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Nettoyage ethnique

Gaza : l’État d’Israël ne massacre pas les civils par hasard

Une semaine après le début de l’offensive terrestre, le nombre de morts à Gaza se rapproche des 10 000 et les massacres s’enchaînent. Si Tsahal affirme cibler des positions du Hamas, elle vise en réalité délibérément les civils.

Nathan Deas

3 novembre 2023

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Gaza : l'État d'Israël ne massacre pas les civils par hasard

Crédits photo : compte X de Mathilde Panot

« Un terroriste du Hamas a été sorti des décombres, porté dans les bras de son père. Son visage est couvert de poussière, son corps est agité de soubresauts, son regard est vide. On ne sait pas s’il est vivant ou mort. C’est un enfant de trois ou quatre ans, et son père désespéré, l’a emmené d’urgence à l’hôpital indonésien de la bande de Gaza qui débordait déjà de blessés et de morts. Une autre terroriste a été extraite des décombres. Cette fois, elle est bien vivante, ses cheveux clairs et bouclés sont blancs de poussière. Elle a cinq ou six ans et est portée par son père (sic) ».

Ces quelques lignes de Gideo Levy à propos des bombardements à Jabalya, publiées dans le Haaretz, un quotidien de gauche israélien, résument assez bien la situation à Gaza.

Une semaine après le début de l’offensive terrestre, les massacres s’enchaînent. Si le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou et les dirigeants militaires du pays sont restés discrets sur les avancées de Tsahal à Gaza, les images satellites et des publications sur les réseaux sociaux fournissent néanmoins des indices sur la stratégie globale des forces armées israéliennes. Celles-ci semblent chercher à encercler la ville de Gaza à partir de trois axes principaux : deux venant du Nord qui descendent vers la ville et un venant du sud-est et qui traverse une bonne partie de l’enclave palestinienne.

C’est sur ces trois axes, notamment à Jabalya, qu’ont été réalisés les bombardements et les affrontements les plus violents comme le montre une infographie du Monde datée du 2 novembre.

De Jabalya, le plus grand camp de réfugiés palestiniens, il ne reste pas grand-chose. Situé près de la frontière israélienne, avec 116 000 habitants entassés dans une zone de seulement 1,4 km2, il est un des lieux les plus densément peuplés au monde et désormais, après un premier bombardement mardi, un cratère profond.

Mercredi, dans un chaos de poussières et de débris, des hommes, des femmes et des enfants fouillent les décombres à la recherche de survivants. C’est le moment que choisit Tsahal pour bombarder à nouveau la zone. Bilan : 195 morts selon le Hamas. A Bureij, autre camp de réfugiés palestiniens situé à la frontière-est de l’enclave gazaouie, près de 30 000 réfugiés, descendants de la Nakba, vivent dans des logements surpeuplés depuis que leurs ancêtres s’y sont installés en 1949. Depuis le déclenchement de l’offensive terrestre le 27 octobre dernier, Tsahal a fait de la zone un objectif stratégique. C’est là que les premiers affrontements ont été signalés par le Hamas. Le nombre de décès est introuvable.

Alors que l’enclave palestinienne est toujours coupée du monde, les images satellite de la société américaine Maxar Technologie permettent de rendre compte du massacre en cours, avec des quartiers voire des communes entières ravagées. Quelques exemples. Au nord de Gaza, le quartier Al-Karama (voir photo 1) a été la cible d’intenses bombardements dans la nuit du 10 au 11 octobre, et à nouveau le 17 octobre. C’est désormais un champ de ruines. Selon les informations publiées par le Hamas, l’hôpital d’al-Karama aurait été pris pour cible et serait désormais hors service. Quelques kilomètres plus loin, le quartier de Beit Hanoun (voir photo 2), situé à seulement six kilomètres de la cité israélienne frontalière de Sderot, est pulvérisé.

Selon l’ONU, près de la moitié des habitations de la bande de Gaza ont été signalées comme détruites à la date du 23 octobre.

Photo 1

Photo 2

Partout sur le territoire, les mêmes scènes se répètent, jusque dans le sud de l’enclave où Tsahal avait pourtant enjoint les Gazaouis à se rendre pour « leur propre sécurité ». Vidéos amateurs, communications de l’armée israélienne et images prises par des photojournalistes sur place témoignent de nombreux bombardements tuant et blessant de nombreux civils. L’armée israélienne insiste sur la présence de « caches » du Hamas, mais elle vise en réalité délibérément des civils. Depuis le début de l’offensive, selon une source israélienne contactée par Le Monde « entre douze et quinze » (une estimation datée du 2 novembre) responsables militaires et civils du Hamas auraient été mis hors d’état de nuire.

