival Unidxs por la Cultura devant le Congrès se termine par des incidents avec la Police Fédérale, qui réprime une manifestation de retraités et une casserolade.
  •  6 février : Nouvelles manifestations devant le Congrès à l’initiative des assemblées de quartier et de l’extrême-gauche, avec une « casserolade » et une caravane de solidarité d’automobilistes [dont les voitures cherchaient à bloquer l’accès aux forces de répression], ainsi que dans différentes provinces. Des célébrations ont lieu du fait du retrait de la Loi Omnibus et les députés du Front de Gauche - Unité des Travailleurs (FIT-U) sont reçus par les manifestants. Des casserolades continuent dans la nuit.

    En clair, le 24 janvier a été une action massive, bien que très contrôlée, isolée et volontairement limitée par les directions syndicales. Sur cette base, des secteurs plus combatifs et d’avant-garde se sont mobilisés, comme les assemblées de quartier, Unidxs por la Cultura et, dans une moindre mesure, des courants opposés aux directions syndicales dans les organisations du mouvement ouvrier (qui ont profité de l’appel du 24 janvier). Dans l’ensemble, il s’agit de tendances qui appartiennent à la large base sociale « anti-gouvernement », qui rassemble toute une partie des travailleurs, des pauvres et des classes moyennes. C’est pourquoi l’action des secteurs d’avant-garde a trouvé un très large « écho » positif dans le pays. Parmi les 56% d’électeurs qui ont voté pour Milei lors du scrutin, des ruptures marginales peuvent être observées, mais les attaques en cours (comme l’explosion des prix des services) et les propres défaites du gouvernement pourraient accélérer l’érosion de sa base sociale.

    Dans ce contexte, la résistance à la répression policière, bien que marginale, a mis en alerte les analystes du régime. L’un des plus lucides d’entre eux, Jorge Liotti, l’a souligné dans son article, paru dans l’édition du dimanche de La Nación : « Il y a aussi une alerte dans la rue, car jeudi, des scènes dangereuses ont été observées lors de la mobilisation de l’extrême-gauche et du kirchnerisme. Tout d’abord, d’un point de vue opérationnel : à plusieurs moments, il y a eu des frictions prolongées avec la police, ce qui a conduit à des mouvements dans lesquels les agents ont été encerclés par les manifestants (...) Mais il y a aussi un enjeu stratégique : l’application stricte du protocole anti-piquet à un moment donné a semblé mettre en péril l’approbation de la loi. Le ministère de la Sécurité a reçu le message que la présence excessive de troupes dans les rues pouvait être contre-productive, surtout si l’ordre de réagir au premier signe de non-respect du protocole [qui interdit de manifester sur la chaussée, NdT] était maintenu. Cependant, Milei est satisfait de la performance de Patricia Bullrich et de sa mission de maintien de l’ordre dans l’espace public, surtout lorsque les forces de police sont provoquées ou défiées par des manifestants. Pour autant, comme en politique, les frictions constantes ne servent pas les objectifs finaux. S’il y a encore trois jours de troubles la semaine prochaine, il deviendra difficile de poursuivre l’opération. » Le retrait de la LO laisse cette interrogation sans réponse avant les prochaines batailles.

    D’un point de vue plus stratégique, Eduardo Lucita se pose la question de savoir si, dans le mouvement de lutte qui se développe actuellement, le critère de la « multitude » qui dilue la classe ouvrière finira par l’emporter, ou si la classe ouvrière parviendra à se développer « en tant que leader de l’ensemble des exploités, des opprimés et des exclus de la société ». Ce qu’il ne prend pas en considération, ce sont les éléments qui jouent en faveur et en défaveur de chaque perspective, et les forces politiques en présence. D’une part, la grève du 24 janvier, même si elle a été partielle et contrôlée, a montré le potentiel de la classe ouvrière « dans la rue ». C’est pourquoi les slogans comme « grève, grève, grève, grève générale », « cette grève ne suffira pas, il faut une grève générale » ou « unité des travailleurs, et que ceux que ça dérange aillent se faire voir » sont très populaires dans les casserolades, les mobilisations et les assemblées. Il ne semble pas y avoir de fossé entre la classe ouvrière et un mouvement purement « citoyen » autour des assemblées. En fait, contrairement aux assemblées de quartier de 2001/2002, les assemblées actuelles ne réunissent pas de « petits épargnants » de la classe moyenne mais plutôt une majorité de travailleurs salariés (enseignants, employés de l’Etat, travailleurs du commerce, travailleurs de la santé), ce qui explique la prévalence de l’« auto-perception » du mouvement comme un ensemble de « travailleurs et de travailleuses ».

