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Liban

La tactique de l’embrasement : Israël multiplie les assassinats dans le Proche Orient

Après avoir renoué, la semaine dernière, avec la stratégie de l’exécution ciblée, en éliminant un général de brigade iranien, dans une ferme au sud de Damas, Israël poursuit sa campagne vengeresse en assassinant, mardi 3 janvier au soir, le secrétaire du leader politique du Hamas, Ismail Haniyeh, à Beyrouth.

Enzo Tresso

3 janvier

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La tactique de l'embrasement : Israël multiplie les assassinats dans le Proche Orient

Crédit photo : Licence Wikimedia Commons

Numéro 2 du Hamas, Saleh Arouri était en charge de la coordination des actions du parti en Cisjordanie. Libéré en 2010, à condition qu’il s’exile, Al-Arouri, membre de la direction extérieure du Hamas et du Bureau politique de l’organisation, s’était installé à Beyrouth. Frappant pour la première fois Beyrouth depuis 2006, une frappe de drone a touché le troisième étage de l’appartement d’Al-Arouri dans la banlieue sud de Beyrouth, faisant 7 victimes, dont Al-Arouri lui-même et deux commandants de l’aile militaire du Hamas. Alors que les tensions ne cessent de croître entre le Liban et Israël, qui exige de manière intransigeante l’application de la résolution 1701 et la démilitarisation de la région frontalière, cette nouvelle attaque s’inscrit dans une dynamique d’embrasement régional et risque d’élever le niveau d’intensité des engagements entre le Hamas, le Hezbollah libanais et Tsahal, ouvrant potentiellement un second front.

Alors qu’Israël se garde ordinairement de reconnaître sa responsabilité dans ce type d’attentat ciblé, la consigne formulée par Yossi Fuchs, le bras droit de Netanyahu, n’a cette fois pas été suivie. Le ministre de tutelle de la Cisjordanie, Bezalel Smotrich, fanfaronnait sur son compte X en citant le livre des juges : « Que tes ennemis périssent, ô Israël ». Danny Danon, membre du Likoud, a congratulé, sur le même réseau, Tsahal, les renseignements intérieurs (Shin Bet) et les renseignements extérieurs (Mossad) israéliens. Le risque d’embrasement a même forcé un conseiller du premier ministre Benyamin Nétanyahou, Mark Regev, à caractériser la nature de cette frappe : « Quiconque a fait cela a accompli une frappe très ciblée et a visé le Hamas parce qu’Israël est en guerre. […] Quiconque a fait cela n’a pas attaqué l’Etat libanais ».

Faisant explicitement le lien avec la campagne d’assassinats, surnommée Colère de Dieu, menée après les attentats de Munich, en 1972, le chef du Shin Bet, Ronen Bar, dans un enregistrement audio d’une réunion du cabinet de guerre, qui avait fuité, avait déclaré son intention d’éliminer où qu’ils soient les membres de la direction du Hamas : « Nous y sommes résolus, c’est notre Munich ». Ces déclarations ont suscité, plus tôt dans la journée de mardi, une vague d’arrestation massive en Turquie au cours de laquelle une trentaine d’individus soupçonnés d’espionnage au service du Mossad ont été appréhendés par les services de sécurité turcs.

En réponse à l’attaque, le président du Bureau politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, a affirmé, dans une intervention télévisuelle, sa résolution : « Un mouvement dont les leaders et les fondateurs tombent en martyrs pour la dignité de notre peuple et de notre nation ne sera jamais vaincu. C’est l’histoire de la résistance et du mouvement qui, après l’assassinat de ses leaders, devient encore plus fort et déterminé ». Le Hezbollah a, de son côté, dénoncé une « grave agression contre le Liban et un sérieux développement dans la guerre entre l’ennemi et l’axe de la résistance ». Dans ce communiqué, l’organisation pro-Iranienne annonce vouloir conduire des représailles : « Ce crime ne restera pas sans riposte ou impuni ». Le premier ministre libanais, Najib Mikati, a évoqué « un nouveau crime israélien » et le ministère des affaires étrangères a déposé une plainte au Conseil de sécurité des Nations unies en réponse à cette « violation de la souveraineté libanaise ». L’Autorité Palestinienne et le Jihad Islamique ont préféré mettre en garde Israël contre le risque d’un embrasement régional.