D’autres estimations de sources israéliennes évaluent le nombre de combattants de l’organisation islamique tués dans une fourchette trop large pour évocatrice (entre quelques dizaines et plusieurs centaines d’hommes). Dans le même temps, Gaza pleure déjà plus de 9000 morts, dont 3600 enfants.

Cette réalité est indissociable de la stratégie de Tsahal. Comme nous le notions dans un précédent article « l’expérience récente [des sièges urbains] présageait déjà d’un véritable carnage. Dans l’Ouest de Mossoul, l’ONU a[vait] estimé que près de 13 000 structures d’habitation avaient été détruites. A Raqqa, le chiffre est de 11 000 (soit 80% de la ville). Les trois premières semaines d’offensive israéliennes et les frappes de Tsahal ont d’ores et déjà montré que l’Etat sioniste était prêt à faire de Gaza un bain de sang pour remplir ses objectifs militaires et politiques. ». Une semaine après le constat se fait plus dur encore.

Dans un briefing post massacre de Jabalya, l’armée israélienne a assuré avoir ciblé avec ses bombes une cible militaire qui se trouvait sous le cratère causé par l’explosion. « Nous savions que Bieri était dans un système de tunnels sous le camp. A Jabaliya, les structures du Hamas sont mélangées avec le système urbain. Depuis le réseau [souterrain], les hommes [du Hamas] pouvaient sortir, tirer des roquettes, des RPG [lance-roquettes] pour atteindre nos soldats », a expliqué l’amiral Daniel Hagari, avant d’ajouter : « On avait là une équipe de terroristes qui ont commis les actes du 7 octobre. ». Une logique qui s’est répétée ce vendredi avec le bombardement de l’entrée de l’hôpital Al-Shifa, le plus grand de Gaza, devant lequel se trouvait un convoi d’ambulances selon Al-Jazeera.

Quelques jours plus tôt, Tsahal insistait sur la présence de « caches » du Hamas et assurait que le mouvement islamiste disposait d’un complexe militaire sous l’hôpital, diffusant même des images crées de toutes pièces par ordinateur, et montrant un centre de commandement du Hamas pour appuyer ses propos. Deux exemples et une forme de résumé de l’opération terrestre en cours. Face à un champ de bataille extrêmement complexe, et alors que le Hamas dispose de différents types de tunnels (sur « plus de 500 kilomètres » selon le chef du Hamas, Yehya al Sinwar) pour mener des opérations militaires, l’armée israélienne semble considérer devant l’enchevêtrement de cibles militaires et de groupes civils, que les civils eux-mêmes sont devenus des cibles militaires. Autrement dit, la stratégie de l’armée israélienne est claire : la destruction des habitations et le massacre de civils est un prix à payer pour remplir ses objectifs militaires, quand bien même il faut raser tout Gaza.

Une stratégie qui n’est pas nouvelle. Un an après l’opération « Bordure protectrice » en 2014, l’ONG Breaking The Silence publiait une compilation de plus d’une centaine de témoignages sur les exactions de Tsahal contre les Palestiniens. Un sergent d’infanterie israélien posté à Deir al-Balah racontait alors. « Les règles d’incursion sont toutes identiques : Tout est une menace à Gaza, la zone doit être neutralisée, vidée de sa population — et tant que nous ne voyons personne agiter un drapeau blanc en criant ‘J’abandonne’ ou quelque chose comme ça — alors il constitue une menace et nous avons l’autorisation d’ouvrir le feu ». Dans un autre témoignage, un sergent posté dans la ville de Gaza témoignait d’une politique de feu ouvert à partir de l’entrée dans Gaza : « Tu ne demandes pas l’autorisation et personne ne te demande d’explications. Ce n’est pas bizarre pour nous car c’est ce que nous faisons dans quasi-toutes nos offensives depuis le début jusqu’à maintenant ». Quelques années plus tard, l’offensive de Tsahal est d’une autre ampleur, et la barbarie semble, elle, sans limites.

Une réalité enfin indissociable du nettoyage ethnique voulu par le gouvernement de Netanyahou et sa rhétorique génocidaire. Mercredi 25 octobre, le premier ministre israélien, expliquait que la guerre lancée contre le Hamas et la population palestinienne relevait d’une opposition entre « un peuple de la Lumière » et un « peuple des Ténèbres ». Comme un symbole, ce vendredi des milliers de travailleurs palestiniens étaient renvoyés d’Israël et conduits à la frontière de Gaza. Une façon de s’assurer qu’aucun palestinien n’échappe aux bombardements de Tsahal.


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