    Par ailleurs, Lucita ne tient pas compte de l’intervention des courants d’extrême-gauche qui se définissent comme révolutionnaires dans les assemblées de quartier et dans les secteurs anti-bureaucratiques du mouvement ouvrier et de la jeunesse étudiante. En particulier, le PTS, qui se distingue par sa présence dans la grande majorité des assemblées, aux côtés des sympathisants et des électeurs du FIT, et qui a fortement contribué depuis le début à leur développement. Le point de départ de notre propre intervention est que nous considérons les assemblées comme un rouage fondamental dans le développement des tendances combatives et anti-bureaucratiques de la classe ouvrière, que ce soit sur un terrain défensif, contre les attaques, ou sur un terrain plus offensif. Nous partons également de l’idée que le vieux MAS s’est trompé en ne mettant pas en avant des exemples de ce type lors des grandes luttes contre les privatisations à la fin des années 1980 et au début des années 1990, sous le ménémisme. Il s’agissait de luttes énormes mais isolées et la gauche de l’époque, qui se revendiquait de la classe ouvrière, n’a pas fait d’effort audacieux pour créer des instances qui auraient permis d’entourer ces luttes d’appuis populaires. Il s’agit maintenant d’encourager les travailleurs qui participent aux assemblées à agir sur leurs lieux de travail tout en poussant les assemblées à s’élargir en intégrant les nouveaux secteurs du salariat, les étudiants, les travailleurs de la culture et les couches populaires les plus durement touchés par la crise, etc.
    Cette stratégie se heurtera aux positions des courants proches du péronisme qui veulent orienter l’organisation des assemblées vers un fonctionnement bureaucratique « multisectoriel », organisé « par en haut » (souvent par les municipalités elles-mêmes, qui les transforment en des sortes de « meetings » sans débat démocratique ni prises de décision) ou vers d’autres formes d’institutionnalisation de la lutte (par exemple, les initiatives pour un « procès politique » de Milei). Mais il s’agit également de s’opposer au conservatisme qui voudrait limiter ces cadres aux quelques milliers de personnes déjà organisées, sans chercher à créer de véritables organisations de masse dotées d’une plus grande capacité de combat et aspirant à influencer les grandes organisations de travailleurs et d’étudiants, enracinées territorialement, et à peser de cette manière dans la vie politique nationale.

    Dans les universités, les écoles supérieures et secondaires, les attaques généralisées du gouvernement, qu’il s’agisse des coupes budgétaires (gel du budget au niveau de 2023 [c’est-à-dire sans augmentation pour rattraper l’inflation]) ou de l’augmentation des coûts de transport, ouvrent la possibilité qu’émerge un grand mouvement de lutte. L’état d’esprit des assemblées de quartier auto-organisées peut générer de nouvelles formes d’organisation qui peuvent redynamiser le mouvement étudiant.

    La conclusion fondamentale est que, face à un gouvernement absolument déterminé à faire impitoyablement payer la crise aux travailleurs, à vendre un maximum de ressources naturelles, à effacer les acquis historiques du monde du travail, il est essentiel de miser sur le développement des tendances d’auto-organisation et de lutte spontanée à la base, pour bouleverser les organisations ouvrières et populaires existantes ou en créer de nouvelles, telles que les assemblées de quartier. Penser que les syndicats et les centres d’étudiants tels qu’ils existent aujourd’hui peuvent suffire à faire face à l’attaque incarnée par le gouvernement Milei est une dangereuse utopie réactionnaire.

