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Offensive autoritaire

« Sortir des établissements » les élèves « radicalisés » : dans l’Education nationale, bientôt tous des indics ?

Signalements, saisines du procureur de la République, et bientôt exclusion de l’école pour les élèves « radicalisés »… Alors que la communauté éducative est sous le choc suite à la mort de Dominique Bernard, le ministère s’engouffre dans la brèche pour mettre les personnels de l'Éducation au service de la police, le tout au nom de la lutte contre le terrorisme.

Tristane Chalaise

20 octobre 2023

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« Sortir des établissements » les élèves « radicalisés » : dans l'Education nationale, bientôt tous des indics ?

Mis à mal par le nouveau meurtre d’un enseignant, le ministère de l’Education nationale n’aura pas mis longtemps à instrumentaliser le drame et l’émotion des personnels pour justifier un renforcement de la répression à l’école.

Délation, fichage, procès, exclusion : bienvenue dans l’école d’Attal-Macron

Dès le weekend, Gabriel Attal avait annoncé la couleur : lors de l’hommage de lundi, il « ne tolérerai[t] aucune contestation, aucune provocation », demandant qu’un signalement nominatif de toute personne contestataire soit effectué par les enseignant-e-s et personnels de l’Education.

Ainsi, dès mardi, le ministre de l’Education annonçait plus de 300 signalements pour « perturbations et contestations », et 179 saisines du procureur de la République. « Et pour les cas les plus gaves, plusieurs dizaines d’entre eux, qui relèvent de l’apologie du terrorisme, j’ordonne ce jour l’exclusion de ces élèves, dans l’attente des procédures disciplinaires qui se tiendront ».

Des exclusions temporaires qui menacent aujourd’hui de devenir des exclusions définitives, non pas d’un établissement scolaire, mais bien du système scolaire lui-même. Interviewé sur France 2 jeudi soir, le ministre a effet annoncé vouloir « sortir des établissements scolaires » les élèves signalés pour radicalisation.

La vie scolaire, nouveau vigile dans des collèges et lycée bunkerisés

Alors que le gouvernement a déclenché la mise en place d’un plan Vigipirate « Urgence alerte Attentat », mobilisant plus de 7 000 militaires et 10 000 policiers et gendarmes autour des écoles, des lieux de cultes et de culture, le ministre de l’Education nationale a fait déployer plus de 1000 personnels EMS, rattachés aux rectorats, dans des établissements scolaires ciblés.

« Lundi matin, nous avions la présence de militaires devant notre collège, et ils seront là pendant longtemps selon le principal. Le contrôle est de plus en plus permanent et l’établissement utilise les AED [assistants d’éducation – ou surveillant-e-s, ndlr.] pour réaliser ces contrôles. Des sas mécaniques sont renforcés à l’entrée du collège », raconte Jordan*, assistant pédagogique en banlieue parisienne.

Les personnels de l’Éducation, et en premier lieu les AED, qui accueillent les élèves aux portails des établissements, se sont en effet vus imposer le rôle de supplétifs de la police, comme le souligne Marion*, AED en île-de-France : « Depuis une semaine, on a vraiment l’impression d’être des flics, on doit fouiller les sacs, prendre en charge la "sécurisation du lycée" et cela endommage la relation que l’on peut avoir avec les élèves. Ils ont l’impression qu’on les criminalise pour le seul fait d’être dans un lycée de banlieue. »

Tout en prétendant vouloir éviter la « bunkerisation », le gouvernement dit en réalité n’exclure aucune piste, y compris celle du renforcement de la vidéosurveillance, des vigiles et des portiques de sécurité. Déjà présents dans certains établissements scolaires, ceux-ci ont toutes les chances de se multiplier dans les prochains mois.

Oui, mais pourra-t-on le faire ? Les syndicats accompagnent l’offensive sécuritaire

Face à ces annonces, les syndicats de l’Education nationale, loin de dénoncer la transformation des écoles en annexes du commissariat, sont en train d’accompagner le mouvement.

Invitées vendredi soir par Gabriel Attal, les directions du SNES-FSU, de l’UNSA, du SGEN-CFDT et de Sud Éducation ont d’abord salué la qualité de l’écoute du ministre. Loin de dénoncer le gouvernement, la FSU, principal syndicat enseignant, tout comme la CFDT, rejoignent les appels « à faire bloc ensemble » (Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du SGEN-CFDT) et demandent pour cela « l’appui de l’institution, un appui de tout le pays » (Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU).

Interrogés par Le Monde, les représentant-e-s des principales directions syndicales de l’Education nationale, tout en pointant timidement que « le droit à l’éducation existe aussi » et que « lutter contre la radicalisation islamiste est un vrai sujet, mais qui ne pourra pas reposer que sur le système scolaire, et uniquement sous l’angle de l’exclusion » sont loin de remettre en cause les pressions au tout-sécuritaire.