Alors que les engagements se multiplient à un rythme sans précédent depuis 2006 à la frontière israélo-libanaise, l’attaque israélienne menace de porter le conflit à un tout autre niveau d’intensité. Exigeant désormais l’application stricte de la résolution 1701, qui prévoit la démilitarisation de la région au Sud du fleuve Litani et le retrait du Hezbollah 25 kilomètres au nord de la frontière, Israël a multiplié les engagements de moyenne ou de forte intensité. Après avoir brûlé au phosphore blanc près de 460 hectares de terre pour créer une zone tampon chimique en Octobre, les forces israéliennes n’ont cessé de bombarder plus en profondeur le territoire libanais depuis. Alors que les forces de Tsahal ont éliminé Razi Moussavi, général de brigade iranien à Damas, le 27 décembre, cette nouvelle provocation ne peut qu’accentuer l’embrasement régional.

L’armée israélienne a par ailleurs déclaré se tenir en alerte dans le même temps où elle retire des troupes du front de Gaza. Si l’armée explique ce retrait partiel par des inquiétudes d’ordre économique face à l’énorme récession qui menace le pays, notamment dans les secteurs de la haute technologie, dans lequel près de 50% de la main d’œuvre a été mobilisé, elle affirme dans le même temps sa volonté de procéder à un entraînement approfondi de ses réservistes. Si la presse étatsunienne voit dans ce retrait partiel le signe de l’influence diplomatique de Washington et la victoire des appels répétés à la modération formulée par la présidence Biden, ce mouvement de retrait apparait plutôt comme le signe de la volonté israélienne de maintenir ouverte la possibilité d’un second front au nord.

En l’espace d’une semaine, Israël a multiplié les avertissements et les menaces à l’égard du Liban. L’ancien ministre israélien de La Défense et dirigeant du parti de la droite nationaliste Yisroel Beiteinu, a déclaré le 1er Janvier qu’Israël devait faire « payer en territoire » le Liban pour les dommages causés par les frappes du Hezbollah afin « d’empêcher les tirs anti-aériens et l’occupation physique de la ligne de conflit ». Cette occupation temporaire devrait durer, selon lui, « jusqu’à ce qu’un gouvernement capable d’exercer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire soit établi à Beyrouth ». Les déclarations de cet opposant « modéré » à Netanyahou ne sont que l’écho sinistre des propos de Benny Gantz, membre du cabinet de guerre, qui a déclaré, la semaine dernière, en conférence de presse, que « la situation à la frontière nord exigeait du changement. Le temps de la solution diplomatique est presque écoulé. Si le monde et le gouvernement libanais n’agissent pas pour stopper les frappes sur les communautés du nord et ne repoussent pas le Hezbollah loin de la frontière, les Forces de Défense Israéliennes s’en chargeront ». Le lendemain des déclarations de Gantz, c’était au tour de Naftali Bennett, ancien premier ministre israélien, de publier une tribune dans le Wall Street Journal, pour exiger des Etats-Unis qu’ils s’engagent militairement contre l’Iran. La tribune, éloquemment, titré « les Etats-Unis et Israëls ont besoin d’affronter l’Iran directement », appelait à « faire payer les ayatollahs pour semer le chaos aux travers de leurs proxies comme le Hamas, le Hezbollah et les Houthistes ».

S’il n’est pas certain qu’Israël ait les ressources nécessaires pour mener à bien l’ouverture d’un second front, la résolution ne semble pas lui faire défaut. L’heure est toujours à l’incertitude, mais l’ombre de la guerre plane bel et bien sur la région entière et révèle les effets délétères de la forteresse des impérialistes dans le Proche-Orient au milieu d’une région qu’elle contribue sans cesse à déstabiliser.


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