    3. Un péronisme qui laisse passer l’ajustement et ne pense qu’à 2027

    Le péronisme a réussi à rester beaucoup plus uni contre le gouvernement de Milei que contre celui de Macri, bien que des fonctionnaires de l’administration précédente aient choisi de travailler avec Milei, le cas de Scioli (candidat présidentiel de Cristina Fernandez de Kirchner (CFK) en 2015) étant le plus scandaleux. Pour l’instant, trois députés de Salta et trois de Tucumán ont rompu avec le bloc péroniste UxP. Contrairement à 2015 où le FPV (kirchnériste) s’était séparé de Massa, les péronistes ont cette fois formé une alliance électorale réunissant tous les secteurs de ce courant (à l’exception du péronisme de Cordoba). Le gouvernement de Milei se garde bien d’attaquer CFK, qui s’enferme dans un silence assourdissant, tandis que Axel Kicillof apparaît comme le principal gouverneur d’opposition et la Province de Buenos Aires qu’il dirige, comme un « bastion démocratique », sans cependant incarner la moindre opposition active.

    Massa a jugé que la grève du 24 janvier était « précipitée » et CFK a fait savoir qu’elle partageait la même position. Selon leur raisonnement, il serait nécessaire de laisser la base sociale de Milei s’user, ce qui ne fait que commencer selon les derniers sondages. Entre-temps, la CGT a été contrainte d’appeler à la grève en raison de l’ampleur de l’attaque (DNU et LO) qui touche aux ressources propres de la bureaucratie (cotisations syndicales, œuvres sociales). Dans certaines villes de la Province de Buenos Aires, comme nous l’avons mentionné, ils ont impulsé des « actions multisectorielles » qui sont de simples meetings déclamatoires, où bureaucrates et fonctionnaires se passent le micro.

    Le péronisme est une opposition qui se cantonne au terrain strictement institutionnel. Son véritable programme consiste à faire faire à Milei le « sale boulot » qu’un éventuel gouvernement Massa aurait pu entreprendre, quoiqu’avec une profondeur, un calendrier et des procédures de négociations différentes. Rappelons que l’ensemble du camp péroniste considérait le niveau d’inflation et d’émissions monétaires comme insoutenable et que Massa l’avait augmenté pour tenter de gagner les élections. Malgré cela, toute l’administration d’Alberto Fernández a appliqué des cures austéritaires et provoqué une augmentation de la précarité et une baisse des revenus (exacerbée dans les derniers mois de 2023). Le gouverneur de Salta, proche de Sergio Massa, s’est opposé au transfert du pouvoir [dans les mains de l’exécutif] parce qu’il souhaite que ce soit la Province qui administre le business du lithium, notamment en faveur de ses « amis » capitalistes.

    Coalition de gestionnaires du capitalisme qui appliquent les plans austéritaires, aucun courant du péronisme ne se propose de construire un « pouvoir populaire » ou quoi que ce soit de ce genre, contrairement aux illusions que sème Juan Grabois [figure du péronisme de gauche, NdT] qui prêche inlassablement en faveur de l’unité du péronisme dans Unidxs por la Patria, qui serait « la base de l’opposition ». Il est clair que « l’opposition dans le cadre du régime », le respect des grands entrepreneurs qui ne veulent que « fixer des limites à l’Etat », aboutit à des catastrophes semblables à celles auxquelles conduisit la politique du gouvernement d’Alberto, Cristina et Massa, suscitant la colère d’une partie de sa base la plus populaire qui a favorisé la croissance de l’extrême droite dans les quartiers les plus pauvres des grandes villes.