Du côté de l’UNSA, Elisabeth Allain-Moreno estime ainsi que la priorité est que « tous les enseignants puissent signaler des faits de radicalisation, sans s’autocensurer et avec le soutien de leur hiérarchie », tandis que, du côté de la FSU, Guislaine David, porte-parole pour le premier degré, demande des moyens supplémentaires pour l’école en pointant la difficulté pour les directeurs et directrices de fouiller les sacs… à l’école maternelle et primaire ! Pire, à la question « Voulez-vous savoir si un élève est ‘fiché S’ ? Que fait-on des élèves radicalisés ?”, les représentant-e-s syndicales invité-e-s par le ministre ont répondu qu’ils allaient… y réfléchir. Face à la proposition d’exclure du système scolaire les élèves soupçonnés de « radicalisation », la préoccupation principale de la FSU et de la CFDT – pour ne citer qu’elles – n’est en effet pas de défendre inconditionnellement le droit des élèves à l’éducation, mais bien de savoir « comment définit-on un élève radicalisé ?  » et où, quand, comment et combien de temps on va sortir du système les élèves exclus.

Ne pas céder à la manœuvre du gouvernement et construire une autre réponse face à la violence à l’école

Face à la mort d’un autre de leur collègue, les personnels de l’Education nationale ressentent aujourd’hui angoisse et colère. La gravité du meurtre de Dominique Bernard ne doit pour autant pas faire oublier que les premiers responsables des violences que nous subissons au sein de nos établissements scolaires ne sont pas nos élèves, qui sont eux-mêmes soumis aux pressions de l’institution, et, plus généralement, aux tensions et aux violences qui traversent la société, mais bien le gouvernement et ses prédécesseurs, qui, a travers leurs politiques, n’ont fait qu’attiser les tensions et renforcer le mal-être à l’école et les divisions au sein de la société.

Ainsi, à rebours des appels à l’unité nationale relayés par le gouvernement et les directions syndicales, plusieurs établissements de région parisienne se sont mobilisés dès lundi pour dénoncer le manque de réponse et la responsabilité de l’institution dans la situation actuelle. « Les évènements que nous venons de vivre ne sont pas de simples faits divers qui seraient à appréhender comme des curiosités malheureuses. Ils résultent en fin de compte des choix qui sont faits (ou non) et qui conditionnent notre capacité à accompagner de façon humaine nos élèves et personnels et de répondre aux difficultés spécifiques qu’ils peuvent rencontrer. », peut-on par exemple lire dans le communiqué des personnels du lycée Henaff à Bagnolet, tandis que les personnels du collège Jean Moulin à Aubervilliers dénoncent « le soutien de façade affiché par le ministère et le rectorat ne saurait masquer les graves carences propres à l’encadrement dans l’éducation nationale et le manque de considération pour les personnels et les élèves. »

Dans un communiqué intersyndical rédigé ce lundi, les personnels du collège Iqbal Masih à Saint Denis ont ainsi expliqué refuser « que l’école devienne l’instrument de politiques stigmatisantes notamment avec la mise en place de contrôle sécuritaire à l’entrée des établissements [qui] alimentent un climat de suspicion dont nous souhaitons préserver les élèves » alors même que « l’urgente nécessité devrait être de renforcer l’éducation et la santé. ». Un son de cloche qu’on retrouve au collège Jean-Moulin d’Aubervilliers : « Au lieu des réponses sécuritaires démagogiques proposées (fouille à vue des sacs de nos élèves que l’on impose à des personnels dont ce n’est pas la fonction) nous renouvelons nos demandes de moyens humains et matériels supplémentaires et des procédures efficaces de protection et d’accompagnement des personnels. », tandis qu’au lycée Feyder d’Epinay-sur-Seine, les personnels dénoncent « la réponse du tout sécuritaire apportée par le gouvernement. [...] Accroître l’État policier, qui est déjà devenu notre quotidien, ne réglera aucunement, ni les problèmes de fond qui minent l’école, ni les problèmes de société, dont l’école n’est pas responsable. Ces “réponses” ne font qu’ajouter de la colère et de l’indignation à celles que nous éprouvons légitimement à l’endroit de ce professeur de lettres lâchement assassiné. »

Des prises de position qui associent refus des mesures sécuritaires, exigences de moyens massifs, et lutte contre les politiques qui dégradent toujours plus l’éducation, et qui montrent qu’il est possible de bâtir une autre réponse que celle proposée par le gouvernement, qui ne se préoccupe des personnels de l’Éducation que lorsqu’il peut les instrumentaliser pour justifier ses politiques sécuritaire, autoritaire et racistes.


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