    Depuis notre organisation, le PTS, au sein du Frente de Izquierda (FIT-U), nous voterons avec les péronistes qui s’opposent à Milei et à la droite, nous participerons aux mêmes mobilisations dans la rue, comme le 24 janvier, mais nous le ferons toujours en toute indépendance et dans une lutte politique acharnée contre la stratégie d’« attendre 2027 », véritable plan de l’ensemble des ailes du péronisme pour « revenir » à la tête de l’Etat, dans le cas où Milei et/ou Villaruel échoueraient.

    4. Le progrès de la gauche au Congrès et dans la rue constitue un défi fondamental

    À rebours du silence complice et du conservatisme d’une grande partie du péronisme, l’extrême-gauche regroupée au sein de la FIT-U s’est placée au cœur de la résistance et a gagné une énorme reconnaissance parmi les larges secteurs opposés à Milei. Myriam Bregman, Nicolás del Caño, Christian Castillo et Alejandro Vilca, députés du PTS au sein du FIT-U avec Romina del Plá (PO), ont joué un rôle central en combinant dénonciation de tous les aspects réactionnaires de la LO et rejet du projet global du gouvernement, y compris la répression de Bullrich et la politique étrangère de Milei, complice du génocide que perpètre l’Etat d’Israël contre le peuple palestinien.

    L’impact de leurs interventions se mesure à leur diffusion massive sur les réseaux sociaux, marquée par des niveaux d’audience proches de ceux des débats présidentiels lors de la campagne électorale de 2023 (qui ont atteint des pics), avec une augmentation du nombre de visionnage des vidéos sur leurs réseaux (1,9 million sur TikTok et 1,8 million sur Instagram pour Myriam Bregman ; 420 000 et 470 000 pour le Nicolas del Caño respectivement) depuis le 1er février seulement ; et une augmentation du nombre de followers (de 270 000 à 324 000 followers sur IG pour Myriam Bregman depuis la prise de fonction de Milei, dont 11 000 rien que la semaine dernière, et de 118 000 à 150 000 sur TikTok ; de 81 000 à 93 000 followers pour Nicolás del Caño à la même date). Comme on peut le voir dans les études de la société de conseil Dinamarca PR, Myriam Bregman a été la députée la plus visible sur les réseaux pendant les débats pour la Loi Omnibus, en concurrence avec Leandro Santoro, figure promue par le péronisme dans ses médias. Les vidéos de La Izquierda Diario sont également devenues virales.

    Nous considérons que nous avons agi selon la tradition du « parlementarisme révolutionnaire », reprise des premiers congrès de l’Internationale communiste (1919-1922), en intervenant dans le Parlement tout en considérant que la bataille centrale se déroule dans les rues et sur les lieux de travail, avec les méthodes historiques de la classe ouvrière : la grève générale et le développement d’organes qui contribuent à l’émergence d’un « double pouvoir », première base d’un gouvernement des travailleurs, dans le cadre de la lutte pour la révolution socialiste à l’échelle internationale. Tandis qu’à l’époque, de grands partis qui représentaient des fractions significatives de la classe ouvrière intervenaient dans la lutte, notre classe s’est aujourd’hui étendue socialement à l’échelle mondiale et dans une grande partie des pays (y compris l’Argentine) mais connaît une longue crise en raison de la fragmentation imposée par l’offensive néolibérale, de la bureaucratisation de ses organisations et de l’héritage néfaste du stalinisme, de la social-démocratie et du populisme nationaliste. C’est pourquoi une partie importante de la classe ouvrière soutient des projets politiques alternatifs de droite. En retour, les régimes démocratiques bourgeois soutiennent des formations politiques médiatiques à faible base militante. Il en va de même pour les syndicats. Cependant, chaque fois que des mouvements de lutte se développent, des tendances à l’auto-organisation émergent, qui restent souvent limitées à des mouvements « citoyens », comme on l’a vu avec les « places » dans plusieurs pays entre 2011 et 2013, ou dans la vague de révoltes qui a précédé la pandémie (dont le Chili était l’épicentre).

    Face à ces tendances, l’émergence de mouvements actifs, même à l’état naissant comme ceux que nous voyons en Argentine avec les assemblées de quartier, implique de redoubler d’efforts pour transformer la très large audience et la sympathie politique gagnée par les figures du PTS au sein du FIT-U en bases militantes. Myriam Bregman, Nicolás del Caño et d’autres dirigeants utiliseront les moyens de communication les plus divers pour inviter toutes les personnes qui ont voté pour nous lors des différentes élections parce qu’elles sympathisent avec nos positions, à se joindre à la construction des assemblées et du mouvement qui prennent forme dans les quartiers, sur les lieux de travail et d’études. Si 10 ou 20% des plus de 700 000 électeurs de la FITU dans la catégorie présidentielle en 2023 (1,2 millions si l’on compte le vote législatif en 2021) rejoignaient les assemblées, ils gagneraient une force énorme pour élargir leur cahier revendicatif auprès des syndicats et des centres d’étudiants [syndicats étudiants au sein des universités] dirigées par le péronisme, pour appeler leurs bases à rejoindre ces initiatives et pour leur imposer des mesures de lutte en renforçant les tendances à l’organisation démocratique. Accompagnant ces initiatives fortes de ce type depuis « le haut », notre parti, à son tour, ouvre les portes des collectifs que nous construisons dans le mouvement ouvrier, le mouvement étudiant, le mouvement féministe, etc., et les réunions ouvertes du PTS (comme celles que nous avons tenues tout au long de l’année dernière) à la participation des camarades qui veulent discuter ensemble de la construction d’un puissant mouvement d’assemblées de quartier et de reconquête des commissions internes, des syndicats et des centres d’étudiants.

    5. Élargir l’organisation démocratique de la lutte avec une stratégie d’unité de la classe ouvrière et d’alliance avec les secteurs moyens et les pauvres

    Le défi immédiat est de massifier les assemblées de quartier et de densifier leurs liens avec les lieux de travail et d’étude, et toutes les formes d’organisations par en bas qui se développent, comme le mouvement des travailleurs de la culture qui existe dans différentes provinces (avec Unidxs por la Cultura au niveau national). Lors de la grève nationale du 24 janvier, des coordinations ont été créées entre les assemblées et les secteurs de travailleurs, comme dans la zone ouest du Grand Buenos Aires autour des cheminots et des travailleurs de la santé. Les perspectives économiques et financières laissent présager des conflits contre les hausses des prix des services publics (électricité, gaz, eau et transports) et autour des problèmes liés à la liquidation des salaires réels (gel face à l’inflation, paiement en plusieurs fois, augmentation très en deçà de l’inflation, etc.). Dans les lieux d’études, les cours sont en train de reprendre. Dans plusieurs universités, des cours initiaux ou des cours d’été ont commencé. Partout où nous le pouvons, nous avons l’intention de diffuser « un esprit de victoire » après la défaite de la LO pour nourrir l’influence des assemblées auprès des travailleurs de chaque municipalité (usines, hôpitaux, supermarchés, bureaux, centres d’appel) ou pour lancer des activités, des commissions et des réunions de coordination. L’organisation commune peut donner du pouvoir à l’un et à l’autre.

    De quelle manière les assemblées peuvent-elles encourager la création de nouvelles instances d’organisation et de coordination des secteurs en lutte qui unissent les travailleurs, les habitants des quartiers et les étudiants ? Nous avons appelé « comités d’action » des institutions d’unification et de coordination des luttes qui visent à briser la résistance des bureaucraties, en reprenant une idée proposée par Léon Trotsky pour intervenir dans la conjoncture française des années 1930, dans la lignée des conseils ouvriers (« soviets » en russe) qui participent de la construction d’une situation de double pouvoir face à l’Etat capitaliste. Dans notre pays, dans les années 1970, des coordinations interprofessionnelles qui ont pris une forme similaire à celle des « comités d’action » sont apparues, notamment dans la lutte contre le Plan Rodrigo (le « Rodrigazo », 1975).

    Aujourd’hui, le processus est beaucoup plus embryonnaire, mais il est important de souligner la nouveauté et le potentiel qui s’expriment déjà, non seulement sur le terrain de la mobilisation (comme nous l’avons souligné dans la deuxième partie), mais aussi sur le terrain de l’organisation et des tendances à la coordination. Dans la capitale, par exemple, il y a une forme « d’assemblée des assemblées » qui réunit 74 personnes élues dans 22 assemblées de base et qui est chargée des relations entre les assemblées et du lien avec les autres secteurs ou initiatives, tels que Unidxs por la Cultura, le Poste de santé et de soins, ainsi que les syndicats et les groupes militants et de gauche. Dans l’ouest du Grand Buenos Aires, nous avons déjà signalé l’existence de tendances similaires. Dans le sud du Grand Buenos Aires et à La Plata, les assemblées et les secteurs en lutte se sont rassemblés depuis la grève du 24 janvier. Aujourd’hui, ils se mobilisent pour soutenir les travailleurs de Bridgestone en lutte avec le SUTNA (syndicat du pneumatique) contre les licenciements. Dans la zone Nord, la première réunion de coordination des assemblées et de Unidxs por la Cultura Zona Norte s’est tenue le 5 février. SUTEBA Tigre, dirigé par le front multicolore (auquel appartient la liste Marron du PTS) opposé à la direction syndicale, a défendu la mise en place d’une « assemblée populaire » dans cette municipalité, à laquelle participent également des travailleurs, des étudiants et des voisins du quartier. Les travailleurs de l’usine récupérée de Madygraf participent à cette assemblée et à d’autres.

    Si les assemblées cherchent à se lier aux travailleurs et aux organisations de travailleurs et d’étudiants, elles peuvent développer ces instances de coordination et encourager les tendances anti-bureaucratiques au sein des syndicats, des lieux de travail et d’étude eux-mêmes. Ils peuvent constituer une aide puissante dans la lutte pour la récupération de ces organisations syndicales des mains de la bureaucratie, en particulier les organes délégués et les commissions internes du mouvement syndical (plus perméables à la pression de la base). Dans le mouvement étudiant, les centres d’étudiants sont considérés comme des prestataires de service, au sein desquels la « participation » consiste à voter tous les 1 ou 2 ans. Cependant, nous n’en sommes qu’au début du processus et nous devons être ouverts aux tendances qui se développent, en faisant dénonçant et interpellant en permanence les organisations existantes, mais en étant ouverts à l’émergence de nouvelles organisations.

    Si les assemblées se cristallisent en organisations de type « citoyenne », limitée à la représentation d’une somme d’individus, elles se réduiront à un regroupement territorial de personnes qui n’ont pas l’intention d’organiser et de diriger les lieux de travail et d’étude. Si l’organisation des assemblées de quartier avance et renforce le développement de commissions internes ou de commissions de lutte dans chaque lieu de travail, d’assemblées ou de comités dans le mouvement étudiant qui récupèrent les centres étudiants, etc, ce sera la voie pour construire les conditions d’une véritable grève générale politique, qui vise à vaincre le gouvernement de Milei et Bullrich, leurs forces répressives, à remettre en cause le pouvoir des capitalistes et à avancer dans la lutte pour un gouvernement ouvrier.

    Les forces militantes que nous regroupons au sein du PTS sont renforcées par ces mouvements, puisque nous avons des milliers de camarades qui militent sur leurs lieux de travail et d’étude, avec des centaines de dirigeants politiques locaux (qui viennent de mener une longue campagne électorale en 2023 où nous avons annoncé ce qui allait se passer et présenté un programme pour faire payer la crise au pouvoir économique), des usines, des entreprises, des universités et des écoles. Toutes ces conquêtes ont eu lieu dans une situation où la passivité prédominait et où les tendances au militantisme étaient faibles. Comme le montre l’expérience historique, si des organisations démocratiques sont développées pour la lutte de la classe ouvrière et du peuple mobilisé, les forces de la gauche révolutionnaire en ressortent renforcées. Chaque assemblée où l’on réussit à mettre en place l’organisation nécessaires renforce de manière exponentielle l’action de chaque militant. Le premier pas est d’appeler à l’action les électeurs et les sympathisants du FIT-U et de ses référents nationaux et locaux, afin qu’ils participent à la construction des assemblées avec leurs voisins, en invitant leurs camarades de travail et d’études. En même temps, nous ouvrons les portes de notre propre organisation de parti (collectifs, assemblées ouvertes du PTS) pour débattre ensemble de la manière de préparer et de renforcer chaque bataille, et pour tirer des conclusions politiques et idéologiques.

    Il ne s’agit pas ici de donner une « formule » parfaite dans la façon de s’organiser mais de critères qui doivent être appliqués dans les formes les plus appropriées pour chaque ville, région ou municipalité.

    6. Soutenir toutes les luttes avec le mot d’ordre : « Il y a de l’argent, mais les grands patrons et le FMI le volent. C’est à eux de payer la crise ! »

    Quant au contenu de la politique immédiate à développer, nous proposons de soutenir toutes les luttes et de promouvoir de nouvelles actions, cette fois-ci dans le but d’affronter les augmentations de prix et de renverser le DNU et l’ensemble du plan Milei.

    Une nouvelle réunion de coordination a présenté une série de propositions à transmettre aux assemblées et aux organisations militantes, en commençant par une mobilisation au Conseil du salaire minimum, qui se réunit le jeudi 15, et en promouvant une casserolade le 16, exigeant un plan de bataille de la part de la CGT et de la CTA [les deux principales confédérations syndicales] contre le plan Milei. Il a également été question de soutenir pleinement les travailleurs de Bridgestone contre les licenciements.

    Une autre question soulevée a été celle de la tenue d’une « réunion/plénière/assemblée nationale des travailleurs salariés et chômeurs, des assemblées populaires, des organisations culturelles, politiques, environnementales, des femmes et des personnes LGBT, des retraités, des étudiants et des organisations de défense des droits de l’homme », pour laquelle il est proposé de « promouvoir le débat dans toutes les organisations sur la date et la forme ». La construction d’une grande rencontre passe par l’extension de la méthode des assemblées et de leurs mandats de base à toutes les organisations qui regroupent les travailleurs, les travailleuses, les jeunes, le mouvement des femmes, les écologistes, etc.

    Depuis La Izquierda Diario, comme nous l’avons déjà fait avec des tracts et le supplément imprimé distribué massivement, il est temps d’agiter offensivement le programme que nous avons su développer en tant que PTS dans la campagne électorale de 2023 et dans les débats nationaux qui ont suivi. Face au plan « tronçonneuse », celui-ci entend faire payer la crise au pouvoir économique et au capital financier. Il y a de l’argent, mais il est accaparé par les grands hommes d’affaires (qui s’enrichissent jusqu’à ne plus pouvoir) et par le FMI, qui organise toute l’économie pour générer des dollars afin de rembourser la date quitte à affamer la population et à détruire la santé, l’éducation, les salaires, les pensions de retraites et les aides sociales. Nous revendiquons l’augmentation des salaires, des pensions et des aides sociales au niveau de l’inflation. L’ouverture des livres de comptes des grandes entreprises et la confiscation des biens des hommes d’affaires qui organisent la fuite des capitaux, ainsi que de tous ceux qui s’enrichissent sur l’augmentation des prix des marchandises. Face à l’échec de toutes les tentatives de « régulation » de la voracité du grand capital, il est nécessaire d’établir un monopole du commerce extérieur et de nationaliser le système bancaire sous contrôle des travailleurs.

    Dans chaque assemblée qui grandit et s’organise, dans chaque commission ou mouvement qui s’attaque au gouvernement Milei, les conditions mûriront pour générer une force de la classe ouvrière, de la jeunesse et des secteurs opprimés capable de changer le cours de l’histoire. La lutte ne fait que commencer.


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